Un petit siècle après sa mort, Suzanne Valadon voit son travail célébré dans une exposition au Centre Pompidou-Metz qui nous permet d’apprécier son œuvre et sa vie – aux lumières d’hier et d’aujourd’hui. En mettant en avant son passage de modèle à peintre, ses nus et sa volonté de représenter la réalité sans s’embarrasser de “l’aimable” ou du “joli”, le musée présente une artiste phare des XIXe et XXe siècles et assied la nécessité de la placer comme telle. Pour en savoir plus sur la peintre, née en 1865 et décédée en 1938, voici 5 choses à savoir sur son histoire.
Publicité
Elle se destinait à être acrobate
N’ayant peu le droit de tâter du pinceau – entre autres interdictions –, les femmes n’avaient pas vraiment la possibilité de devenir artistes jusqu’au XXe siècle. Le peu d’entre elles qui parvenaient à créer et avoir du succès avaient souvent la chance d’être nées dans des familles d’artistes ou sensibles à l’art (à l’instar d’Artemisia Gentileschi au XVIIe, Rosa Bonheur, Sarah Miriam Peale au XIXe siècle ou Naziha Salim au XXe).
Publicité
Ce n’est pas le cas de Suzanne Valadon, peintre autodidacte qui a commencé sa vie comme acrobate de cirque jusqu’à ce qu’un accident l’empêche de poursuivre cette carrière. Ayant commencé le dessin à 8 ans, elle ne se détacha jamais de cette première passion pour la création artistique.
Publicité
Elle a commencé comme modèle
Résidant à Montmartre (dans l’actuel Musée de Montmartre, qui rend hommage à son travail en présentant sa chambre et son atelier), Marie-Clémentine (de son vrai prénom) côtoie la scène artistique florissante de la capitale. Elle travaille comme modèle pour des peintres comme Pierre Puvis de Chavannes, Auguste Renoir ou encore Henri de Toulouse-Lautrec. Ses séances de pose lui servent de leçons de peinture. Edgar Degas, qui devient son ami et pour qui elle ne posera jamais, reconnaît son talent de peintre, s’exclamant : “Vous êtes des nôtres !”, à la vue de ses dessins.
Publicité
Son nom d’artiste vient d’un épisode biblique qui dénonce le harcèlement sexuel
C’est dans la Bible, dans le livre de Daniel, qu’est relaté l’épisode de Suzanne et les Vieillards. On y lit l’histoire de Suzanne se baignant, dérangée par deux vieillards concupiscents. La jeune femme refuse leurs avances et surtout, leur chantage, puisqu’ils la menacent de l’accuser d’adultère si elle ne cède pas.
Courageuse, et bien que pesant peu de choses face au pouvoir des deux hommes, anciens juges, elle refuse et se retrouve condamnée à mort avant d’être sauvée par l’enfant Daniel. Au fil du temps, l’épisode est devenu une parabole du harcèlement sexuel.
Publicité
On raconte que c’est le peintre Henri de Toulouse-Lautrec qui surnomma Suzanne celle qui se faisait alors appeler Maria, tout simplement parce qu’elle posait pour des vieillards. L’artiste se réappropria le nom puisque, comme le personnage biblique, elle s’affranchit de ces hommes âgés pour qui elle posa au début de sa vie.
Elle est l’autrice du premier nu masculin réalisé par une femme
Obligée de passer par la case modèle, Suzanne Valadon évolue au milieu d’un male gaze bien puissant. Cela ne l’empêche pas de parvenir à imposer son regard. En 1909, elle présente Été, dit aussi Adam et Ève, une toile qui présente le premier nu masculin réalisé par une femme.
Publicité
Certes, une femme nue est présente à côté de cet homme puisque c’est son couple qu’elle peint : elle est Ève et son mari, André Utter, de 21 ans son cadet, représente Adam. L’exposition “Suzanne Valadon. Un monde à soi” fait “la part belle” à ses nus. La commissaire de l’exposition, Chiara Parisi, décrit les nus de la peintre comme “absolument crus et peints sans concession”. À partir de 1912, Suzanne Valadon entame une “série de grands nus en extérieur”.
En 1931, elle réalise un Autoportrait aux seins nus, l’un des 14 qu’elle réalisera au cours de sa vie. Celle qui a commencé par poser nue pour des regards d’hommes a ainsi coché toutes les cases de la réappropriation : elle a peint des femmes nues, elle a peint des hommes nus et elle a peint son propre corps nu. “Il faut avoir le courage de regarder le modèle en face si l’on veut atteindre l’âme”, affirmait-elle.
Elle était transgressive
Avant le XXe siècle, les femmes n’avaient pas seulement recours à l’autoportrait pour reprendre possession de leur image. Il s’agissait plutôt, pour elles, d’un moyen d’accéder au nu, qui leur était alors traditionnellement interdit. La peintre se joue de ce passage officieusement obligatoire, créant des autoportraits jusqu’à ses 66 ans.
Elle suit les “représentations habituelles de l’autoportrait”, comme la représentation de trois-quart notamment, note le Centre Pompidou-Metz, tout en “rompant avec les traditionnels codes de la féminité en peinture”. De même, elle met de côté orientalisme, odalisques et nus alanguis au profit d’un “réalisme impitoyable” qui a bien mieux vieilli aujourd’hui que d’autres œuvres, peu rebelles, qui ne semblaient s’intéresser qu’au beau. Avec Suzanne Valadon, c’est la fierté et le vrai qui sont portés comme essentiels.
L’exposition “Suzanne Valadon. Un monde à soi” est visible au Centre Pompidou-Metz du 15 avril au 11 septembre 2023.