Adolescente, Hélène Tchen Cardenas a grandi avec les standards très blancs, blonds et filiformes des années 2000. La prise de conscience qu’elle n’avait jamais vraiment trouvé de représentations qui lui correspondaient dans les médias, les publicités ou le cinéma l’a attrapée plus tard, alors qu’elle avait déjà débuté la photo en autodidacte et choisissait, “inconsciemment au début”, des modèles qui lui ressemblaient, qu’elle aurait aimé voir plus jeune.
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“Quand j’ai commencé la photo, j’ai penché naturellement vers des personnes qui partageaient mon vécu, des personnes racisées, que je trouvais magnifiques. Je n’avais pas forcément envie de me tourner vers des profils déjà largement mis en avant. Je pense que j’avais envie de me réparer aussi. Je me suis déconstruite et je me suis politisée en voyant comment socialement on était perçues en tant que personnes racisées.”
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“La photo, c’est un super outil d’exploration”
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C’est pour réparer l’enfant qu’elle était et préparer un avenir plus doux pour l’adulte qu’elle est devenue, pour celles et ceux qui l’entourent, qui lui ressemblent ou pas, et ce malgré la violence politique actuelle, que l’artiste sublime et interroge les identités multiples et la myriade de formes que revêt la beauté. Vivant en France, née d’une mère colombienne et d’un père sino-états-uniens, elle a trouvé dans sa quête photographique un apaisement vis-à-vis de sa propre multitude et de ce qu’elle choisissait d’être :
“Culturellement, j’ai peu baigné dans la culture chinoise et beaucoup plus dans la culture colombienne de ma mère. Je ne me percevais pas comme une personne chinoise, tandis que c’est ce que la société me renvoyait, à renfort de racisme antiasiatique et de clichés. J’ai appris à me rapprocher de mon côté chinois grâce à la photo, grâce à des modèles chinois·es. Ça a accompagné ma volonté de déconstruction, notamment en mettant en lumière et en sublimant des femmes asiatiques, des femmes chinoises. La photo, c’est un super outil d’exploration, ça m’a aidée à prendre beaucoup de recul sur moi.
Avant, c’était compliqué de vivre ma triple culture ; aujourd’hui, c’est plus calme, je vois toute la beauté d’être multiculturelle, de toutes mes cultures – sachant que je suis Française aussi, ça fait partie de moi. Je ne maîtrise pas toute mon identité, toutes mes identités, mais maintenant, je sais que je n’ai pas besoin d’être dans ces stéréotypes, dans ce qu’on attend de moi, parce qu’il y a 1 000 manières d’être Chinoise, Colombienne, Française, Sénégalaise, Congolaise…”
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Lié·e·s dans la multiplicité
Si l’origine des questionnements d’Hélène Tchen Cardenas est personnelle, son travail vise le collectif, en témoigne le nom de son exposition présentée du 5 au 7 juillet à Paris, “Closer to us”. “J’ai creusé des semaines avant de trouver ce nom, il souligne la proximité qu’on a avec notre identité. Le ‘nous’, il englobe le personnel, dans l’idée qu’on peut se retrouver soi-même et le pluriel s’inscrit dans l’idée de partage, de bienveillance, de communauté qu’on trouve et qu’on se crée, parce qu’on ne se retrouve pas forcément dans tout. Le but est de se retrouver là où on veut et pas forcément là où on pense qu’il faut qu’on soit”, déroule la photographe.
La nécessité de la bienveillance, Hélène Tchen Cardenas l’a retrouvée chez les personnes qu’elle immortalise, chez celles qui font communauté dans leur pays d’origine ou dans la diaspora, à l’exemple de son amie Claudia Rivera, qu’elle photographie depuis plus de deux ans et qui est à l’origine de nombreux événements réunissant les communautés latino-americaines à Paris. Après un séjour en Colombie aux airs de voyage initiatique, Hélène Tchen Cardenas a fait la paix avec un syndrome de l’impostrice qui peut habiter les diasporas : “Par exemple, maintenant, j’écoute beaucoup plus de musiques traditionnelles, c’est quelque chose que je n’osais pas trop intégrer dans mon quotidien avant, je ne savais pas si j’étais assez colombienne pour avoir le droit de faire ça.”
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Au fil de ses rencontres avec des individualités et des façons de vivre collectivement sa multiculturalité, elle sublime les identités et les façons de se présenter au monde : “Aux États-Unis notamment, où j’ai vu la différence des représentations latines-américaines avec la France, où les richesses de la diversité ne sont pas comprises de la même façon. […]En Colombie, j’ai pu revoir ma famille et dialoguer avec beaucoup de femmes autour de leur féminité […]. J’aime beaucoup travailler les mises en beauté, quand je shoote en studio, je fais des moodboards avec mes idées sur ce que je trouve beau, des inspirations par rapport à des coiffures traditionnelles, des maquillages complètement imaginés et fantasmés qu’on ne pourrait pas trop faire dans la vie mais qu’on peut faire vivre le temps d’une photo avec une équipe.”
Les shootings deviennent ainsi des espaces de liberté et de création qui infusent la vie du dehors, celle où “on subit le patriarcat, le sexisme, [où il est] dur de s’assumer et de s’exprimer” : “Je commence à oser me maquiller plus, à m’habiller de façon plus originale, avec des trucs que je mettrais dans des shootings, j’ai envie d’explorer ça.” Cette exploration est en mouvement, son esthétique aussi, bien qu’elle réussisse à poser des mots pour la définir “quelque chose de très doux, très féminin, très coloré, dans une volonté de sentir l’intimité, avec un œil proche de la mode et de l’art en général”.
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Dans “Closer to us”, elle n’expose pas seulement ses photographies mais présente également des témoignages vidéos de personnes issues de deuxième et troisième générations d’immigré·e·s : “J’ai posé ma caméra et elles me parlaient de leur vécu en France, de la construction de leur identité. Je voulais avoir des témoignages naturels, authentiques, ça m’a fait du bien. Je voulais montrer nos vécus, souvent invisibilisés, de façon un peu moins sensationnalistes que dans les médias. Il y a davantage de dialogues autour des double et triple identités, mais est-ce qu’on en parle assez ?”
En exposant des profils qui l’inspirent, des portraits qui l’émeuvent, Hélène Tchen Cardenas créé un espace de liberté, d’ouverture des possibles, où tout reste à imaginer, où toutes les individualités ont la place d’exister dans leur multiplicité et leurs questionnements, dans “leurs certitudes, leurs peurs mais aussi dans leurs espoirs”, de l’intime à la représentation sociale.
L’exposition “Closer to us” d’Hélène Tchen Cardenas sera visible du 5 au 7 juillet 2024 à l’Espace Temple, situé au 139 rue du Temple, à Paris. L’artiste Nicole présentera une performance lors du vernissage, le 5 juillet, de 19 heures à 21 heures.