Tu as “oublié” de lire Les Caractères, et le bac de français, c’est demain ? Pas de panique, on te résume le livre, et au passage, on te donne quelques pistes de lecture qui feront, à n’en point douter, leur petit effet auprès des interrogateurs.
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Alors…
La deuxième moitié du XVIIe siècle, quelle époque : on se promène dans des salons littéraires pour écouter des poèmes, on se pavane à la cour du roi, on bitche dans les couloirs, on complote contre ses cousins protestants, on dîne à Versailles, on se vautre dans les pires orgies de l’histoire. La belle vie, quoi.
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Mais ça, c’est si vous avez la chance d’être noble. Parce qu’en réalité, l’écrasante majorité de la France, elle ne fait pas ça, mais alors pas du tout : elle trime sans arrêt, elle est pauvre de chez pauvre, elle finance les guerres et le train de vie de l’aristocratie, bref, elle commence à en avoir ras-le-bol. Alors certes, ce n’est pas encore la Révolution française, il va falloir encore attendre un siècle, mais ça commence un peu à sentir la merguez et le gaz lacrymo.
Dans la littérature, on s’en prend de plus en plus à la religion, à l’aristocratie, à Louis XIV, au gouvernement, et à la société en général. Les Fables de La Fontaine, par exemple : ça reste poli mais ça détruit tout le monde avec courtoisie et méthode. Bref, tout se casse gentiment la margoulette et pour ne rien arranger, en 1688, Jean de La Bruyère décide de tirer à balles réelles avec Les Caractères.
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Ça parle de…
La société du XVIIe siècle, et surtout de ce qui y agace l’auteur : l’immoralité, la servitude, l’hypocrisie, etc.… et tout ça, c’est sous la forme de maximes, c’est-à-dire de courtes formules générales sur ce qu’il faut ou ne faut pas faire, et de portraits de personnages fictifs qui incarnent tous plus ou moins un travers.
Bon, pour l’instant, vous vous dites sans doute que ça ressemble à ce que pourrait dire n’importe quel mec bourré dans n’importe quel PMU qui en est à son 14e picon-bière et qui crie ce qu’il pense de la société. Mais La Bruyère, lui, contrairement à Joe le Clodo, il a une solution, un idéal, une sorte de super-héros du XVIIe siècle : l’“honnête homme”, comme il dit, l’homme de raison.
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La Bruyère nous explique en quoi consiste cet “honnête homme”, qu’il doit savoir bien se tenir et discuter poliment en société. Et laisser sa place aux vieilles dames dans le métro, aussi. Et ne pas dire de méchancetés dans les commentaires sur Internet. Et renverser la société capitaliste. Bref, vraiment un chic type, qui apparaît tout au long des Caractères.
C’est comme si La Bruyère se promenait, au fil de ses chapitres, dans toutes les couches de la société. Dans le livre V, par exemple, “De la société et de la conversation”, il décrit une petite assemblée de gens assez mal élevés : personne ne s’écoute, l’un utilise (mal) des mots (trop) compliqués pour avoir l’air plus intelligent que tout le monde, un autre a tant besoin qu’on le trouve cool qu’il ment à tout bout de champ, un troisième juge les pauvres alors qu’il est rentier et qu’il n’a jamais eu à travailler de sa vie… Si ça vous rappelle vaguement quelque chose, c’est normal : c’est littéralement votre soirée, samedi dernier.
Dans le livre VI, “Des biens de fortune”, La Bruyère continue sa balade dans la société et nous montre que l’argent corrompt, et que d’en avoir ne veut pas dire qu’on le mérite. Il met en scène, entre autres, un homme d’affaires qui s’enferme chez lui pour boursicoter et se coupe du monde, un peu un cryptomineur de l’époque, finalement. Ou encore un homme qui amasse encore et encore, sans jamais être rassasié, quitte à ne laisser d’argent pour personne d’autre…
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Au moment où l’aristocratie est plus riche que jamais, c’est osé. La dénonciation est discrète mais réelle : les classes supérieures se gavent, s’accaparent tout et se laissent corrompre. D’après La Bruyère, le salut se trouve dans l’esprit, la culture, le savoir, pas dans les lovés. Voilà ce qu’il faut cultiver, pas sa cupidité. Et si jamais l’esprit, la culture, le savoir, ça ne marche pas, hop là, ça part en révolution et on coupe les têtes de tout le monde.
Dans le livre VII, “De la ville”, on va dans la rue, où tout le monde est obnubilé par le regard des autres : on se moque, on complote, on bitche, on se complimente en face et juste derrière, on se plante des couteaux dans le dos. Personne n’a de visage, personne ne dit vraiment ce qu’il pense, personne n’est une “personne entière”, pour citer [insérer ici littéralement n’importe quelle star de téléréalité].
Dans le livre VIII, “De la cour”, on fait un tour chez les courtisans, les nobles qui gravitent autour du roi comme de petits poissons autour d’une baleine, on parle d’hypocrisie, de superficialité, d’égocentrisme. On regarde toujours dans la direction du roi, on l’admire, on s’humilie. Selon son bon vouloir, on peut être soit tout en haut, soit tout en bas, et tout peut changer en un regard, une remarque, un silence. C’est un peu comme être chroniqueur à TPMP, on ne sait jamais si on va se faire huer ou applaudir, insulter ou féliciter par Hanouna… Nul ne sait. Quand on est courtisan, on accepte de ne plus être maître de son destin.
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Dans “Des Grands”, le livre IX, La Bruyère s’infiltre chez les aristocrates, la haute noblesse qui jouit des plus grands privilèges de la société sans avoir travaillé un seul jour de sa vie. Ils méprisent les pauvres, les humilient, profitent de leur pouvoir pour soumettre les autres, les manipuler. Ils sont pleins d’eux-mêmes, orgueilleux, creux. Tout leur a été donné d’office, de naissance, et jamais au mérite. Ce sont des princes, des ducs, des comtes, bref : des gens importants… mais parmi eux, de qui La Bruyère n’a pas encore parlé ?
Eh oui, “Du souverain ou de la république”. C’est le dixième et dernier livre, une critique de la monarchie absolue et donc, par extension (puisque l’État, c’est lui) de Louis XIV. La Bruyère en profite pour dispenser quelques conseils bien sentis au roi : il faut éviter de flamber, de frimer, et rester sobre. Et il dit ça à un mec qui se déguise en lingot d’or et se fait appeler “le Roi-Soleil”. Bref, faut se calmer un peu, Louis, lever le pied sur les impôts et arrêter de faire la guerre à droite à gauche, les gens en ont marre. Ça va tourner au vinaigre, c’est moi qui te le dis.
Et c’est intéressant parce que…
C’est une satire sociale.
En effet, un siècle plus tard, ça tourne au vinaigre : c’est la Révolution. Mais pour le moment, en 1688, quelques auteurs comme La Fontaine ou La Bruyère dénoncent poliment les travers de leur époque : la corruption, la débauche, l’injustice, etc. Ils n’ont pas d’autre choix que de rester polis puisque le contraire leur coûterait la vie, mais au fond, ce sont un peu des philosophes des Lumières avant les Lumières.
Ça met en lumière la “comédie sociale”.
Tandis qu’il se promène dans les différentes couches de la société du XVIIe siècle, tandis qu’il met en scène des dialogues entre ses personnages fictifs, La Bruyère révèle l’hypocrisie du théâtre de la ville et de la cour. Tout le monde y est à la fois acteur et public, on se toise, on se juge. D’où l’importance d’être “honnête homme”, dans ce monde de faux-semblants, de comédie.
Ça nous remet à notre place.
On a beau être séparés des Caractères par trois siècles et 35 ans, il est toujours assez angoissant de lire un portrait dans le livre et de se dire : “Mais je l’ai croisé hier, ce mec”. Rien ne change : on reste obsédés par le paraître, par l’argent, par le pouvoir, par nous-mêmes… Même les observateurs pessimistes, comme La Bruyère, restent les mêmes. Tout ce qui a changé entre-temps, c’est qu’on a inventé Internet : maintenant on est toujours aussi toxiques et narcissiques, mais beaucoup plus vite. Et tellement plus efficacement.
Donc la prochaine fois que quelqu’un vous fera un sale coup ou vous insultera, gardez votre calme et faites plaisir à Jean de La Bruyère : soyez une honnête femme ou un honnête homme. Respirez amplement, la tête haute et rentrez chez vous. Puis abonnez la saleté qui vous a causé du tort à toutes les newsletters possibles et imaginables : c’est vous qui devez être honnête, pas votre alter ego maléfique du Web.