Au regard des récents évènements, la musique aussi se remet en question. Depuis la mort de George Floyd le 25 mai dernier, la lutte contre un racisme systémique aux États-Unis s’intensifie. Suite à cet évènement dramatique, les interrogations semblent dépasser le problème des violences policières envers les personnes de couleur.
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Petit à petit, le combat se généralise et ouvre la réflexion à tous les milieux, notamment à celui du divertissement. Qu’il s’agisse du monde de la musique ou de celui du cinéma, la question du racisme est tristement remise au goût du jour.
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“Urbain” : un terme “obsolète du passé”
La semaine dernière, à l’occasion du #Blackouttuesday et dans la continuité même du #Showmustbepaused, le monde de la musique ce 2 juin s’est arrêté de tourner. Le temps d’une journée, les labels, artistes et autres personnalités du secteur ont suspendu leur activité. Mais la lutte ne s’est pas arrêtée là, ouvrant la porte à des réflexions plus profondes.
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C’est ainsi que la qualification “Urban music” a à nouveau été remise en question. La semaine passée, le label américain Republic Records qui représente de célèbres artistes comme Drake, Ariana Grande ou Stevie Wonder a lancé un premier appel pour que ce terme ne soit plus utilisé dans l’industrie musicale.
De leur côté, ils ont notamment affirmé le 5 juin que :
“Dès à présent, Republic Records va supprimer “URBAIN” de ses vocables de description de départements, d’intitulés de poste, et des genres musicaux”, ajoutant qu’ils “encouragent le reste de l’industrie de la musique à le suivre [dans cette démarche], puisqu’il est important de former le futur en fonction de ce que nous aimerions voir, et non d’y ajouter les structures obsolètes du passé.”
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Une forme subtile de racisme
Le mot “urbain” a souvent été utilisé comme fourre-tout pour décrire des genres musicaux comme le hip-hop, le R’n’B, la soul et le rap. Ceci explique que son emploi soit aujourd’hui critiqué, puisqu’il est considéré comme un mot qui regroupe toutes les musiques d’artistes noirs, en un seul genre.
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Ce terme de “musique urbaine” comme l’affirmait le label est effectivement dépassé. Historiquement, cette expression est née dans la seconde moitié des années 1970, alors même que la musique afro-américaine trouvait doucement sa place sur les radios. Selon Billboard, c’est l’animateur new-yorkais DJ Frankie Crocker qui l’a utilisée pour la première fois afin de qualifier l’ensemble des genres musicaux joués sur sa station.
Son utilisation à l’époque était bien différente de celle d’aujourd’hui, qui contribue, selon de nombreuses critiques, à marginaliser les artistes noirs. Une distinction qui constitue pour beaucoup une forme subtile de racisme.
“La connotation du mot n’a pas un poids positif”, expliquait déjà en 2018 Sam Taylor, de chez Kobalt Music Group, la société de gestion des droits et d’édition. “Il rétrograde l’impact incroyable du R’n’B, de la soul et du hip-hop sur la musique. Et en tant que cadres noirs, nous avons le pouvoir d’éliminer le mot ‘urbain’ – de changer la description”.
Une vague de mobilisation
Depuis quelques jours, d’autres acteurs de l’industrie musicale américaine comme IHeartMedia Inc., la plus grande entreprise de radio aux États-Unis, ainsi que d’autres maisons de disques, ont répondu à l’appel de Republic Records.
Cette vague de mobilisation a ouvert la voie à la publication d’une lettre ouverte de militants britanniques, adressée aux acteurs les plus influents de l’industrie musicale au Royaume-Uni. Ils ont ainsi lancé cinq “appels immédiats à l’action”, pour demander notamment la suppression du terme.
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C’est finalement les Grammy Awards qui ont suivi le mouvement. L’organisation a en effet décidé de bannir le terme “urbain” de leurs catégories à partir de leur 63e édition qui se tiendra le 31 janvier prochain. Une décision lourde de sens quand on sait qu’elle vient de l’une des plus prestigieuses cérémonies du monde de la musique, qui a déjà fait l’objet d’accusations pour des actes discriminatoires.
La Recording Academy avait déjà remanié ses catégories, en réduisant par exemple leur nombre à 78 en 2011. En revanche pour la première fois, la liste des directives appliquées pour ces changements a été mise à la disposition du public.
Des règles plus transparentes et équitables
Le président et chef de la direction par intérim de l’académie des Grammys, Harvey Mason Jr., a déclaré à Variety :
“Beaucoup de créateurs et de personnes dans ce milieu n’aimaient pas cette description et estimaient qu’elle englobait plusieurs styles de musique.”
Ainsi, l’ancien Meilleur album urbain contemporain sera remplacé à partir de l’an prochain par le Meilleur album de R’n’B progressif pour donner plus de “flexibilité” à cette catégorie. Cette récompense permettra en effet de primer les albums “qui comprennent les éléments les plus progressifs du R’n’B“, ainsi que des “samples et des éléments de hip-hop, rap, dance et musique électronique” et “éléments de production présents dans la pop, l’euro-pop, la country, le rock, le folk et la musique alternative.”
Ces changements de catégories ont été annoncés pour que “les règles des Grammy Awards soient plus transparentes et équitables.” Une volonté d'”évoluer dans le paysage musical” qui fait suite aux interventions de plusieurs artistes.
Une manière politiquement correcte de dire le “N-word”
Cette question du mot “urbain” avait déjà été soulevée depuis plusieurs années. En janvier, c’était au tour de Tyler, the Creator de dénoncer l’emploi de ce terme. Dans une déclaration faite à la suite de sa victoire aux Grammy Awards du Meilleur album de rap pour son projet, IGOR, le jeune artiste de 28 ans avait alors déclaré :
“Ça craint que chaque fois que nous – et je veux parler des gars qui me ressemblent – faisons un genre, ils mettent toujours dans une catégorie rap ou urbain. Je n’aime pas ce mot ‘urbain’ – c’est juste une manière politiquement correcte de dire le ‘N-word’. Quand j’entends ça, je me dis simplement : “Pourquoi ne pouvons-nous pas être dans la pop ?”
Il faut reconnaître que cette qualification reste très floue et que la frontière avec la pop est parfois mince, voire inexistante. Le 4 juin dernier, Billie Eilish prenait elle aussi position, déclarant dans une interview accordée à GQ :
“Ne jugez pas un artiste sur son apparence ou sa façon de s’habiller. Lizzo n’était-elle pas dans la catégorie R’n’B ce soir-là ? Je veux dire, elle est plus pop que moi“, en référence directe à la victoire de Lizzo dans la fameuse catégorie Meilleur album de musique urbaine.
“Si je n’étais pas blanche, je serais probablement en ‘rap’. Pourquoi ? Ils jugent seulement votre apparence et parlent seulement de ce qu’ils connaissent. Je trouve ça bizarre. Le monde veut vous mettre dans une boîte“, conclut-elle.
De nombreux autres acteurs de la musique anglo-saxonne penchent aujourd’hui pour la suppression du terme “urbain”, assurant qu’il provoque une forme de racisme en atténuant notamment l’influence des artistes noirs dans la musique américaine et internationale depuis des décennies.