Nous étions trois, et nous avions attendu toute l’après-midi dans une salle en haut de la Sucrière, à Lyon, en ce beau mois de mai 2016. Ce jour-là, c’est le grand Laurent Garnier qui mixe aux Nuits sonores, six heures durant, avec Jackmaster, Jay Robinson et Copy Paste Soul. Si l’on se délecte d’un spectacle dont on ne se lassera jamais (jamais), on trépigne surtout d’impatience à l’idée d’interviewer le gourou de la musique électronique française.
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Après plusieurs heures d’attente, le bonhomme remonte. On réussit à négocier ici et là, et ce dernier accepte alors de se prêter au jeu de la Track-ID, un format d’interview vidéo que nous venions de lancer. En l’accompagnant dans la salle où l’on pensait tourner, on lui explique le concept, rajoutant que ça ne devrait pas prendre plus de cinq minutes. Des questions courtes, appelant des réponses concises dont certaines seront coupées au montage pour obtenir une vidéo de 4-5 minutes environ.
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C’était compter sans les mille histoires, la vision du métier et la grande culture de l’artiste, particulièrement bavard. C’est ainsi qu’une interview, censée durer 5-10 minutes, s’est transformée en un monologue des plus intéressants de presque 45 minutes. Abordant son passé avec des anecdotes franchement personnelles et esquissant une leçon de DJing, Laurent Garnier nous a régalé.
Cela fait longtemps que l’on tient à retranscrire l’intégralité de cet échange, bien plus riche que la vidéo que nous avons pu faire alors. Et comme le 1er janvier dernier, Laurent Garnier a été décoré de la Légion d’honneur, nous nous sommes dit que cela serait un bien bel hommage de transmettre ses saintes paroles. Honnête, drôle, et d’une nonchalance sans nom, cet homme considéré par tous comme l’un des plus grands est peut-être surtout l’un des plus humbles et intéressants que l’on peut croiser.
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Konbini | Le meilleur morceau pour débuter un set, selon toi ?
Laurent Garnier | Alors ça va te paraître bizarre, mais j’aime bien ouvrir soit avec du jazz, soit avec de la musique classique. Si c’est du jazz, j’aime bien “A Love Supreme” de John Coltrane, j’adore ouvrir avec ça. Parce que c’est très long, les gens ont le temps de se dire “qu’est ce qu’il branle le vieux ? Il est fou”.
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Et j’aime bien la musique classique pour ouvrir. Bach, c’est toujours bien. C’est pas mal d’ouvrir une soirée avec ça, il y a toujours un moment de flottement quand ils rentrent et qu’ils se demandent ce que je fais [rires]. C’est toujours bien de débuter un set comme ça, où tu vas leur gratter le cerveau, ça me plaît bien. C’est pas forcément ce que je fais tout le temps, mais c’est efficace. Aujourd’hui, avec les clés USB, on a la chance d’avoir beaucoup plus de musiques et, pour ouvrir, j’ai toujours pas mal de choses. Donc j’explore pas tout mais j’aime bien, parce que ça pose. Tu commences pas par un truc 4/4 ou techno, tu vois ? J’arrive, je me mets en place… “On joue de la musique les gars” [il expire fort]. Et après, on voit où on va ?
Et les Nuits sonores, elles t’évoquent un morceau ?
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Carrément, je peux te dire le morceau “Nuits sonores” [de Floating Points, ndlr], mais c’est un peu bateau. Tu sais quoi ? Ce soir, j’ai terminé avec Vitalic. C’est très Nuits sonores, je l’ai fait plusieurs fois, et c’est le genre de trucs où les gens peuvent se dire “oh ça va, on a compris que t’aimes bien terminer avec ça” mais ce soir, ça l’a fait, c’était la bonne track au bon moment. Pour moi, c’est un morceau très Nuits sonores. C’est un très bon morceau, fédérateur, en mode “allez, on prend tout le monde, on vous en met un dernier, on vous donne une dernière pastille de plaisir, vous le connaissez celui-là, on l’a déjà joué 20 fois, mais on s’en fout, putain c’est bon !” C’est un bon morceau pour les Nuits sonores, après est-ce qu’il représente les Nuits sonores ? Je ne suis pas sûr. C’est tellement éclectique les Nuits sonores.
Quel est le premier disque que tu as acheté ?
Le tout premier ? C’est une question à la con. Je crois que c’est Au bonheur des dames, “Oh les filles !”… En tout cas, en 45-tours, c’est sûr et certain. Et en 33-tours, c’est une version absolument pourrave du “Pont de la rivière Kwaï” par un pseudo chanteur de gospel, quelque chose comme John William, je ne sais plus. En fait, j’avais acheté ça dans un tabac pas loin de chez moi ; j’habitais en banlieue et il n’y avait pas de boutique de disques dans le coin. Mais je voulais un 33-tours, et j’ai acheté le moins cher possible. C’était pas cher, mais très très mauvais. C’est nul, mon Dieu, c’est nul.
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Et après, parce qu’il y avait un label qui faisait des sous-versions de trucs originaux, j’ai acheté une version dégueulasse, mais vraiment dégueulasse, d’Orange mécanique. Et tu sais quoi ? J’ai jamais jeté ces disques, je les ai toujours à la maison [rires]. Après, forcément, j’ai acheté l’original et je me suis dit : “Putain, mais comment j’ai pu faire ça, quoi ?”
Comment ça peut être dégueulasse un truc d’Orange mécanique ? La qualité ? L’enregistrement ?
Parce que, je ne sais pas si tu sais mais il y avait des gens à l’époque qui faisaient des reprises. Ils prenaient des morceaux connus, et donc t’avais un mec qui s’appelait Caravelli, qui était une espèce de chef d’orchestre, et un trompettiste qui s’appelait Georges Jouvin, et d’autres gens comme eux, qui reprenaient des morceaux connus et en faisaient leurs orchestrations pour en faire des albums qu’ils vendaient vraiment pas cher : 20 francs, 2-3 euros…
Et donc voilà, il y a eu une version d’Orange mécanique, et la pochette, je m’en rappelle bien, c’était une orange avec un couteau, un couteau vraiment horrible, qui est planté dans l’orange, et t’as une coulure de sang qui tombe de l’orange. Et c’est des orchestres de merde qui ont repris ces morceaux, qui sont des trucs plutôt sympathiques. C’est à deux balles, quoi.
Quel est le disque qui ne quitte jamais ton bac ?
Donna Summer, “I Feel Love” [qui figure sur l’album I Remember Yesterday, ndlr].
Quand la foule est gonflée à bloc, au maximum d’énergie, c’est quoi le meilleur morceau à envoyer à ce moment précis ?
Ça dépend. Ça dépend de l’heure. J’ai vu plein de fois la foule à son maximum d’énergie, et si tu prends aujourd’hui [aux Nuits sonores 2016 donc, ndlr], ils étaient un peu à leur top vers 18 heures. Et à 18 heures, alors qu’il fait plein jour dehors, qu’il fait beau et qu’il fait chaud, tu vas pas jouer la même chose que quand il est 4 heures du matin et qu’ils ont un peu pris cher. Je pense que tout ça, c’est une question de moment. Donc c’est difficile de te répondre. Je vais te dire que je vais jouer un truc un peu Detroit Musical qui va les rendre heureux, mais à 4 heures du matin, c’est pas forcément la bonne réponse. À 4 heures du matin, on va jouer un truc plus mental, pas barjot mais plus twisted.
“Le truc le plus important, c’est d’arriver à jouer le bon disque au bon moment, et ça, c’est pas tout le temps gagné”
Je crois que le truc du DJ, le truc le plus important, c’est d’arriver à jouer le bon disque au bon moment, et ça, c’est pas tout le temps gagné. Même moi, j’y arrive pas tout le temps. Choper tout le monde et fédérer les gens avec le disque, c’est pas gagné. Tu vois, il y a eu un moment assez magique ce soir et je pensais pas que ça allait marcher, c’est quand j’ai joué Prince. C’était bizarre. Il y a Jackmaster qui arrive, je lui dis : “Putain, je veux absolument jouer Prince, c’est important, il faut qu’on le joue ce soir.” Il m’a répondu “ouais, j’en ai, on va y arriver” et je lui ai dit “non, non, je veux le jouer“. Donc j’ai joué deux morceaux pour essayer d’y arriver et, en fait, c’est super bien passé. Je pense que je l’aurais passé 10 minutes avant ou 10 minutes après, ça ne serait peut-être pas bien passé. Donc c’était le juste moment.
Quelle est la pire request que l’on t’ait faite ?
Est-ce qu’il y a vraiment une pire request ? Ça veut dire quoi ?
Ben, un truc qui n’est pas du tout en rapport avec ce que tu es en train de faire, de ce que tu as envie de partager…
[Il me coupe en rigolant.] Alors c’est pas une pire request, parce que c’est mignon, mais j’aurais pas pu le jouer. Une des dernière fois que j’ai joué pour Astropolis, c’était pour les enfants, l’après-midi. Je veux bien jouer pour les mômes, mais il y a certaines limites que je ne peux pas dépasser.
Il y a une gamine qui est venue, qui a tiré sur mon T-shirt pendant assez longtemps en me disant “Monsieur, Monsieur, Monsieur!”… Je me suis retourné, elle avait 4 ans, elle était super mignonne. Et là, elle me dit : “Est-ce que vous avez La Reine des neiges ?” Je lui ai dit : “Écoute, je pense que je vais pas y arriver, ça m’aurait fait plaisir de le faire, vraiment, j’aurais adoré le faire pour toi, mais ça je peux pas.” [Rires] Je peux pas le faire. Elle était toute petite et c’était la fille d’un copain à moi. [Rires.]
Ça c’est un truc où, même pour les enfants, je n’arriverais pas à aller jusque-là. Pourtant, je peux faire plein de conneries. Franchement, j’ai honte de rien mais là, je ne pouvais pas.
Et à l’inverse, est-ce qu’il est déjà arrivé qu’on te surprenne ? Est-ce que tu t’es déjà dit “putain, c’est la meilleure request qu’on m’ait jamais faite” ?
Tu sais, ça m’arrive souvent ! Si le mec vient me voir au bon moment, je lui joue tout de suite. Enfin, on n’est pas des juke-box, donc on prend pas vraiment les requests, mais il y a parfois des gens qui viennent te voir pour te demander “est-ce que tu peux pas jouer ‘Crispy Bacon'”, ou tel ou tel titre parce qu’ils m’ont entendu jouer ce truc-là deux ans avant et ça l’avait fait et tout. Et si c’est le bon moment, je m’efforce de le faire, en fait. Très souvent, je regarde les mecs et je leur dis “ça vient, c’est pour toi” [Il fait un signe de la main]. Donc quand c’est le bon moment, je le fais. Et ça arrive souvent. T’as plein de gens qui sentent le moment.
“Le jour où tu te plantes, t’as juste 1 000 personnes qui te regardent en disant : ‘Non mais, WTF ?’ “
Ça t’es déjà arrivé de passer un morceau et que la piste se vide ?
Ouais. Je pense que ça nous est arrivé à tous. C’est ça le truc, en fait, je reviens à ça. Le DJ cherche toujours le moment. C’est-à-dire que c’est bien de jouer des trucs sur lesquels tu sais que les gens vont danser. Il y a plein de morceaux dans mes caisses, je sais que si je les joue, je ne vais pas créer de folie, mais, d’un autre côté, je sais que les gens vont continuer à danser. Il y a une espèce de logique là-dedans. Et il y a certaines tracks, tu ne peux pas les jouer n’importe où et n’importe comment. Des tracks qui deviennent complètement magiques quand tu les joues le bon jour, au bon moment. Et le jour où tu te plantes, t’as juste 1 000 personnes qui te regardent en disant : “Non mais, WTF ?” Et ils ne comprennent pas.
Et, oui, ça m’est arrivé de ne pas comprendre la piste, plein de fois. Ne me demande de références, j’en ai pas, mais il m’est arrivé de jouer des trucs 10 minutes trop tôt, ou 10 minutes trop tard. J’ai merdé. J’ai merdé parce que j’ai pas senti le truc. Bien sûr que ça m’est arrivé. Mais il m’est arrivé aussi de jouer des trucs où j’avais le cœur qui battait, où je me disais “putain, je vais me planter, je sens que je tombe comme une merde“, et quand tu joues le truc, finalement, pchhhh, tu transformes l’essai. Tu vois ce que je veux dire ? Toi, tu pensais que c’était pas le bon moment mais tu le fais quand même en te disant “bon allez, je vais essayer”. La magie opère ou pas, ce n’est pas toujours le cas.
Bien sûr qu’il m’est arrivé de vider la piste. Et je pense que le DJ à qui ce n’est jamais arrivé, c’est le mec qui n’a jamais pris de risques, qui n’a jamais vraiment fait son métier. Notre boulot, c’est quand même de se faire plaisir, de faire plaisir aux gens, c’est sûr, mais à un moment, il faut essayer d’aller plus loin. Il faut avoir vidé une piste. C’est hyper important pour un DJ. Autant qu’il faut avoir essayé de créer un moment magique. Il faut avoir connu les deux trucs parce que, en fait, tu peux vider ta piste avec le même morceau qui l’avait fait se remplir la veille. Et ça, ça m’est arrivé souvent. Tu sais, des fois, tu fais un mix et tu te dis “putain c’est magique, ce morceau-là après ce morceau-là, ça défonce tout”. Le lendemain, tu fais le même mix, en te disant “là, je vais vous défoncer“, et ça ne marche pas. Et ça, ça m’est arrivé plein de fois aussi.
Je ne suis pas d’accord avec ça mais j’ai bossé avec des bons patrons de boîte qui disaient “un bon DJ doit savoir vider sa piste parce que ça remplit le bar“. Ça, c’est le genre de club d’où il faut vite se barrer. Il faut arrêter de bosser là-bas. Je ne citerai pas le nom, mais il y a un club où j’ai travaillé pendant longtemps et où on m’a dit ça. C’est une autre vision de la nuit [rires]. Mais j’ai jamais fait exprès de vider ma piste, je te jure, j’ai jamais fait exprès.
Un morceau que tu écoutes beaucoup en ce moment chez toi?
J’écoute beaucoup la musique de Nils Frahm en ce moment. Je ne sais pas si tu connais, c’est un pianiste, je ne sais pas si on peut le qualifier de classique, mais il frise pas mal avec l’électronique malgré ce que je pense être une formation beaucoup plus classique. C’est un mec qui me touche beaucoup dans tout ce qu’il fait et dans toutes ses recherches. Il y en a beaucoup mais lui, c’est une bonne référence.
Est-ce que tu as un guilty pleasure ?
[Il réfléchit.] Il doit y en avoir, forcément. Comme ça, je sais pas, mais il y en a forcément. Si, il y a un morceau d’Axelle Red que j’aime beaucoup, ça fait toujours rire les gens mais moi j’aime bien, un de ses premiers morceaux. Je kiffe vraiment ce morceau, je le trouve mortel. Mais je ne suis pas fan de ce qu’elle fait. Des fois, il y a des trucs qui te touchent et tu ne sais pas vraiment pourquoi. Faut pas se poser de questions, la musique c’est comme ça. Moi, je me pose pas trop de questions.
Mais tu sais quoi ? J’ai pas de plaisir inavouable en fait. Parce qu’il y a un moment, il ne faut pas être snob avec la musique, et si ce que j’aime ne te plaît pas, j’en ai un peu rien à foutre. J’écoute ça à la maison, c’est mon truc, je te l’impose, donc voilà. Dans ce boulot de DJ, tu dois faire attention aux gens qui sont face à toi et essayer, ce qui n’est pas toujours facile, de fédérer le plus possible tout en restant cohérent. Mais quand je suis chez moi, j’en ai rien à foutre [rires].
“si ce que j’aime ne te plaît pas, j’en ai un peu rien à foutre.”
J’écoute des trucs et mon fils me dit “c’est quoi cette merde ?” ; des fois il y a des trucs où ma femme me dit “je déteste cette musique-là” et elle est pareille, elle écoute plein de merdes que moi j’aime pas. Mais c’est pour moi, j’ai aucune honte, aucune honte [rires]. Je pense qu’il faut pas avoir honte de ce que t’écoutes, donc il n’y a pas de plaisir inavouable. Sauf Axelle Red [rires]. Je m’en fous, mais il y a deux, trois morceaux qui me touchent. C’est bizarre parce que je ne suis pas du tout pop française, forcément. Ah si, il y a des trucs de Michel Fugain qui me touchent énormément. Tu vois, c’est bizarre, hein ?
Pour le coup, ça c’est très avouable.
Est-ce que c’est avouable ? Je ne sais pas. Ça l’est ? Ah putain, j’adore. “C’est un beau roman” [“Une belle histoire”, ndlr], ça c’est une chanson, je la trouve tellement, tellement belle. Je trouve ça super touchant, en fait. Donc si c’est inavouable, bah je vous emmerde parce que j’aime bien. Ça me plaît et ça me plaira toujours.
Si on avait dû passer un morceau pendant ton mariage, ça aurait été lequel ?
Alors déjà, à mon mariage, j’ai pris deux DJ que j’aimais beaucoup. Pas mal, hein ? J’ai pas pensé à mes parents et à mes beaux-parents, on a pensé à nous. Ma femme est très fan de musique aussi. Il y avait Ariel Wizman comme DJ et Ariel, c’était, et je pense qu’il l’est toujours, un ouf de salsa. Avec ma femme, on a toujours aimé la salsa donc on a demandé à Ariel de venir et de faire un set en essayant de toucher tout le monde, de faire un gros gros set de salsa – mais vraiment, les vrais trucs de là-bas – et c’était mortel. Ça, ça l’a fait.
Et puis, j’ai eu de la chance parce qu’il y avait Carl Cox, Jeff Mills, DJ Deep, Gilb’R, Alex from Tokyo, parce que c’est mes copains. Donc j’ai eu plein de super musiques à mon mariage, mec. C’était top [rires]. Mais je pense que si je devais choisir un morceau, ce serait peut-être “Don’t You Want It” de Davina, quelque chose comme ça. Ça c’est un truc qui était à mon mariage, et ça l’a fait pour nous deux. Peut-être aussi “Promised Land” de Joe Smooth. Ça on l’a eu deux fois, et c’était un des morceaux importants du mariage. Voilà.
Et pour ton enterrement ?
“I Feel Love”, Donna Summer. C’est obligé. Obligé, obligé. Je pourrais te trouver un truc super triste pour te tirer les larmes, mais c’est pas l’idée. En fait, j’ai enterré un très bon copain à moi il y a pas longtemps, et on se battait toujours sur la musique parce qu’il aimait la musique commerciale, David Guetta tout ça, et on en rigolait beaucoup. Après, j’ai jamais caché que j’étais pote avec David, donc il le savait, mais il aimait vraiment les trucs ultra-commerciaux. Et je dois dire que quand ses copains ont sorti le cercueil de l’église, et qu’ils ont écouté un truc qui était supra-commercial, c’était tellement beau.
Cette sortie était tellement belle que je me suis dit, voilà “si je dois partir un jour comme ça devant mes amis, il faut que je parte sur un truc qui est joyeux” parce que même si c’était très triste, je ne sais pas, j’ai trouvé ça très élégant même si le morceau n’était pas forcément le truc le plus élégant du monde. Il y avait beaucoup d’émotion, beaucoup de larmes, ça pleurait beaucoup, ils étaient rassemblés autour du cercueil et t’avais ce morceau qui était complètement hors contexte, et c’était vachement fort.
Donc “I Feel Love”, je persiste et je signe : il faudrait que ce soit ça. Parce que c’est moi, et tout le monde le sait dans mon entourage. Je pense que ça sera un moment plutôt émouvant, de dire “je sens l’amour” quand t’as le mec qui s’en va, enfin le cercueil qui s’en va. Parce que c’est ça, en fait. Tu dis au revoir à quelqu’un mais il y a vachement d’amour. Il y a beaucoup d’amour dans ces moments-là, donc c’est pas complètement hors contexte. Je pense que c’est bien.
Quelle est la track que tu aurais rêvé de produire ?
[Rires] C’est toujours pareil. Les mêmes. J’aurais adoré faire ces morceaux dont on a parlé. J’aurais beaucoup aimé faire “Sueño Latino”, mais pas la version du groupe, celle de Manuel Göttsching, “E2-E4”. La version de 30 minutes, putain, qu’est-ce que j’aurais aimé faire ça. Pfff, quel voyage, quel voyage ! Incroyable ! J’aurais adoré faire ce morceau-là. Il y a plein d’autres trucs, mais “E2-E4”, j’aurais bien aimé parce que je pense que ça me ressemble.
Mais il y en a tellement, où je me dis “MEC !“. En fait, la musique m’a toujours incité à faire de la musique. C’est toujours la musique des autres qui m’a poussé à faire de la musique. Je reçois des trucs et je me dis “merde, MERDE ! C’est quoi cette balle ?!” et ça me donne envie d’allumer mes machines, pas pour copier mais ça m’inspire pour composer. Donc il y a beaucoup de morceaux que j’aurais aimé faire.
C’est quoi le dernier morceau que t’as chopé ?
C’était hier. Je crois que c’était des morceaux d’Arno Mathieu, il a un label qui s’appelle Clima Records. Il s’agit d’un Français, un pote de DJ Deep et Alex de Tokyo, qui a fait plusieurs trucs vraiment mortels. Il est vraiment marrant parce que dans sa musique, tu sens Chicago, Detroit, le garage, la house mais aussi la techno… c’est un joyeux bordel dans sa tête. C’est toujours intéressant ce qu’il fait et, là, c’est le dernier truc que j’ai chopé. Ça et deux, trois trucs.
Quel est ton morceau de closure ?
Je ne vais pas les jouer tout le temps mais, indéniablement, c’est soit “Jaguar” de DJ Rolando, soit “World 2 World” d’Underground Resistance. Ça, pour moi, ce sont les deux plus beaux closing qu’on puisse faire. Mais j’évite de le faire, parce que j’ai tellement utilisé ces morceaux que ça peut se retourner contre moi.
“Jaguar”, c’est juste super joyeux et tu peux pas égaler ce morceau-là. Et “W2W”, c’est pas long, l’original fait 4 minutes, mais il y a un truc vraiment viscéral de fin de soirée où quand tu donnes ça, après tu te dis : “Mais qu’est-ce que je peux jouer après ça ?” Tu peux rien jouer après, donc c’est un beau morceau de fin.
Un morceau pour lancer une chenille ?
Pour une chenille ? C’est con, ta question [rires] ! Une chenille ? Il faut un truc qui cadence, tadatadatada. Je vais pas mettre la chenille parce que ça, j’ai pas avec moi, c’est vraiment pourri. Un truc disco à la con. Je ne sais pas si j’arriverais à faire une chenille, parce que c’est un truc très spécial quand même. C’est un moment spécial dans une soirée, et Dieu sait que j’ai beaucoup fréquenté des clubs gays où il y en avait. Mais comment faire ?
Avec ce que j’ai sur ma clé ? Un bon truc bateau, qui a une espèce de rythme. [Il réfléchit.] En fait, je la créerais moi-même parce que les gens ne comprendraient pas, donc j’en prendrais trois-quatre, et c’est parti. Après, tu pourrais peut-être faire la chenille avec n’importe quoi, à partir du moment où les gens ont bien picolé, tu peux leur faire faire n’importe quoi, je pense. Pas sur tout, mais tu peux leur faire faire n’importe quoi. Les gens partiraient en vrille, ce serait une chenille psychédélique [rires]. “Crispy Bacon”, tadalalalalalala tin, tadalalalalalala tin. On pourrait faire ça avec “Crispy Bacon”. Voilà.
Entretien réalisé avec Paul Bled et Luca Thiebault.