L’heure est désormais à toutes les questions que l’on a toujours voulu poser à ces siphonnés du bocal qui ont choisi de passer la moitié de leur vie dans des avions.
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Pavés dans le ciel
Dans son uniforme d’hôtesse, Elisabeth, 18 ans de métier et des dizaines de milliers de vols au compteur, est venue nous raconter son quotidien sous haute surveillance dans les airs. D’entrée, les bases sont posées, l’aérien est aussi surveillé que le nucléaire et dans toute sa carrière, elle n’a connu aucune situation d’urgence à bord. Pourtant, elle serait capable d’assurer un accouchement ou de gérer une fracture ouverte en vol.
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Hôtesse de l’air est avant tout un métier de procédures. Elisabeth, et les 12 000 PNC qui travaillent pour Air France, bachotent leur procédure d’urgence avant chaque vol (qu’ils en assurent un par semaine ou quatre par jour), reçoivent des briefings avant chaque rotation, se soumettent à un check-up de santé complet chaque année et contrôlent leurs connaissances techniques tous les ans. Au sol aussi, des bagagistes aux femmes de ménage, tout le monde reçoit une formation de sûreté.
“L’avion est le moyen de transport le plus sûr.” Les angoissés de l’avion se sont souvent entendu répéter cette phrase, en vain, car on sait notre peur irrationnelle. Si l’aspect très procédurier d’un vol peut rassurer, il participe également à mystifier encore davantage cet écosystème totalement insaisissable du point de vue du passager dépendant de l’équipage. Ainsi, lorsque après les interminables consignes de sécurité survient un bip ou un message du pilote inhabituels, la panique gagne les stressés de l’avion. Bénéficier d’un temps d’échange important avec une hôtesse de l’air qui répond simplement à nos très nombreuses questions sera-t-il salvateur pour mes jeunes camarades et moi-même ?
Après déjeuner, Eric, commandant de bord chez Air France et trois ficelles dorées à ses galons, prendra le relais pour un véritable cours magistral d’aéronautique. Principes physiques des avions, construction, contrôles, formation des pilotes, plan des routes du ciel et calcul de la vitesse de décollage, pendant deux heures, l’avion et son fonctionnement seront passés au peigne fin. À l’aide d’une feuille de papier et armé de son seul souffle, il nous fera une démonstration imparable : bien qu’invisible, “l’air n’est pas du vide”, ce qu’il répétera sans relâche deux heures durant.
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Le pilote s’attardera tout particulièrement sur les ailes, éléments les plus importants et donc les plus sûrs de l’avion, mais objets de tous les fantasmes irrationnels des peureux. Dans une vidéo, on assistera aux tests de déformation des ailes que des dizaines de câbles employés à les tirer à 90 degrés ne parviendront pourtant pas à casser. Conclusion : les turbulences, aussi intenses soient-elles, ne pourront jamais briser des ailes conçues pour supporter cinquante fois plus que ce qu’elles ont rencontré dans toute l’histoire de l’aéronautique.
Une à une, Eric reprendra toutes les peurs que nous avions inscrites au tableau pour les débunker. Les trous d’air n’existent pas, pas plus que les trous d’eau ; on ne rencontre pas uniquement de turbulences dans les nuages et il faut les voir comme les “vagues du ciel” ou les “pavés du ciel” ; l’avion change d’altitude toutes les heures, il est donc normal de ressentir cette sensation en vol ; la remise de gaz n’est pas réservée aux situations d’urgence ; depuis le 11 septembre, le cockpit est protégé par des portes blindées ; et les plateaux repas du pilote et du copilote sont préparés sur des chaînes de fabrication différentes en cas d’intoxication alimentaire.
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Si je n’ai pas retenu la définition exacte de “jetstream” ou la formule pour calculer la vitesse de décollage, je me suis prise de passion pour ces engins que j’ai pourtant en horreur. Ainsi, j’ai repris un semblant de contrôle sur ma peur, nourrie principalement par ma méconnaissance du fonctionnement d’un avion.
Dernière épreuve de la journée : embarquement immédiat dans le cockpit d’un simulateur de vol du centre de formation des pilotes d’Air France, en compagnie d’Eric et Elisabeth, pour une mise en pratique de notre tout nouveau savoir technique. Durée du vol : deux heures.
Turbulences maximum et feu moteur
Véritables phobiques, accrochez-vous. Les sensations dans le simulateur sont tellement réalistes qu’elles sont parvenues à tromper mon cerveau qui, à son tour, a trompé mon corps. Comme à bord d’un avion, j’ai des fourmillements dans les extrémités et les mains moites, cramponnées malgré moi à mon siège avant même que nous ayons entamé l’exercice.
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Après nous avoir expliqué les différentes commandes du tableau de bord, Eric nous fera vivre trois situations de vol. Première consigne : ne pas le déconcentrer et, surtout, être très attentifs à nos sensations. Mais ni les turbulences maximums, ni la remise de gaz, ni le feu moteur ne semblent poser de difficulté au pilote qui atterrira toujours à bon port malgré le bruit strident de l’alarme dans le cockpit. Pouvoir observer la gestion sereine en cabine d’une situation que l’on subit à l’arrière de l’avion vaut tous les discours.
Une fois l’avion posé, on débriefe. Chacune des sensations que nous avons ressenties ou des bruits que nous avons entendus en vol nous serons expliqués : ce grincement inquiétant, c’était en réalité les pompes à eau qui déploient les ailes ; ce bip récurent est l’appel au PNC, et, durant les turbulences maximum, l’avion n’a en réalité presque pas bougé.
Dernière démonstration de la prépondérance des sensations sur la raison en vol : Eric nous ordonne de fermer les yeux, “l’avion, il monte ou il descend ?” Pour tous les trois, la réponse est sans équivoque : on chute. Mais lorsqu’on rouvre les yeux, on observe l’aiguille de l’altimètre qui continue de grimper. Cette séance en simulateur est l’ultime exercice pour nous permettre de différencier une situation ressentie comme une urgence par le passager stressé d’un véritable danger pour l’avion. Et on l’a vu de nos propres yeux, même un moteur en feu n’en est pas un.
Sept heures et trente minutes de stage intensif plus tard, c’est l’heure du bilan. Mes deux camarades de stage qui s’apprêtent à s’envoler pour Tahiti et Los Angeles semblent envisager leur voyage plus sereinement. De mon côté, je n’ai pas de vol à venir, mais je repars avec un bagage mental, que je mobiliserai la prochaine fois que mes sensations auront raison de ma logique, et la promesse d’un suivi personnalisé après le stage.
Inscription auprès du Centre anti-stress d’Air France. Coût : 690 euros. D’autres compagnies proposent également des stages.