André 3000 d’OutKast a considérablement marqué le monde de la musique : un héritage qu’il traîne pourtant comme un fardeau.
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En repoussant les limites de ce que les fans de hip-hop pouvaient attendre du gangsta rap des années 1990-2000, le groupe originaire d’Atlanta OutKast a sans conteste marqué toute une génération de par son audace. Il est vrai que faire du Dirty South en combinant les influences de Prince et Jimi Hendrix avec des éléments d’afrofuturisme psychédélique, il fallait oser.
“Hey Ya”, “Ms. Jackson”, “Roses”, “So Fresh, so Clean” : énumérer tous les tubes du duo formé par Big Boi et André 3000 prendrait des heures. De son premier opus Southernplayalisticadillacmuzik à Idlewild en passant par le splendide double album Speakerboxxx/The Love Below, le groupe a gravé son héritage musical dans le marbre puis a tiré sa révérence après douze ans de bons et loyaux services.
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Le génie musical d’André 3000 semble immuable : il est plus qu’un rappeur et a fait de la diversité sa marque de fabrique. Il a marqué la télévision et la mode, tout en étant capable de passer du rap à la chanson, d’osciller entre flow nonchalant et rapide ou encore de briller en tant que producteur et instrumentiste. Ce n’est pas pour rien qu’il est encore aujourd’hui aimé de nombreux rappeurs.
Mais alors que l’aura musicale de Big Boi rayonne toujours aujourd’hui – l’autre moitié d’OutKast vient tout juste de sortir deux nouveaux morceaux en plus d’avoir fait une apparition surprise lors du show de la mi-temps du SuperBowl le 3 février dernier –, celle d’André 3000 a presque perdu tout son éclat.
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Son comparse a signé trois albums solos en neuf ans, tandis que 3 Stacks n’a toujours pas livré ne serait-ce que l’ombre d’un projet en son nom. Sa seule sortie officielle date de 2018 : il s’agit de Look Ma No Hands, un EP de deux titres en hommage à ses parents décédés, dans lequel il nous éblouissait de ses talents de musicien.
Mais à mesure que les années passent, l’espoir d’un retour d’OutKast et/ou d’un projet solo d’André 3000 s’amenuise. La faute à un spleen fait d’anxiété et de doutes, profondément ancré dans l’ADN de l’artiste.
André le clown triste
Ne vous fiez pas à ses looks funky, ses chapeaux fantasques et son sourire ravageur. André 3000 est un solitaire mélancolique depuis longtemps. Flash-back : c’est après le succès immense de Speakerboxxx/The Love Below qu’il choisit de s’éloigner des projecteurs, alors qu’il vient d’être diagnostiqué ochlophobique : il est angoissé dans les lieux où il y a beaucoup de personnes.
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Ce sentiment d’oppression permanent a d’ailleurs contraint le chanteur américain à annuler sa tournée avec OutKast en 2003. Un fait qu’il a longtemps regretté et duquel il s’est excusé dans le titre “Sorry” de T.I., sorti en 2012. Dans une grosse interview accordée à GQ en 2017, il a confié :
“Je ne sais pas si c’était à cause du fait d’avoir tous ces gens autour de moi ou simplement des attentes à mon égard, mais j’en étais arrivé à un point où il m’était difficile d’être en public. Je me sentais surveillé et ça me rendait nerveux.”
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Sans doute est-ce pour réparer cette erreur (et pour quelque enjeux financiers) qu’il a choisi de reformer OutKast avec Big Boi en 2014 à l’occasion du festival Coachella. Malgré plein de promesses sur le papier, le show a malheureusement tourné au fiasco : le public découvre un André 3000 angoissé qui tourne le dos à son public et n’arrive pas à renouer avec son glorieux passé.
De plus, 3000 n’a jamais caché son appréhension de reprendre le micro par peur de manquer d’inspiration. Malgré cette reformation historique et la main tendue de son pote Daddy Fat Sax, l’artiste a semble-t-il définitivement enterré l’idée d’un retour de son groupe. “Si OutKast ne sort jamais un autre album, ça me convient parfaitement”, confiait-il lors d’un entretien avec Complex en 2017.
D’un point de vue personnel également, il avait déjà fait part de sa volonté de ne plus rapper une fois passés ses 50 ans : “Quand j’avais 25 ans, j’ai dit que je ne voulais pas être un rappeur de 30 ans. J’ai 42 ans maintenant”, confiait-il à Complex. Avant d’ajouter :
“Quand je regarde les autres rappeurs de mon âge, je les félicite, mais je me demande vraiment où ils puisent leur inspiration. À ce stade, je suis plus concentré sur ce que je vais faire dans dix ans. Et j’espère que ça ne sera pas le rap… Rapper, c’est comme être un boxeur. Peu importe votre niveau, plus vous vieillissez, plus vous ralentissez – peu importe qui vous êtes.”
“Je pense que le hip-hop doit rester frais”
L’anxiété n’est pas le seul frein à la liberté artistique d’André Benjamin. Il est aussi effrayé à l’idée de passer pour un ringard. N’oublions pas qu’OutKast s’est montré avant-gardiste en son temps. Plutôt que de proposer une formule recyclée qui ne lui ressemblerait pas et qui pourrait décevoir le public, l’artiste a préféré aborder la musique d’une autre façon :
“Maintenant que je l’ai fait, ne plus faire de rap ne me dérange pas. En vieillissant, je commence à me sentir loin de tout ça. L’idée de sortir un album, la pression d’être en studio pour essayer de trouver l’inspiration… Maintenant, la musique est plus un passe-temps pour moi, alors je n’y pense pas de cette façon.”
Pour lui, le hip-hop est plutôt un art réservé aux jeunes. Qu’il s’agisse de lui ou d’OutKast, ils ne représentent plus cet état d’esprit à son sens :
“Je pense que le hip-hop doit rester frais. Tu peux rester hop, mais tu ne seras pas hip éternellement […]. En fait, je déteste aller au studio. Ce qui m’anime aujourd’hui, ce sont les autres artistes. […] Me concernant, je n’ai plus cette flamme. Les sons changent à chaque génération. Je ne suis plus en accord avec mon temps et je ne peux pas faire semblant.”
Rester en vie grâce aux collaborations
Si sa voix manque terriblement au hip-hop, André Benjamin n’a pas disparu pour autant. Depuis plus de dix ans maintenant, il se plaît à distiller quelques couplets sur les projets de ceux qui représentent, selon lui, le hip-hop dans toute sa fraîcheur. Sa dernière collaboration en date est même toute récente : il s’agit du morceau “Where’s the Catch” du dernier album de James Blake, sorti en janvier dernier.
Encore aujourd’hui, à chaque fois que le nom d’André 3000 apparaît sur une tracklist, le monde retient son souffle. Concernant ses couplets, il fonctionne au feeling : tantôt il s’amuse, tantôt il se confie pour évacuer ou partager ses émotions. Il n’empêche qu’aucune de ses apparitions n’a laissé indifférent. À l’image de sa somptueuse performance sur “Sixteen” de Rick Ross.
En 2012, il confiait à GQ : “J’ai le privilège que tous ces nouveaux artistes me sollicitent pour me dire : ‘Hey André, on te veut sur ce titre.’ J’ai accepté ces demandes, j’ai fait des collaborations qui me maintiennent en vie.” Des featurings qui seraient en réalité plutôt des coups de pouce. Il affirmait, lors de son interview donnée à Complex :
“À chaque fois qu’un artiste me sollicite, je l’aide. Je le fais plus pour eux que pour moi-même. Faire de la musique, pour moi, ne me procure pas beaucoup de bonheur. Je trouve le bonheur de plaire à ceux avec qui je travaille, de les aider et de les voir être excités.”
Les optimistes diront ainsi qu’au fil des collaborations, André 3000 s’est forgé une œuvre par procuration. Si sa rareté sur le plan musical le rend inestimable, chaque nouveau couplet qu’il nous offre nous rapproche un peu plus de ce rêve inaccessible : celui de voir un jour naître un véritable album solo cohérent.
Un retour entre mythe et réalité
L’intéressé a beau marteler qu’il ne reviendra pas, il n’en a pas toujours été ainsi. Entre périodes de doutes et élans créatifs, le rappeur et son entourage ont pendant longtemps disséminé des indices qui laissaient croire à un retour imminent d’André en solo ou en groupe. De quoi susciter un véritable ascenseur émotionnel chez les fans.
“Je me retiens depuis longtemps, en ce moment, je cherche à trouver la bonne direction pour ma musique. Je suis toujours en train d’enregistrer”, affirmait-il au Billboard en juin 2016.
Quelques mois plus tôt, c’est l’acteur Chris Rock qui ravivait nos espoirs en postant une photo sur son compte Twitter. On le voyait en compagnie de la moitié d’OutKast, du DJ et producteur D-Nice, de Jarobi White, membre du groupe A Tribe Called Quest, de Jack White et de l’humoriste Dave Chappelle. Du beau monde “en studio pour l’album d’André 3000”, selon la légende de la photo.
Me , Dave , D-nice , jack white and jarobi hard at work on the new Andre 3000 album. pic.twitter.com/nATj856Uga
— Chris Rock (@chrisrock) 8 avril 2016
Un autre cliché, montrant cette fois André 3000 et Kaytranada en studio, publié en septembre de cette même année, n’a en rien calmé nos ardeurs. Tout ça pour quoi ? Rien, malheureusement. Ce qui n’a pas empêché André, plusieurs fois par le passé, de faire preuve de regrets, comme le prouve le projet commun avorté entre OutKast et A Tribe Called Quest.
Depuis, l’insaisissable 3 Stacks a visiblement tiré un trait sur ses projets, qu’ils soient solos ou en groupe. Doit-on pour autant enterrer nos espoirs une bonne fois pour toutes ? Pas si sûr. Toujours dans son interview avec GQ, il confiait qu’il était fier de l’héritage laissé par OutKast, mais qu’il regretterait s’il devait quitter ce monde sans avoir laissé son empreinte en solo.
“Si je devais mourir maintenant, honnêtement, on a réussi (avec OutKast) et c’est la vérité. Il n’y a qu’une seule chose que je regretterais : vous savez, cet album que j’ai toujours voulu faire. Sortir mon propre projet, des choses sur lesquelles j’ai travaillé, pour ma satisfaction personnelle.”
Sortira, sortira pas ? Seul l’artiste est aujourd’hui maître de son destin. Il ne nous reste plus qu’à prier pour que les étoiles s’alignent, que la malédiction cesse et que le mythe de son album solo devienne réalité.