Les deux femmes ont été prises pour cible sur les réseaux sociaux toute la semaine pour des actes avec lesquels elles n’ont rien à voir. Elles ont été exhortées à s’expliquer sur les agissements du rappeur Roméo Elvis, qui aurait agressé sexuellement une jeune femme, et sur les accusations visant Moha La Squale. On a recueilli le point de vue de la sociologue Stéphanie Le Gal-Gorin à ce sujet, spécialisée dans les rapports sociaux de sexe.
Publicité
Depuis une semaine, le hashtag #BalanceTonRappeur fait des ravages sur les réseaux sociaux, notamment Twitter et Instagram. Des ravages, dans tous les sens du terme. Tout est parti des accusations de séquestrations et de violences visant le rappeur Moha La Squale. Le lendemain, mardi 8 septembre, trois femmes ont déposé plainte contre lui. L’influenceuse et mannequin Lena Simonne, qui comptabilise 335 000 abonné·e·s, a été la première à relayer les accusations visant Moha La Squale en story Instagram.
Publicité
Alors qu’elle est jeune, mannequin et influenceuse, certains médias et internautes la voient uniquement comme la petite amie du rappeur Roméo Elvis. Faut-il rappeler que la petite amie en question exerce un travail et n’est pas seulement la “copine de” ?
Publicité
Le sexisme, omniprésent sur les réseaux
Si l’on revient sur la suite des évènements de la semaine, lundi 7 septembre, une autre accusation tombe. Cette fois-ci, elle vise Roméo Elvis… Et comme un ricochet, ce sont Angèle et Lena Simonne qui ont été prises à partie et à qui on a demandé de rendre des comptes, alors qu’elles n’ont rien à voir dans cette affaire d’agression sexuelle, dont elles n’étaient, a priori, pas au courant.
Publicité
“On demande toujours aux femmes de se justifier”
La sociologue Stéphanie Le Gal-Gorin est spécialisée dans les rapports sociaux de sexe et connaît bien la question du sexisme. Elle travaille auprès des victimes de violences sexistes et sexuelles, mais aussi avec des auteurs d’agressions. “Je connais donc bien les deux publics”, explique-t-elle.
Publicité
Le fait qu’Angèle et Léna Simonne soient exhortées à rendre des comptes est le reflet quotidien de la société et des rapports femmes-hommes :
“C’est toujours pareil. On demande toujours aux femmes de se justifier. On ne voit pas ça du côté des auteurs [de violences]. On leur demande de prouver qu’elles n’ont pas eu un comportement inadapté ou aguicheur si elles ont été agressées sexuellement ou violées, de prouver qu’elles n’ont pas eu un comportement inadapté devant un supérieur hiérarchique s’il y a du harcèlement au travail, de prouver qu’elles n’ont pas provoqué leur conjoint quand il y a eu des violences conjugales. Elles se sentent, de toute façon, obligées de justifier ces choses et ce qu’a fait Angèle est une parfaite illustration de tout ça.”
Le lendemain, Roméo Elvis s’excuse publiquement via un communiqué publié sur Instagram. Une fois encore, les deux femmes doivent répondre de l’acte du rappeur. Acte qui ne les concerne en rien. Le hashtag #BalanceTonFrère a même été créé sur Twitter en référence à la chanson d’Angèle “Balance ton quoi”. Entre sexisme ambiant sur les réseaux et soutien aux deux jeunes femmes, deux camps s’affrontent. À croire qu’Angèle et Lena Simonne devraient s’excuser de faire partie du cercle proche du rappeur.
Publicité
“C’est affligeant qu’elle soit presque obligée de faire une sorte de mea culpa”
La chanteuse Angèle a fini par réagir en postant un message dans sa story Instagram où elle expliquait :
“De la même façon que je me bats aux côtés des femmes et des minorités négligées, je condamne les actes qui vont à l’encontre de mes principes. C’est d’autant plus important qu’il s’agit d’un proche et heurtant de l’apprendre ainsi. Une prise de conscience globale est à venir et un changement des mentalités s’impose, encore, toujours et partout. C’est tout ce que je souhaite.”
Pour la sociologue, Angèle a été contrainte de se justifier :
“C’est affligeant qu’elle soit presque obligée de faire une sorte de mea culpa, qu’elle soit obligée de se justifier. Qu’est-ce qu’elle pouvait faire de plus ? Je pense qu’elle a fait ce qu’elle pouvait pour dire qu’elle n’était pas du côté de son frère, mais elle n’avait absolument pas à se justifier. Ce n’est pas la première fois qu’on voit du cyberharcèlement envers une femme connue – ou inconnue, d’ailleurs –, qui prendrait position ou qui déclarerait avoir subi des violences.”
La pression était telle qu’elle a beaucoup joué sur cette justification, pour la spécialiste.
“L’occasion était trop belle […] pour décrédibiliser Angèle et plus largement les féministes”
Ces prises à partie sur les réseaux sociaux ne sont rien de plus que le reflet d’une société encore sexiste, explique Stéphanie Le Gal-Gorin :
“C’est une illustration tout à fait parlante de ce qui se joue entre les femmes et les hommes à longueur de temps. Et l’occasion est trop belle pour les internautes, les haters, d’utiliser ça pour décrédibiliser Angèle et plus largement les féministes, puisqu’elle se revendique comme telle.”
La veille des excuses de son frère, Angèle avait également repris, toujours en story Instagram, un message de la chanteuse Pomme, qui affirme qu’elle ne croit pas à la “présomption d’innocence” dans une société patriarcale : “Juste une petite mise au point pour les partisans fervents de la présomption d’innocence [dont bénéficie Moha La Squale, ndlr] : elle serait légitime dans un système où la justice ferait son travail, prendrait les plaintes des victimes et où le patriarcat n’existerait pas. Est-ce que c’est le cas ? Non.”
Une fois encore, la twittosphère s’est largement servie de ce message pour s’en prendre à la jeune chanteuse.
Des prises à partie inévitables ?
Pour la sociologue, les débordements sur les réseaux étaient presque inévitables et évidents. Elle ne les cautionne en aucun cas, mais ils étaient prévisibles :
“J’ai tout de suite pensé qu’immanquablement, Angèle allait être interpellée et comme je le craignais, ça risquait de ne pas bien se passer. Angèle est une figure féministe qui se revendique comme telle. J’étais sûre qu’elle serait attaquée par rapport à ça. Les gens se lâchent, bien à l’abri derrière leur écran. Elle symbolise ce qui agace beaucoup de gens, notamment des hommes qui nient la réalité des violences sexistes et sexuelles. C’était quelque part évident et quand je dis évident, je ne cautionne pas.”
Les internautes choisissent-ils donc la facilité ? La position militante de la chanteuse en fait finalement une cible toute trouvée et parfaite, pense la sociologue : “Je suis quasi certaine que la grande majorité des internautes qui l’attaquent est constituée d’hommes”, analyse la spécialiste. Tout est bon pour attaquer ce qu’elle représente, “c’est un moyen de la ‘prendre en défaut’, alors qu’elle n’a rien à voir là-dedans”, explique Stéphanie Le Gal-Gorin. “On vit encore dans un monde très sexiste, c’est juste une autre manifestation du sexisme ambiant de notre société”, conclut-elle.
S’intéresser au cercle proche de l’agresseur et plus particulièrement aux femmes reste un schéma malheureusement assez classique, selon la spécialiste. Elle parle de stratégie “d’inversion de la culpabilité” ou de la “responsabilité” : il s’agit, concrètement, de s’intéresser à la victime davantage qu’à l’agresseur.
“Quand une victime dénonce les agressions qu’elle a subies et particulièrement les agissements de quelqu’un de connu, d’un homme connu, on va plutôt s’intéresser à elle, à sa réputation, se demander comment elle était habillée, plutôt que de s’intéresser à l’auteur et aux mises en cause.”
Les réseaux sociaux, à double tranchant
Tout ce qui se retrouve sur les réseaux sociaux est bien souvent exacerbé, d’autant plus quand les personnes qui font l’objet d’attaques sont connues. Cependant, tout n’est pas à mettre sur le dos des réseaux sociaux, qui peuvent parfois être bien utiles, tient à nuancer la sociologue :
“Les réseaux sociaux sont extrêmement utiles dans la libération de la parole des femmes. Elles ont largement contribué à ce que les violences puissent être dénoncées. Beaucoup diront ‘les réseaux sociaux ne doivent pas être des tribunaux populaires, il faut laisser faire la justice’. […] On a trop de situations où les victimes ne sont pas entendues, donc si les choses peuvent se faire sur les réseaux sociaux, c’est mieux que rien, selon moi.”
Certaines personnalités, comme la réalisatrice et photographe belge, Charlotte Abramow – coautrice du petit manuel d’éducation sexuelle de Sex Education et réalisatrice du clip “Balance ton quoi” – s’est d’ailleurs servie des réseaux sociaux pour s’exprimer publiquement à ce sujet :