Bigflo & Oli viennent de sortir le clip de leur morceau “Ça va beaucoup trop vite”, et il fait polémique. La raison est simple : il a été entièrement conçu par intelligence artificielle !
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Ils l’annoncent dans les premières secondes : “On a donné nos paroles à une intelligence artificielle. Elle en a fait un clip. Le logiciel a généré 49 225 images. Aucun être humain n’a participé à la création de celles-ci.”
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Sur l’utilisation de l’IA, on peut tous avoir un avis, mais il y en a quand même des beaucoup plus concernés que d’autres. En première ligne sur le champ de ces transformations technologiques, les créateurs visuels.
Romain Garcin est photographe et directeur artistique en grande partie pour le rap. Lithopédion de Damso, Bitume Caviar Vol.01 d’Isha et Limsa d’Aulnay, Caméléon d’El Grande Toto ou encore le dernier album de MC Solaar, c’est lui. Et ce n’est qu’une partie de son CV bien fourni.
J’ai décidé de lui donner la parole pour éclaircir les enjeux derrière ce qui se présente comme une révolution technologique dans le monde de l’art.
Pourquoi cette démarche est problématique ?
“La problématique majeure de l’utilisation de l’IA pour créer des images est le fait que cette technologie fonctionne grâce à un pillage d’images appartenant à leurs créateurs sans autorisation. C’est du vol, tout simplement. Pour le dernier clip de Bigflo & Oli, sous couvert de ‘concept’ qui donnerait sens au propos de leur morceau [le morceau parle de l’évolution de l’Homme et de la société, ndlr], ils n’envoient finalement qu’un seul message : ‘c’est permis’. Leur impact médiatique n’est pas à minimiser ; en adoptant cette démarche de réaliser un clip avec l’IA, ils contribuent à donner une forme d’autorisation à tous d’utiliser cette méthode comme étant un produit fini.”
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C’est quoi les risques pour l’avenir ?
“Les risques pour la suite sont que les créatifs risquent d’être de moins en moins sollicités sur le court terme-moyen terme, on constate déjà que l’IA prend de plus en plus de place sur des visuels officiels comme sur l’affiche de Roland-Garros ou du festival Solidays pour ne citer qu’eux. Pourquoi les donneurs d’ordres s’encombreraient à débloquer un budget pour les créatifs, les illustrateurs, les graphistes ou les photographes quand ils peuvent obtenir ce qu’ils veulent en deux-trois clics ?
Sur le long terme, je pense, j’espère, que les humains ressentiront le manque d’âme, s’en lasseront et seront demandeurs de se nourrir à nouveau de véritables créations empreintes d’émotions palpables. En attendant, les créatifs vont souffrir, et beaucoup ne s’en relèveront pas.”
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Comment on peut penser l’utilisation de l’IA de manière éthique ?
“J’utilise à titre personnel l’IA tous les jours comme outil, pour gagner du temps sur un détourage ou pour faire disparaître un élément indésirable sur une photo par exemple, c’est un gain de temps considérable, ce sont des choses que je parvenais à faire avant, mais de façon plus longue et fastidieuse. Cet aspect-là est intéressant d’un point de vue productivité, mais jamais je ne crée avec de l’IA. On peut éventuellement envisager l’usage des prompts pour préciser son idée visuelle à un client, préparer un moodboard, mais en aucun cas être utilisé comme image finale. C’est ce qu’on fait aujourd’hui. Aucune justification bancale ne permettra de refermer la boîte de Pandore qu’ils ont ouverte sur leur audience, le mal est fait.”
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Bigflo a expliqué en story qu’ils voulaient interroger la place de l’artiste dans les avancées technologiques
“Si leur volonté avait été de dénoncer l’usage abusif et problématique de l’IA dans le cadre créatif, peut-être aurait-il été plus malin de proposer un clip exceptionnel de créativité et d’inventivité pour démontrer de la meilleure des manières que RIEN ne peut remplacer le cerveau humain dans un processus créatif pour la simple et bonne raison que la force de la création artistique dépend d’un facteur irremplaçable : les émotions.”
“Blame the game, not the players”
Bigflo & Oli utilisent un nouvel outil mis à disposition de tous, mais ce sont loin d’être les premiers. Dans le rap français, on a eu le droit à une cover folle du producteur Kosei sur son projet bien nommé AI, même chose pour Alonzo et la cover de son single “Guadalajara” entièrement créée par IA, et on pense aussi au projet FN Meka, un “artiste” créé de toutes pièces grâce à l’intelligence artificielle par Capitol Records. Moins d’une semaine après sa création, le “rappeur” était déjà devenu problématique, jugé par le public offensant et dégradant envers la communauté noire ; le projet avait été stoppé dans l’immédiat. Finalement, toujours plus de tentatives, mais peu de résultats concluants et un rendu final qui met toujours un peu mal à l’aise. On pressent encore de nombreux débats à venir.
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