Il s’appelle Bellisha, il a 27 ans, et il ne voit aucun problème à être le dernier des Juifs de sa cité. Giselle, sa mère, est malade. Elle sort peu de l’appartement mais elle veut partir, en Alsace ou en Israël, pour surtout ne pas être la dernière. Bellisha tente de la préserver de la réalité de cet exode à la façon du jeune Alexander dans Good Bye, Lenin!, en lui soutenant que le poulet halal provient de l’épicerie casher du quartier qui a en réalité mis la clé sous la porte.
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Plus grave, il lui dissimule aussi les tags antisémites dont ont été recouverts les murs de leur salon lors d’un cambriolage ciblé car notre héros, nonchalant et mythomane, aspire surtout à la tranquillité d’esprit. Et grâce à ce Charlot innocent et tout de guingois, le potentiel anxiogène et clivant de Le Dernier des Juifs est perpétuellement désamorcé.
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Pour son galop d’essai en tant que réalisateur, Noé Debré a choisi de s’attaquer à la question délicate de l’exode des Juifs des quartiers populaires sur fond d’actualité inquiétante. Scénariste émérite de Jacques Audiard, Tom McCarthy, Romain Gavras ou de la bien-aimée série Parlement, il parvient à livrer un film un peu absurde mais surtout plein d’humour et de délicatesse grâce à une écriture intelligente et des acteurs fantasques.
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Entretien.
Konbini | Est-ce un réalisateur avec qui tu aurais collaboré qui t’a donné cette envie de réalisation ?
Noé Debré | Avant le long-métrage, j’ai réalisé trois courts-métrages [On n’est pas des animaux, Une fille moderne et Le septième continent], et l’envie du premier m’est venue car j’ai eu une idée de rôle pour un comédien. Dans ces cas-là, on ne peut pas aller voir un réalisateur pour lui dire qu’il faut tourner notre scénario avec tel comédien, il faut le faire soi-même. Cette première expérience de court-métrage m’a plu et, à chaque fois, j’ai été tiré par mon désir de diriger un comédien spécifique.
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Ç’a été la même chose pour Le Dernier des Juifs, j’ai d’abord eu l’idée de ce personnage pour Michael Zindel. Mais quand j’ai préparé mon film, j’ai beaucoup repensé à mon travail avec Jacques Audiard. Quand je faisais mes courts-métrages, je travaillais en même temps avec Héléna Klotz sur le scénario de La Vénus d’argent et le dialogue que j’ai eu avec elle a beaucoup infusé chez moi.
Tu aurais accepté que quelqu’un d’autre réalise ce scénario ?
Oui, je pense que j’aurais pu le donner à quelqu’un d’autre, mais ç’aurait été une expérience totalement différente. Mais en vérité, c’est très rare que j’écrive tout un film et que je le donne à un réalisateur. Il y a souvent une collaboration pour essayer de trouver quel scénario fonctionne à l’intérieur du cinéma de tel réalisateur. Ça n’aurait donc pas été le même film, mais la question ne s’est pas posée.
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Est-ce que savoir qu’on va réaliser le scénario modifie le processus d’écriture ?
Oui, ça change tout, parce qu’on se pose en permanence la question de savoir si on est capable de mettre en scène. Par exemple, il n’y a pas de violence dans mon film car je ne me sentais pas capable de la mettre en scène. Pourtant, j’ai travaillé avec Jacques Audiard et Romain Gavras, mais la violence m’intimidait. Puis organiquement elle ne trouvait pas sa place dans le film. Mais je me souviens avoir envisagé une scène de violence un peu “chaplinienne” pour imaginer ce qui arriverait à Bellisha s’il se faisait agresser. J’aurais voulu que ça tourne un peu au clown mais ça m’a trop impressionné.
Comme tu réalisais ton scénario, est-ce que tu t’es permis un peu plus de libertés sur le tournage ?
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J’ai beaucoup travaillé avec des réalisateurs qui ne se sont pas privés de prendre des libertés avec mon scénario. Une fois que le scénario est en tournage, tout tient au réalisateur de toute façon. En ce qui me concerne, on avait prévu des espaces d’improvisation. J’ai appris ça chez Audiard qui prévoit toujours un “cahier B”, c’est-à-dire des pistes d’improvisation qui pourront être intéressantes au montage. On a tourné beaucoup de “cahiers B” et on en a gardé beaucoup dans le film.
Selon Agnès Jaoui, ce qu’on voit à l’image correspond vraiment à ce qu’il y avait dans le scénario, mais moi, je n’en ai pas trop conscience. Mais les réalisateurs ont souvent tendance à se raconter que tout est né sur le plateau même quand factuellement ce n’est pas vrai. Ça fait partie du processus créatif d’un film de réinventer les choses.
Est-ce le scénario le plus difficile que tu aies eu à écrire ?
Non, au contraire, c’était un scénario très facile à écrire, car une fois que tu as l’idée de ton personnage, il existe et il te guide, alors que lorsque tu n’as qu’une situation ou un sujet en tête, tout est à faire. Mon personnage m’a apporté le ton et la forme donc je savais exactement ce qui était en dedans ou en dehors du film.
Quelles ont été tes références en termes de comédie ?
J’ai beaucoup pensé aux films italiens des années 1960, aux films de Fellini, à Amarcord ou à Les Vitelloni par exemple, ou aux films d’Ettore Scola, de Dino Risi, comme Parfum de femme, des longs-métrages qui sont souvent des satires sociales et qui tapent là où ça fait mal mais à l’intérieur d’un registre comique et poétique assumé. Dans mon film, le personnage de la maîtresse jouée par Eva Huault est très inspiré des films italiens qui ont souvent des personnages très jouisseurs. Avec Michael, on a aussi beaucoup parlé de Punch-Drunk Love qui est essentiellement tenu par son personnage principal.
Et à l’inverse, vers quel genre de comédies tu ne voulais pas tendre ?
Sans les nommer, il y a tout un registre de films et de comédies en France aujourd’hui qui exaltent une identité, qui se font à l’intérieur d’un “nous” pour visibiliser certains groupes sociaux. Ça peut faire de bons films mais ça m’exaspère un peu car c’est un peu le contraire du cinéma selon moi. Je ne voulais pas faire un film identitaire pour lequel on aurait dit : “C’est le film pour représenter les Juifs.” Mais je pense que le film déjoue cette attente.
As-tu envisagé un temps de ne pas inscrire ton récit dans un registre comique vu la sensibilité du sujet ?
Non, pas vraiment. J’ai eu l’idée de faire un film sur le sort des Juifs des quartiers populaires puis j’ai eu un mouvement de recul car la première idée qui m’est venue, c’était une sorte d’American History X, et ce n’était pas ce que je voulais. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée du personnage inspiré par Michael qui m’a amené à penser à L’Arabe du futur. Riad Sattouf est très bon pour arriver à raconter la grande Histoire dans un registre comique.
Est-ce que pour entrer dans ce registre comique il y a certains aspects de l’antisémitisme sur lequel tu t’es autocensuré ?
Non, je ne me suis pas posé de questions de cet ordre. Tout ce qui est dans le film, ce sont des choses qu’on m’a raconté. C’était une règle que je m’étais fixée car je ne viens pas de là. Il y a des choses que je n’ai pas abordées car elles me semblaient exogènes à mon sujet, par exemple le trafic ou la délinquance. Mais ce n’était pas pour les censurer, c’était juste parce que ça tombait à côté, donc j’y ai fait allusion sans les traiter.
Comment pousse-t-on des gens qu’on ne connaît pas à évoquer des sujets aussi intimes que la religion et des expériences aussi personnelles que l’antisémitisme ?
J’ai proposé à Elie Benchimol, un copain qui avait joué dans mon deuxième court-métrage, de m’aider sur ce travail de recherche, car il a un contact très facile. Il a été en banlieue, surtout dans le 93, à la rencontre de Juifs qui habitent toujours là. Il a également beaucoup fréquenté de synagogues. Moi, j’aurais été nul, car ça me terrorise, mais Elie vient d’un milieu religieux, donc il a les codes, ça rassure. Puis il est comédien, il a l’œil sur ce qui fait cinéma, donc quand quelqu’un lui semblait intéressant, il me faisait un petit compte rendu et je le rencontrais.
As-tu pris plus de précautions sur le scénario en le soumettant à davantage de lecteurs ? As-tu eu plus de retours ou d’ajustements à faire ?
Quand je faisais lire mon scénario, je pense que j’étais dans l’expectative de ce qu’on allait me dire du sujet, mais ce n’est jamais arrivé parce que le film s’est affirmé comme un film de cinéma assez tôt. Bellisha désamorce beaucoup de situations et cette fonction agissait déjà à l’écrit, le ton était tout de suite très clair. Et j’ai fait lire ce scénario à un moment où les gens étaient “mûrs” sur le sujet. Si je l’avais écrit en 2005, je pense que j’aurais rencontré plus d’incompréhensions, alors qu’aujourd’hui, l’antisémitisme est établi dans la tête des gens.
As-tu fait ce film car toi aussi tu as pu minimiser l’ampleur de l’antisémitisme en France par le passé ?
Quand j’ai eu l’idée du film, ça m’a rappelé une conversation sur l’antisémitisme que j’avais eue quelques années plus tôt avec une jeune femme que je ne connaissais pas. Pour moi, elle exagérait, jusqu’à ce qu’elle me dise que ses parents vivaient dans une cité et que dans leur cage d’escalier, il y avait écrit “Vive Mohammed Merah”. Ça m’a coupé le sifflet et je me suis alors rendu compte que c’était évidemment une histoire de classe et que, si je n’en avais jamais fait l’expérience, ça existait. Je voulais donc aussi sortir du fantasme ou du déni et aller voir.
Tu pourrais un jour réaliser le scénario de quelqu’un d’autre ?
Oui, j’adorerais ! Je pense que de nombreux réalisateurs ont le fantasme de réaliser un scénario qu’ils n’auraient pas eu besoin d’écrire, mais en France, c’est assez rare. Ça arrivera peut-être… Sinon, j’ai repris mes activités de scénariste. La saison 4 de Parlement entre en tournage dans un mois et j’ai toujours un rôle de supervision et d’accompagnement. J’ai une autre série qui se tourne mi-mai que je dois finir d’écrire, et après ça, j’arrête la série. J’en ai fait beaucoup depuis le Covid-19 et j’avoue que le souffle du cinéma me séduit davantage.
Cette première expérience de réalisation t’a-t-elle modifié en tant que scénariste ?
Oui, c’est certain, j’écris un peu différemment désormais. Mais c’est tout un trajet, car lorsqu’on est scénariste, on apprend une mécanique de scénario que l’on doit ensuite désapprendre pour écrire des choses plus intéressantes, et le fait de mettre en scène aide à désapprendre la mécanique. C’est comme apprendre le code de la route puis faire des heures de conduite, ça aide beaucoup. Mais le fait de réaliser n’est pas non plus nécessaire pour être un bon scénariste.
On s’était vus il y a trois ans au moment où les scénaristes français avaient pris la parole sur leurs conditions de travail et le manque de reconnaissance. Est-ce que les choses ont changé depuis ?
Oui, il y a eu l’explosion puis la déflation de la télé suite au Covid-19 puis la prolifération des plateformes et désormais leur fermeture. Il y a eu une multiplication des séries, qui a donné du travail à beaucoup de gens, mais ça semble se calmer. En France, il y a des obligations d’investissement, donc la production est assez stable, mais on n’est plus dans une phase d’expansion actuellement.
Ce n’est pas plus mal car on produisait des heures incalculables de séries que les gens n’avaient pas le temps de regarder. Je suis sidéré d’à quel point on vit dans un système économique où on arrive à se persuader collectivement de choses absurdes, on ne doute de rien alors qu’il est quand même évident que la production était beaucoup trop importante.
Tu penses que la grève des scénaristes à Hollywood aura un impact sur la condition des scénaristes en France ?
Je n’ai pas tout suivi en détail car la grève portait beaucoup sur les royalties, alors qu’en France, la question se pose moins car les droits d’auteur sont inaliénables, on n’est pas dans le même système. Concernant l’intelligence artificielle, je suis dans l’expectative. Mais quand je vois certains scénarios Marvel, c’est presque comme s’ils étaient déjà écrits par des IA. Ce sont des condensés d’autres films où l’on aurait écrasé toutes les aspérités. Donc pourquoi pas les faire écrire par l’ordinateur ?
Ces vingt dernières années, Hollywood semble vouloir la répétition du même, mais pas de chance pour eux, si les ordinateurs sont désormais capables d’écrire des scénarios, il semblerait que le goût du public ait changé et que les Marvel aient cessé d’intéresser les gens. C’est un soulagement de penser qu’après les échecs que les studios ont essuyés, ils vont enfin recommencer à faire des films.