Ce matin, les élèves de Terminale en section technologique avaient le choix de plancher sur le sujet “L’art nous apprend-il quelque chose ?” – aux côtés de “Transformer la nature, est-ce gagner en liberté ?” et d’une explication d’un texte signé Adam Smith. Les filières générales ont quant à elles travaillé sur “Le bonheur est-il affaire de raison ?” et “Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ?”. Vous vous doutez bien qu’ici, chez les journalistes spécialisées arts de Konbini, on aurait plutôt tendance à affirmer tout de go que l’art n’est que source d’apprentissage, que les créations artistiques nous aident à mieux appréhender le réel, à apprivoiser et décharger nos émotions.
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L’art peut immortaliser des combats, à l’instar du travail de Donna Ferrato qui permit de faire avancer la lutte contre les violences conjugales aux États-Unis, de Gordon Parks qui passa sa vie à documenter la lutte antiraciste ou de Zanele Muholi qui dénonce la LGBTphobie, mais aussi permettre de porter au regard public des histoires personnelles vécues – sur la stérilité, le deuil ou l’autisme, par exemple. On a tout de même voulu se faire violence et essayer de trouver des contre-arguments affirmant que l’art n’apprend rien. Voici quelques antithèses qui vous donneront matière à réfléchir.
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L’art efface parfois l’Histoire
Pendant longtemps, l’art a été l’apanage des dominants. Il suffit de se balader dans n’importe quel grand musée pour constater l’ampleur des dégâts. Au Louvre, les rares personnes racisées représentées sont, le plus souvent, réduites en esclavage. En 1989, le collectif Guerrilla Girls notait que “moins de 5 % des artistes des sections d’art moderne [du musée du Met] étaient des femmes, mais que 85 % des nus représentaient des femmes”. Toute une partie de l’humanité est occultée dans l’art. Avant le XXe siècle (voire le XXIe siècle), l’histoire de l’art ne se souvient, en grande majorité, que d’artistes hommes et blancs qui ne racontent que leur version des événements. C’est donc une Histoire tronquée que nous apprend l’art.
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Oui, mais… c’est aussi le manque d’objectivité de l’art qui fait sa force – mais seulement quand tout le monde peut faire entendre sa voix. Lorsqu’Eduardo Viveiros de Castro écrit : “S’il y a quelque chose qui revient de droit à l’anthropologie, ce n’est pas la tâche d’expliquer le monde d’autrui mais bien celle de multiplier notre monde”, on pourrait remplacer le mot “anthropologie” par celui d’“art”. Ainsi, la multiplicité des récits subjectifs (sous forme d’œuvres d’art par exemple) serait finalement la seule façon d’atteindre l’objectivité. L’art peut nous apprendre le monde, à condition que tout le monde puisse prendre part à l’initiative.
L’art n’a pas vocation à éduquer
On pourrait également arguer que l’art n’a pas vocation à éduquer et, pour aller plus loin encore, que l’art n’a même pas vocation à être utile. On pourrait presque convoquer Platon et sa critique de la mimêsis. Le philosophe condamne toute représentation de la réalité – dont font partie les œuvres d’art – puisqu’elles modifieraient le réel et nous laisseraient pourrir dans sa célèbre caverne d’illusions.
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Oui, mais… c’est justement parce que la vocation première de l’art n’est pas d’éduquer que son pouvoir est d’autant plus puissant. Les œuvres montrent des représentations non pas pour fausser la réalité mais, encore une fois, pour permettre à chacun·e de se mettre dans la peau d’autrui. En provoquant ainsi une myriade d’émotions, on en apprend autant sur le monde que sur nous-mêmes.
L’art alimente un système capitaliste
Peut-on vraiment célébrer l’art comme une puissance instructive sachant qu’il est soumis aux lois d’un marché hyper-capitaliste ? L’art contemporain brasse chaque année des milliards, enrichit celles et ceux dont les comptes débordent déjà et met à l’honneur les noms bénis par les collectionneur·se·s les plus fortuné·e·s. Si l’art est accessible à tous et à toutes, sa diffusion reste dépendante des forces au pouvoir, qu’il s’agisse de personnes, ou même d’algorithmes, qui mettent plus ou moins en avant certaines œuvres et leur artiste. En ce sens, il semble nécessaire de questionner – comme toujours – ce qui passe devant nos yeux.
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Oui, mais… Bon, j’avoue, là je n’ai pas vraiment de “oui, mais”. Je ne sais pas comment un artiste tel que Banksy – qui passe son temps à critiquer la vente de ses œuvres, qui se vendent pourtant des millions – peut s’en sortir ? Rappelons qu’en 2018, l’artiste avait fait s’auto-détruire une de ses œuvres vendue, sans son accord, aux enchères. Hélas, la toile avait fini par valoir encore plus cher après ce coup (de com’ ou de génie, c’est au choix). Qu’importent toutes les fois où le street artiste tentera de critiquer la monétisation de son travail, il semble que le marché de l’art le rattrapera sans cesse. La seule solution qu’il a trouvée était de mettre son nom et sa notoriété au service de luttes et valeurs auxquelles il croit.
Depuis quelques années, Banksy affrète un navire qui vient au secours des personnes exilées, il a ouvert un hôtel en Palestine et vend des œuvres au service de l’hôpital public. On aperçoit peut-être la lumière au bout du tunnel, conserver ses valeurs afin d’éduquer les esprits, malgré les sirènes du capitalisme et au-delà du regard dominant. Du côté du public, l’impératif reste de toujours de faire marcher son esprit critique afin que l’art, comme tout ce qui passe devant nos yeux, devienne source d’éducation.
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