Il s’agissait du film le plus attendu de l’année sur la plateforme et à raison car Blonde est un projet herculéen. Outre l’adaptation mouvementée d’une biographie sombre et fictionnalisée de la vie de Marilyn Monroe de près de 800 pages en projet depuis plus de 10 ans, le film de 2 heures 45 produit par Brad Pitt a écopé d’une classification NC-17-rated aux États-Unis — une première pour une production originale Netflix. Tous les paramètres étaient donc réunis pour exalter les attentes.
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Le résultat final, disponible sur Netflix depuis mercredi, n’éteindra certainement pas le brasier. Par cette œuvre intense, brutale et démesurée, Andrew Dominik nous entraîne par tous les moyens dans la détresse émotionnelle de l’icône américaine. Numéro 1 des tendances sur Netflix, le film divise critiques et spectateurs et sur Rotten Tomatoes, il affiche 49% de revues positives contre 51% d’avis négatifs.
Pourquoi une telle absence de consensus autour d’un long-métrage aussi ambitieux, adapté d’un best-seller mondial par un réalisateur de renom ? Tentative d’explications.
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Intention louable et interprétation louée
Sur Netflix, Blonde s’affiche dans la catégorie “films inspirés de livres” et “drames”. En s’affranchissant du carcan très codifié du biopic, Andrew Dominik peut donc s’autoriser toutes les libertés avec son sujet, jusqu’à risquer le galvauder. Habitué à casser les barrières des genres (le western avec L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford et le film de gangster avec Cogan: Killing Them Softly), il a donc sélectionné certains passages d’un roman inspiré de la vie de l’actrice pour accoucher d’un film qui s’apparente davantage au film d’horreur qu’au biopic. Dominik ne copie pas Monroe, mais se risque à la contrefaire.
Blonde est un film cohérent, ce sont les moyens qui justifient la fin. Durant ces 2 heures 45 d’expérimentations stylistiques, le réalisateur change en permanence de registre, de cadrage, de couleur, de format, mais rien n’est jamais gratuit. Si Blonde ne ressemble à rien d’autre et nous donne même un film nouveau à voir à chaque plan, il reste toujours au service de son propos et n’oublie jamais son intention : dénoncer le machisme et la violence de Hollywood qui ont détruit une femme fragilisée par une enfance violente.
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Pour incarner cette icône tourmentée, Andrew Dominik a d’abord convoité Jessica Chastain et Naomi Watts. C’est finalement Ana de Armas qui a endossé cette immense responsabilité, avec talent. Si avant même la sortie du film, l’accent de l’actrice d’origine cubaine avait alimenté la gronde, sa performance a finalement mis tout le monde d’accord. Elle passe d’une reproduction parfaite des rôles de Marilyn à une interprétation très personnelle de la star. Pendant 2 heures 45, elle est de tous les plans, passant des larmes aux faux sourires devant une caméra intrusive, psychologiquement et physiquement, qui n’accorde aucun répit à l’actrice, comme l’Histoire n’a accordé aucun répit Monroe.
Andrew Dominik déconstruit — voire démolit — la légende Marilyn, les moments les plus cultes de son existence étant ceux que le réalisateur maltraite le plus à l’écran. Il ne consacre qu’une seule scène à sa relation avec le président Kennedy, objet de tous les fantasmes, mais qui figure parmi les plus violentes et choquantes du film. Les coulisses de sa légendaire photographie en robe blanche sur la bouche de métro sont également une des scènes les plus édifiantes où l’on voit l’actrice reprendre la pose à l’infini dans un montage frénétique. Une fois la prise terminée, son sourire disparaît instantanément mais les bouches extatiques des fans masculins qui l’entourent s’étirent et transforment cette foule oppressante en une masse informe.
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Film “feel-bad” du début à la fin, selon les mots de son réalisateur, Blonde est l’histoire d’une enfant dont personne ne voulait devenue la femme la plus désirée du monde. D’une fillette sans figure paternelle devenue une femme uniquement entourée d’hommes. De la fille d’une femme qui ne voulait pas être mère à une femme qui, toute sa courte vie, a désiré être mère.
Pour symboliser le déchirement que ces extrêmes ont provoqué chez l’actrice et la façon dont sa vie publique a parasité sa vie intime, Andrew Dominik met son existence en abîme et mêle les deux imageries dans des plans jamais vus au cinéma. Plus le récit avance, plus il fait s’entrecroiser fantasmes, fiction, rêves, cauchemars et réalité : Norma Jeane passe, dans un même plan, de sa chambre au cockpit d’un avion, d’une plage paisible à une avant-première crépitante de flashs et les draps de son lit conjugal se muent en chutes du Niagara, en référence au film du même nom.
Hormis sa mère, aucune femme ne figure dans Blonde et cette plongée dans l’horreur hollywoodienne s’articule uniquement autour des hommes qui se sont succédé dans la vie de Norma Jeane et qui l’ont abîmée ou violentée : un père sur une photographie (qui cache une fissure dans le mur), des patrons de studios violeurs, des maris violents, des réalisateurs condescendants ou des fans insatiables.
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Blonde ne fait aucun compromis sur les abus dont Marilyn Monroe a été la victime car Andrew Dominik a choisi de filmer uniquement ce qu’il dénonce et veut avant tout mettre son public dans la même position voyeuriste que celle qui a scruté Marilyn Monroe sa vie durant.
Mais une réception à double tranchant
Mais derrière les clichés que le cinéaste veut mettre en pièces, l’image de Marilyn Monroe reste la même : celle d’une éternelle victime qui éclipse tout le reste de sa personnalité ainsi devenue unidimensionnelle. Dans son ouvrage, Joyce Carol Oates détaillait les multiples rôles de l’actrice, la manière dont elle les travaillait et son amour de la poésie, ce qu’Andrew Dominik a choisi d’éclipser.
C’est du dédoublement entre sa personne intime et sa personnalité publique dont Norma Jeane souffrait, elle ne cesse de le répéter 2 heures 45 durant : elle n’est pas Marilyn. C’est pourtant seulement Norma Jeane en tant que victime de Marilyn que le film nous donne à voir.
Dominik veut épingler la violence machiste dont l’icône hollywoodienne a été la victime certaine et ne raconte donc son histoire que par le prisme des relations abusives que les hommes ont entretenues avec elle. Uniquement définie par son traumatisme d’enfance et l’abandon de son père, Norma Jeane adulte surnomme — de façon absolument sordide — tous les hommes importants de sa vie “Daddy”. Le réalisateur dédie son film à dénoncer l’appropriation de l’image de l’actrice par le grand public mais s’approprie lui aussi son image en réinterprétant son histoire à sa guise.
De ce flux d’images méticuleusement pensées et montées résulte un film inédit et inoubliable qui nous happe de la première à la 160e minute et nous entraîne, presque de force, dans le tourbillon de la détresse psychologique de l’actrice, sans aucun moment d’accalmie. Extrême sur le fond, sur la forme et dans les réactions qu’il provoque, Blonde est un film qui fera date.