Le peintre Richard Prince s’est notamment fait connaître pour ses toiles montrant des photographies prises par d’autres artistes ou des captures d’écran de comptes Instagram. Sa pratique le place au cœur de nombreuses critiques et démêlés judiciaires, en témoigne le procès intenté par les photographes Donald Graham et Eric McNatt, qui viennent de trouver résolution. Richard Prince a été condamné ce 25 janvier dernier à payer 650 000 dollars aux deux artistes (soit plus de 600 000 euros), agrémentés de 250 000 euros de frais de justice. Hyperallergic précise qu’il s’agit là de cinq fois le prix de vente de chacune des toiles signées Richard Prince.
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Les deux artistes avaient chacun vu une de leurs œuvres réutilisée par Richard Prince dans sa série New Portraits. L’artiste s’était servi de “Rastafarian Smoking a Joint”, photo prise par Donald Graham en 1997, et d’un portrait de Kim Gordon signé Eric McNatt. Richard Prince agrandit les captures d’écran et y ajoute ses propres commentaires, comme s’il s’agissait d’une légende ajoutée à une publication qu’il aurait partagée lui-même.
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Les photographes avaient poursuivi Richard Prince pour violation du droit d’auteur entre 2015 et 2016. L’artiste états-unien s’était déclaré non coupable, plaidant l’“usage loyal” offrant matière d’exception aux usages du copyright. Selon lui, il ne faisait pas que “reproduire” les œuvres mais offrait un commentaire satirique “sur la façon dont les gens aujourd’hui communiquent, se présentent et se placent les uns par rapport aux autres avec les réseaux sociaux”, rapporte The Art Newspaper. Après l’annonce de leur victoire, Eric McNatt a exprimé son soulagement auprès d’Hyperallergic, soulignant qu’il ne s’agissait pas d’une victoire personnelle mais concernant “tous les artistes travailleurs” : “On n’a peut-être pas le même profil qu’un artiste célèbre mais on mérite du crédit et des compensations pour notre travail”.
Vol de travail, vol d’image
Emily Ratajkowski avait elle aussi été victime du mode opératoire de Richard Prince, mode opératoire qu’elle interrogeait à la lumière de l’appropriation masculine et capitaliste des corps des femmes et qu’elle racontait dans son livre My Body. En 2004, Richard Prince avait exposé une capture d’écran Instagram montrant une photo en noir et blanc d’une Emily Ratajkowski alors peu connue, postée sur son compte. Le nu avait été réalisé par Walter Iooss Jr. pour l’édition “Swimsuit” du magazine Sports Illustrated.
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“Tout le monde, surtout mon petit ami [de l’époque], m’a fait sentir que je devais me sentir honorée d’avoir été incluse dans la série. Richard Prince est un artiste important et, en toute logique, je devais lui être reconnaissante qu’il considère que mon image mérite une toile. De quoi se sentir validée. Et une partie de moi se sentait honorée. J’ai étudié l’art à UCLA et je reconnaissais bien l’intérêt de la vision warholienne de Prince sur Instagram. Mais quand même, je gagne ma vie en posant pour des photos et c’était bizarre qu’un grand artiste à succès pesant bien plus lourd que moi financièrement parlant puisse dérober une de mes publications Instagram et la vendre comme si elle lui appartenait”, écrivait-elle dans son essai.
Malgré les tentatives de son petit ami d’alors (qui désirait ardemment posséder l’image), Emily Ratajkowski n’a pu acquérir l’œuvre de Richard Prince mise à prix 80 000 dollars… et qui finit dans le salon d’un riche collectionneur, au-dessus de son canapé. “C’est un peu bizarre”, rapportait un ami de l’actrice qui n’a jamais donné son accord pour apparaître sur l’œuvre, “genre, il s’assoit sous ton toi nue.” Emily Ratajkowski finit par acheter un autre travail de Richard Prince la représentant. Avec son copain de l’époque, elle débourse 81 000 dollars pour être propriétaire d’une image dont le shooting lui avait rapporté 150 dollars.
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L’arroseur arrosé
Des années plus tard, Emily Ratajkowski s’est réapproprié l’œuvre montrée dans Sports Illustrated, et plus largement, son image, en la revendant sous forme de NFT. “Le terrain numérique devrait être un endroit où les femmes peuvent partager leur portrait comme bon leur semble, en contrôlant l’usage de leur image et en recevant le capital potentiel qu’elles méritent. […] Les NFT ont le potentiel de permettre aux femmes de conserver le contrôle sur leur image et de recevoir les compensations légitimes pour ses usages et distributions.”
Ainsi, elle prenait Richard Prince à son propre jeu, lui qui utilisait son image sans son consentement. Elle devient désormais récipiendaire des bénéfices engendrés par le NFT. Cette dernière devrait rapporter bien plus à Emily Ratajkowski que le travail de Richard Prince. Grâce au système du crypto-art, chaque revente envoie un dividende à la mannequin, lui permettant de garder ad vitam aeternam un certain contrôle sur son image. En 2015, les Suicide Girls vendaient également des reproductions d’œuvres signées Prince et volées d’après leurs propres images. L’artiste enchaîne critiques et polémiques mais, jusque-là, cela ne semble pas l’avoir convaincu de changer de pratique artistique – en créant ses propres œuvres par exemple ?
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