La nuit est tombée et des sans-abri font la queue pour la soupe populaire tandis que des comédien·ne·s se costument près de la sacristie où s’achève la messe des cendres : à l’église Saint-Eustache, à Paris, 800 ans cette année, solidarité, art et culte font bon ménage. Et “depuis longtemps”, se réjouit auprès de l’AFP le père Yves Trocheris, 60 ans, son curé depuis 2018.
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Les dernier·ère·s fidèles parti·e·s et l’odeur de l’encens à peine évaporée, voilà que s’animent l’architecture hybride et les vitraux de Saint-Eustache, située au cœur du quartier des Halles, l’ancien “Ventre de Paris”. Des projections vidéo à 360 degrés subliment l’espace du sol aux voûtes situées à trente mètres de hauteur. Gothique flamboyant et style Renaissance s’embrasent de couleurs vives, de symboles lumineux et de constellations, tandis qu’une bande sonore musicale résonne.
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Pour célébrer l’anniversaire de Saint-Eustache, voulue par François Ier comme l’équivalent de Notre-Dame sur la Rive droite, ce spectacle immersif, intitulé Luminiscence et déjà testé dans une église à Bordeaux, propose au public de découvrir son histoire (à partir de 19 euros par personne, 30 euros avec concert philharmonique). “On s’est très bien entendus avec le père Yves Trocheris et son régisseur”, dit à l’AFP Romain Sarfati, cofondateur du spectacle qui met aussi en scène “des comédiens incarnant des personnages historiques dont la présence a marqué l’église”, comme Molière et Richelieu qui y ont été baptisés ou Louis XIV qui y a fait sa première communion.
“Ça permet d’ouvrir les portes de l’église à des gens qui n’auraient pas eu l’idée d’y entrer”, commente le père Trocheris, qui a notamment passé six années en Allemagne et autrefois officié comme vicaire de cette célèbre église parisienne. Fan de peinture, “de Nicolas de Staël à Mark Rothko, en passant par Gustav Klimt et Egon Schiele”, de musique, “surtout Bach”, et d’art contemporain, il dit vouloir “restaurer un lien entre la foi et la création artistique”.
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“Saint-Paul en jogging”
Ouvrir les églises à de nouveaux usages, c’est “les rendre vivantes”, explique-t-il, même si “l’art contemporain a énormément troublé le rapport à l’image, suscitant des incompréhensions au sein de l’Église catholique”. Cela permet aussi “d’attirer des mécènes pour financer leur rénovation”, concède ce passionné, qui organise en outre des concerts d’orgue très prisés le dimanche et a créé avec un “nez” allemand, Étienne de Swardt, un parfum baptisé Le Dieu Cerf, “inspiré de la légende de Saint-Eustache”.
Les recettes de cette eau de Cologne “servent à financer des goûters conviviaux pour les gens de la rue en plus de la soupe du soir”, précise-t-il. Dès les années 1990, Saint-Eustache avait par ailleurs “ouvert un accueil inconditionnel aux victimes du sida et à leurs proches”, raconte le père Trocheris. Un triptyque de l’artiste Keith Haring, lui-même séropositif, représentant “une montée d’anges” en est encore le témoin dans l’une des chapelles, aux côtés d’autres œuvres contemporaines (de John Armleder, Raymond Mason ou Pascal Convert) et de chefs-d’œuvre classiques, dont un Rubens.
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Le père Trocheris installera bientôt deux nouvelles œuvres du peintre algérien âgé de 29 ans Dhewadi Hadjab, dont “la cécité de Saint-Paul, peint habillé en jogging après sa conversion sur le chemin de Damas”, annonce-t-il. À ses côtés, un tableau de l’artiste contemporain Pol Taburet, “sur le thème de l’Outre-mer, représentera un corps noir” qui “parlera”, espère-t-il, “à toutes les personnes et aux jeunes venus de tous horizons qui fréquentent quotidiennement le quartier”.