Tu as “oublié” de lire Gargantua et le bac de français, c’est demain ? Pas de panique, on te résume le livre, et au passage, on te donne quelques pistes de lecture qui feront, à n’en point douter, leur petit effet auprès des interrogateurs.
Publicité
Alors…
Quand, en 1535, François Rabelais termine Gargantua, la France est un pays de culs-terreux où tout le monde jette son caca par les fenêtres, brûle des “sorcières” en se flagellant le dos et en récitant des psaumes. On se prend toutes les semaines une nouvelle épidémie dans la tronche, et dans le doute, on blâme les Juifs pour ça.
Publicité
Mais pendant ce temps-là, en Italie, c’est la Renaissance. On parle philosophie, littérature, économie, science, on découvre l’Amérique et on redécouvre les textes de ces beaux gosses de Grecs. Bref, la Renaissance, c’est la classe, et elle pointe le bout de son nez en France, notamment avec Rabelais.
Vu de loin, on aurait vite l’impression que Gargantua est une histoire débile, pleine de blagues scatophiles, écrite par un mec plus ou moins bourré dans un français imbitable du XVIe siècle. Et bon, dans un sens, on n’aurait pas tout à fait tort, mais ce serait passer à côté du véritable sens du roman : sa visée humaniste.
Publicité
Parce qu’entre une blague sur le pipi et une blague sur le caca, Rabelais veut faire passer un message humaniste : “D’accord, la religion et la guerre, c’est sympa, mais vous savez ce qui est encore mieux ? La science et la culture. Et il serait peut-être temps qu’on sorte de notre Moyen Âge tout claqué pour entrer dans le futur.”
Ça parle de…
Gargantua, donc, de son enfance, de son éducation, de ses aventures… De sa vie, quoi. Et j’hésite à le préciser mais ça vaut peut-être le coup pour ceux qui n’ont même pas jeté un coup d’œil à la couverture du livre : Gargantua est un géant. Donc il lui faut des vêtements géants, des meubles géants, des jouets géants, des repas géants : il lui faut tout géant.
Publicité
Voilà, on s’en claque pas les cuisses non plus, mais il faut admettre que c’est un peu rigolo, comme postulat de départ, vous ne trouvez pas ? Eh bien, vous allez faire un effort et trouver ça un peu rigolo. Après une jeune enfance assez libre vient le temps pour Gargantua de passer par la case école.
Plusieurs professeurs essaient de lui faire apprendre la grammaire ou l’algèbre, mais rien n’y fait : il ne s’y intéresse pas. Les enseignements qu’il reçoit sont trop classiques, trop rigides, et l’abêtissent plus qu’autre chose. Mais ça, c’est jusqu’à ce que Ponocrates arrive.
Ponocrates est un professeur humaniste : au lieu de bourrer le crâne de son élève avec des informations abstraites à apprendre par cœur, il lui donne une éducation morale, physique, concrète, curieuse de tout et développe son esprit critique.
Publicité
Pendant ce temps-là, une dispute absurde éclate entre des bergers du royaume de Gargantua et des bergers du royaume à côté, ce qui n’aurait pas été grand-chose si le roi à côté n’avait pas été Picrochole, un mec énervé de chez énervé. Quand il entend parler de cette dispute, Picrochole envoie ses hommes saccager les terres de Gargantua.
Et c’est là que le personnage le plus iconique du bouquin entre en scène : frère Jean des Entommeures. En temps normal, c’est un moine qui fait ses prières au calme, mais quand les troupes de Picrochole commencent à piétiner les vignes de son abbaye, son sang ne fait qu’un tour : il sort et tabasse tous ces hérétiques qui touchent à son raisin. Le vin, c’est sacré.
Quand il entend parler de frère Jean, Gargantua l’invite à un festin organisé pour fêter une victoire. Les deux s’entendent à merveille : comme Gargantua, frère Jean aime beaucoup manger, beaucoup boire, beaucoup se battre et, un peu plus étonnant pour un moine, beaucoup blasphémer. Mais c’est ça qui fait tout le charme de frère Jean des Entommeures.
Publicité
Seulement, après ce festin, frère Jean repart à l’attaque tout seul et se fait capturer par Picrochole. Gargantua lève tout de suite des troupes pour faire libérer son nouvel ami – qui n’a en réalité pas besoin de secours puisqu’il tue ses deux gardiens et fait un carnage à l’arrière de l’armée de Picrochole. Il revient vers Gargantua avec six otages, dont Toucquedillon, le capitaine de Picrochole. Fucking frère Jean, il est tellement cool.
Re festin : Gargantua fait un discours pour expliquer que la guerre, c’est pas joli joli, avant de libérer Toucquedillon pour qu’il aille dire à Picrochole qu’il faut faire la paix. Mais Picrochole, c’est un guedin, il est tellement colère qu’il tue Toucquedillon. Du coup, Gargantua, ni une ni deux, il fout le feu au château de son ennemi juré, qui s’enfuit comme le pleutre qu’il est.
Re re festin : Gargantua libère les prisonniers, jette de l’argent sur tout le monde comme si c’était un clip de rap, récompense ses alliés et offre une abbaye à frère Jean. Cette abbaye, c’est l’abbaye de Thélème, et frère Jean va en faire un lieu utopique où la seule règle, c’est : “Fais ce que tu veux.” Pas de contraintes, pas d’interdits, “liberté, égalité, fraternité”, tu connais.
Une dernière chose : dans les fondations de l’abbaye, il y a une énigme, un message codé. Qu’on pense le comprendre ou non, Rabelais termine son roman sur un mystère sans solution, comme pour nous inciter à creuser, à revenir sur nos pas et à réinterpréter certains chapitres, à nous aventurer dans tous les sens de l’œuvre, avec joie.
Et c’est intéressant parce que…
Il faut décrypter l’œuvre.
Rien n’est univoque, dans Gargantua, tout a plusieurs sens. Sous le rire, les blagues, les jeux de mots se trouve la “substantifique moelle” de l’œuvre, comme dit Rabelais, c’est-à-dire ce qui nourrit, ce qui donne matière à réflexion, le meilleur de l’os. Mais pour l’atteindre, il faut creuser.
C’est une œuvre humaniste.
Il y a de nombreux parallèles avec l’Histoire : Picrochole est un double de Charles Quint, l’agressif ennemi de François Ier qui, lui, trouve un écho dans le personnage de Gargantua. En filigrane, Rabelais dénonce la guerre et prône la paix, la culture, la science, comme il dénonce le snobisme des nobles quand il retrace la généalogie de son personnage, le jargon des médecins quand il décrit la naissance du géant, la bêtise de certains enseignements quand il fait défiler les professeurs. Et le pendant positif de cette critique est toujours le même : l’humanisme, la liberté, l’ouverture, la sagesse.
Le roman mêle rire et savoir.
L’œuvre tout entière est construite sur cette relation entre rire et savoir, jusque dans la structure même du roman, qui alterne entre chapitres drôles et chapitres plus sérieux. Cette relation entre rire et savoir trouve son incarnation dans un motif en particulier, celui du festin. On s’y rassemble pour boire et manger, rire et parler. La soif et la faim y sont aussi intellectuelles que physiques. C’est, pour Rabelais, un exemple de société idéale, où le “gai savoir” préside.