Vaincre ou mourir aurait juste pu être un mauvais film, une fiction d’époque complètement ratée. Si seulement ça n’avait été que ça. Mais il y a bien plus qu’un film en tenues d’antan derrière cette production. Le long-métrage est un pur produit du parc français et de tout ce qu’il représente de plus problématique.
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Car oui, le Puy du Fou, deuxième parc le plus visité de France derrière Disneyland Paris, est loin de n’être qu’un lieu bon enfant aux shows spectaculaires purement au service du divertissement.
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Le Puy du Fake
Fondé en 1978 par l’ancien député vendéen et député européen Philippe de Villiers, le Puy du Fou a d’abord été un seul spectacle, appelé Cinéscénie. Face aux nombreux spectateurs, le show devient progressivement un parc à thème… et à succès. Il attire chaque année plus de deux millions de visiteurs, a remporté deux fois le prix de meilleur parc d’attractions au monde et dispose d’un savoir-faire indéniable dans l’art du spectacle. Les shows y sont impressionnants et d’une réelle qualité visuelle.
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Mais son approche de l’Histoire attise la colère des historiens, qui, depuis les années 1980 tentent de débunker les approximations mises en scène par le parc. Le Puy du Fou n’était encore qu’un spectacle nocturne que déjà deux historiens s’inquiétaient de sa réécriture contre-révolutionnaire.
En 2022, un livre, Le Puy du Faux : enquête sur un parc qui déforme l’Histoire écrit par quatre historiens français, a définitivement mis en lumière les erreurs et simplifications émises par le parc au service d’une propagande diffuse. L’enquête prouve qu’au Puy du Fou, “le diable se niche dans les détails”, des hôtels thématiques au scénario manichéens voire réactionnaire des spectacles, dont Philippe de Villiers est l’unique plume.
Surtout, les quatre auteurs constatent sans détour le combat culturel et politique de l’homme :
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“Philippe de Villiers insiste sur le fait que la création même du parc vient d’abord d’une dette morale envers le ‘génocide vendéen'”.
Un terme largement réfuté par les historiens, dont l’un d’eux explique longuement sur le blog de Mediapart. Le Puy du Fou n’est pas qu’un parc a thème, c’est un lieu de soft power finement mené par des membres de la frange très à droite de France. Rappelons que Philippe de Villiers est le fondateur du parti souverainiste Mouvement pour la France.
On ne parle pas d’un artiste à la Walt Disney qui fantasmait d’un pays des rêves sur lequel il a su capitaliser et créer une machinerie démesurément rentable, mais d’un homme politique en mission, qui discrédite des universitaires dans ses livres, qui rêve avec nostalgie d’une France royaliste au service des élites et fantasme des villages croyants heureux où les luttes des classes et les femmes n’existent quasiment pas.
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Ceci alimente l’obsession d’une frange de la droite la plus extrême d’une France d’antan, d’une France puissante — de la monarchie, en réalité. C’est n’est pas pour rien que lors de l’avant-première du film, de nombreux partisans ont crié, au premier degré, “vive le roi”. C’est l’idéologie prônée par le parc, et la vision biaisée qu’il raconte de l’Histoire de France — en tout cas, de l’épisode précis de l’après-Révolution.
La sortie du film a le mérite de lancer un débat nécessaire sur ce lieu. Car le Puy du Fou dispose d’un capital sympathie immense. Énormément de stars françaises y passent et nombreux sont les programmes télévisuels qui font des partenariats avec le lieu pour de larges audiences. C’était le cas de M6 en 2021 encore avec Patrick Bruel, Amel Bent ou Bénabar au casting.
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Le nom fait presque partie de la culture populaire française, au point d’en faire une exception incompréhensible pendant le Covid. Le parc avait obtenu une dérogation du préfet pour accueillir 9 000 spectateurs au lieu des 5 000 autorisés. Une exception jugée comme injuste, alors que le milieu culturel traversait une des pires crises de son histoire.
Philippe de Villers avait même remercié le président Macron pour “avoir transféré le dossier du Puy du Fou au Conseil de défense”.
Un lieu d’entre-soi élitiste
Le Puy du Fou est une histoire de famille : fondé par le père, c’est désormais le fils, Nicolas de Villiers, qui en est président – et avec lui, ses idéologies. Ce dernier est un homme d’affaires en train de fortement contribuer à l’expansion de l’empire du Puy du fou.
Nicolas de Villiers est également un des producteurs de Vaincre ou mourir. Le film est l’adaptation d’un spectacle du parc, Le Dernier panache, l’histoire romancée du général Charette, en 1793, pleine guerre de Vendée et de son combat contre les méchants révolutionnaires — on caricature malheureusement à peine. Le fond et la forme du film ayant déjà été largement analysés, voyons plutôt qui est aux commandes de ce navet.
Le film rend hommage aux 200 000 personnes décédées lors de cette guerre de Vendée durant La Terreur. Le problème du film, c’est qu’il commence par l’interview de trois historiens puis, dans la foulée, entame son récit, sans transition. Le message nous semble clair : le film nous que liasse pense que ce que nous allons voir est l’Histoire. Et c’est là tout le problème.
Des crimes de guerre ont été commis durant cette période de l’Histoire de France, c’est indéniable. L’époque est même encore étudiée et analysée. Mais Vaincre ou mourir a la prétention de se présenter comme une réponse. Pire, un outil pédagogique est mis à disposition (il est encore une fois contesté par un historien qui a travaillé sur le film au tout début du projet avant de se retirer).
Les deux réalisateurs, Vincent Mottez et Paul Mignot, sont des novices qui signent ici leur premier long-métrage, qui aurait coûté moins de 5 millions d’euros. Les producteurs ne sont que des hommes liés au parc du Puy du Fou. Est-ce grave de faire un film comme ça ?
Guillaume Lancereau, historien spécialiste de la Révolution française et co-auteur du Puy du Faux nous répond :
“Se servir des faits historiques pour produire un récit, ce n’est pas grave du tout. On fait ça depuis toujours. Alexandre Dumas l’a fait. On a le droit aussi d’avoir une approche documentaire avec des spécialistes. Le problème du film, c’est qu’il mélange les deux. Ce film devait être un documentaire à l’origine, mais ils en ont finalement fait un film. Il aurait fallu choisir.
Le film n’explique rien. Le but n’est pas de raconter l’Histoire, mais de présenter des valeurs en lutte. L’aristocratie contre la république. Le bien, le mal. L’interview des historiens au début du film sert d’argument d’autorité, c’est ça qui est gênant.”
Un distributeur aux ambitions religieuses claires
On connaît donc les producteurs, mais c’est peut-être le distributeur du film qui est le plus intéressant. C’est grâce à lui que le film est diffusé dans les salles de France — sur plus de 230 copies, ce qui est vraiment conséquent. Il s’agit d’une boîte appelé Saje Distribution, spécialisée dans la diffusion des films chrétiens. Une entreprise prolifique puisqu’en quelques années, Saje a multiplié les diffusions et a même carrément lancé sa plateforme sobrement appelée Films Chrétiens.
Pour 8,99 euros par mois, vous avez accès à un catalogue de plus de 150 films du genre Faith Based, des films sur la foi. La plateforme faisant largement la promotion de Vaincre ou mourir, la volonté évangélisatrice de l’œuvre est claire. Ce n’est pas son directeur qui dirait le contraire : Hubert de Torcy est le fondateur de Saje et il ne laisse absolument aucun doute sur l’objectif de sa démarche.
“Le cinéma est pour moi un média unique pour annoncer l’Évangile au plus grand nombre.”
Depuis 2014, Saje est le seul distributeur en France à être spécialisé dans les films chrétiens. Croyez-nous, il y a eu un créneau à prendre. Le genre cartonne aux États-Unis, patrie dont la vision de l’évangélisation par les médias inspire beaucoup le distributeur. D’ailleurs, il disait en 2016, dans KTO Mag (drôle) :
“Mon projet, c’est de contribuer à l’évangélisation de notre pays par la culture et les médias”.
En 2019, il s’était fendu d’une tribune hallucinante dans La Croix pour dénoncer “la manipulation” du film de François Ozon sur les abus sexuels du père Preynat à Lyon à travers le film Grâce à Dieu. En toute détente, Hubert de Torcy lance :
“C’est bien regrettable que François Ozon ait préféré la caricature plutôt que d’aborder ce qu’il perçoit comme une ambiguïté.”
La suite, quand on sait tout ce que contient Vaincre ou mourir, est aberrante :
“François Ozon nous fait croire qu’il a fait quasi-œuvre documentaire, affirmant avoir repris textuellement les contenus des messages échangés. L’insistance sur les lectures de ces courriers en voix off est indigeste, mais c’est une bonne manière d’endormir le spectateur en lui faisant croire que tout ce qu’il voit est vrai.
Tous les noms, côté Église, sont d’ailleurs les vrais.”
Toutes les critiques émises sont celles qui s’appliquent au film du Puy du Fou. Sauf que de Torcy donne son avis personnel sur des faits jugés par la justice, alors qu’un réel travail d’enquête a été réalisé par des historiens sur les inexactitudes du Puy du Fou que ses équipes essaient de faire passer pour des vérités historiques.
En cherchant un peu, il est également facile de trouver qu’Hubert de Torcy était signataire d’une pétition pour un recours constitutionnel contre le mariage pour tous en 2014. On a envie de dire : la messe est dite. Il y a quelques jours encore, il réalisait une chronique pour le diocèse de Monaco pour parler de Vaincre ou mourir (en se passant bien de préciser son rôle).
Parmi l’équipe de Puy du Fou production, il y a d’ailleurs un ancien de chez Saje, qui déplorait auprès d’Allociné en 2019 que les films sur la foi ne soient pas aussi mainstream qu’aux États-Unis. La faute, selon lui, à “une vision plus stricte de la laïcité en France qui ne facilite pas toujours les choses”.
C’est donc la faute de la laïcité, pas de l’idéologie.
Un empire en développement
Le Puy du Fou est plus qu’un parc à thème. C’est un empire. Ce premier film n’est qu’une étape de son expansion. Le lieu s’exporte déjà, en Espagne notamment, où exactement les mêmes choses sont reprochées à l’écriture du spectacle par des historiens. Des implantations en Italie et en Autriche sont également à venir. Plus loin encore, le Puy du Fou vient de signer un contrat de 75 millions de dollars avec la nation Cherokee dans le Tennessee, aux États-Unis.
Quand on connaît la situation des peuples autochtones dans la société américaine, peut-on imaginer qu’une entreprise française très à droite sache rendre hommage à leur récit empreint d’oppressions par les gouvernements américains depuis des siècles ? Le spectacle prévu sera centré sur les Cherokees qui ont combattu pour les États-Unis, lors de la Première Guerre mondiale.
Le Puy du Fou n’a pas fini de se répandre. Ses critiques non plus.