“J’ai mis en scène les filles comme une armée d’adolescentes fugueuses résistant aux idéaux patriarcaux”, dit Justine Kurland à propos de son projet Girl Pictures, publié aux éditions Aperture. Pendant cinq ans, de 1997 à 2002, la photographe états-unienne a traîné avec des bandes d’adolescentes en proie à la romance, la rébellion, l’évasion et l’indépendance. Elle a pris pour cadre idéal la bucolique frontière nord-américaine et le “paysage postindustriel de New Haven“, berceaux de récits masculinistes autour de cow-boys mystérieux, de criminels en cavale et d’artistes torturés de la Beat Generation. Mais il y a aussi un peu de Virgin Suicides et d’Hannah Starkey, dans les photographies de Kurland, et on y retrouve du Eimear Lynch, du Gregory Crewdson et du Petra Collins.
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C’est dans la nature sauvage, loin des écrans du nouveau millénaire qui s’annonçait, que Justine Kurland a demandé à ces filles de jouer des scènes défiant le mythe de l’innocente adolescence : elles se baignent dans des lacs à sangsues, elles boivent devant un magasin de jouets pour enfants, elles s’ennuient dans des cadavres de bagnoles, elles chassent les secrets et le gibier, elles se tressent les cheveux, elles ne sourient jamais, elles crachent, avec rage, sur le visage des garçons. Et elles aiment ça. Car c’est une utopie bien mise en scène, un éden bien orchestré par Justine Kurland. Vingt ans plus tard, ces images fictives résonnent encore avec l’idée qu’on se fait de l’adolescence, de ce que c’est que d’être une fille, de devenir femme dans un monde violent, notamment depuis la réélection de Donald Trump et ses lois criminelles envers les femmes.
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Face à ces images où les adolescentes sont reines et n’ont peur de rien, on ne peut que se demander ce que ces filles vont devenir, ce que ces femmes sont devenues. Quel destin leur est réservé ? À quel espoir peuvent-elles encore se rattacher ? Et ont-elles pu continuer à rêver, en collectif ou dans leur monde intérieur ? Nul ne peut répondre à ces questions, si ce n’est la photographe elle-même, dans les lignes de Vanity Fair : “Une grande partie de l’art et de l’écriture existe dans cet espace contradictoire où il est impossible d’être ce que l’on prétend être. Il n’y a aucune chance qu’il y ait une utopie féminine ou une communauté d’adolescentes en fuite dans les bois. Mais imaginer cette impossibilité, c’est peut-être s’en rapprocher un peu plus.”
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