En ce début d’année, un film est sur toutes les lèvres et attire tous les regards. Après La La Land, Damien Chazelle est de retour dans la Cité des Anges et livre un éblouissant geste de cinéma. Babylon est un film démesuré comme l’époque qu’il raconte, celle du basculement, à la fin des années 1920, du cinéma muet vers le cinéma parlant.
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Avec ce tableau grandiose, enivrant mais surtout cruel et dévastateur, le réalisateur prodige dit tout du paradoxe hollywoodien, formidable machine à rêve mais impitoyable machine à broyer les êtres. Une thématique que de nombreux écrivains ont déjà racontée dans des œuvres trash devenues cultes. Petite bibliothèque idéale pour en finir avec tes rêves de cinéma.
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Hollywood Babylone, de Kenneth Anger (Tristram)
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Source d’inspiration revendiquée de Damien Chazelle au moment d’écrire son film, Hollywood Babylone est aujourd’hui considéré comme un livre culte et un monument de l’underground, mais fut pendant longtemps attaqué, censuré par les autorités et par une partie de la presse du fait du tableau sulfureux et scandaleux que son auteur peignait de la machine à rêve. Né en 1927, année de la sortie du Chanteur de jazz, le film qui fera basculer le septième art dans l’âge du cinéma parlant, petit-fils d’une costumière renommée, Kenneth Anger arpente les studios depuis qu’il est en âge de marcher.
Pendant des années, il côtoie le gratin du premier âge d’or d’Hollywood et est le témoin privilégié d’une ère glorieuse et dépravée qui magnifie la perversion et le vice. Réalisateur complètement barré, fétichiste obsédé et sataniste avéré qui ira jusqu’à se tatouer Lucifer sur le torse, Kenneth Anger est le symbole de cette folle décadence hollywoodienne. Mais, au lieu de simplement l’incarner, il décide en plus de la raconter.
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D’abord publié en France par Jean-Jacques Pauvert, l’éditeur du Marquis de Sade, ce qui vous donne une petite idée des thématiques abordées dans le livre, Hollywood Babylone est une plongée vertigineuse dans les recoins les plus sombres et dans les secrets les plus abjects de la cité des anges, entre orgies, traînées de poudre et crimes étouffés.
Pendant des années, Kenneth Anger a collectionné avec soin les photos, découpé les journaux, ramassé les objets égarés et consigné les rumeurs les plus déjantées pour pouvoir, un jour, tout déballer. Le goût prononcé de Charlie Chaplin pour les très jeunes femmes, le destin tragique de Marie Prevost, découverte dans son appartement à moitié dévorée par son teckel, la jalousie maladive de Johnny Weissmuller alors que sa femme se balade le minou à l’air dans les soirées, la raclée infligée par Sean Connery à un ancien garde du corps de Capone : jamais Hollywood n’avait été raconté avec une telle férocité et on savoure cette époque bénie où la presse people était confiée aux écrivains les plus barrés.
Moi, Fatty de Jerry Stahl (Rivages)
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S’il y a bien une destinée tragique qui raconte à elle seule la folie irrationnelle des premières heures de l’industrie hollywoodienne, c’est bien celle de Roscoe Arbuckle. Au début des années 1920, cet acteur et réalisateur corpulent surnommé “Fatty” est une des plus grandes stars du cinéma muet et le rival de Charlie Chaplin.
Avec des gags toujours plus outranciers – c’est à lui qu’on doit l’invention de la tarte à la crème – il faisait se poiler de rire l’Amérique entière en incarnant le joyeux trublion venu secouer un pays puritain et corseté. Mais tout bascule quand, le lendemain d’une soirée arrosée à San Francisco, il est inculpé pour le viol et l’homicide involontaire d’une starlette nommée Virginia Rappe.
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Cette histoire explosive, le bad boy des lettres américaines Jerry Stahl, ancienne plume sulfureuse de la presse masculine, scénariste de Twin Peaks, écrivain destroy et addict repenti la raconte dans un incroyable roman. Il retrace la folle ascension d’un enfant du Kansas rejeté par sa famille à cause de son poids et qui trouvera le salut sur les planches, il décrit les terribles vices d’Hollywood, machine à rêve qui broie les êtres sur son passage, il démonte surtout un à un les rouages d’une odieuse machination médiatique et politique qui, en voulant en finir avec les mœurs légères de ce monde dépravé, a sacrifié la carrière d’un génie et la vie d’un innocent.
“Hollywood était peut-être si méchant qu’il fallait qu’un Jésus de 120 kilos meure pour expier ses péchés.”
Ecstasy and me, la folle autobiographie d’Hedy Lamarr (Séguier)
Comme la vie d’Hedy Lamarr, sa biographie part dans tous les sens et il faut s’accrocher. Mais que c’est fascinant de découvrir une figure du cinéma aussi injustement oubliée. Sa vie est un roman d’aventures menées tambour battant par une femme fatale au caractère bien trempé qui n’a jamais eu peur de dire aux hommes leurs quatre vérités. Dans Ecstasy and me, elle démonte avec un plaisir non dissimulé sa statue de déesse hollywoodienne pour se raconter sans fard et sans regret.
La jeune autrichienne insoumise de l’entre-deux-guerres, l’autoproclamée première actrice X de l’histoire avec son rôle dans Extase (1933) et ce gros plan d’orgasme simulé, l’épouse prisonnière d’un riche industriel, échappée de sa prison dorée en droguant une gouvernante, la plus belle femme du cinéma, seule actrice capable de négocier ses contrats en personne avec le terrible Louis B. Mayer, l’obsédée sexuelle aux multiples frasques, même l’inventrice du Wi-Fi : on parcourt les mille vies d’une icône qui a toujours refusé d’être cantonnée au statut de starlette et de simple objet du désir.
Trois femmes disparaissent, d’Hélène Frappat (Actes Sud)
Dans la grande famille du septième art, je voudrais d’abord la mère, Tippi Hedren. Star inoubliable des Oiseaux, elle fut victime de l’obsession maladive du réalisateur Alfred Hitchcock qui multipliera pendant tout le tournage les avances et ira même jusqu’à l’embrasser de force avant de tout faire pour la blacklister du fait de son refus d’obtempérer. Je voudrais également la fille, Melanie Griffith, rôle-titre du film culte des années 1980 Working Girls, objet de fantasmes à la vie sulfureuse qui fut toute sa vie la proie préférée des tabloïds américains. Je voudrais enfin la petite-fille, Dakota Johnson, incarnation du plus grand phénomène de porno soft de notre époque, Cinquante Nuances de Grey, et actrice sexualisée depuis ses débuts devant la caméra.
Dans la plus pure tradition de la narrative non-fiction américaine, Hélène Frappat, critique au Cahier du cinéma, mène l’enquête et raconte le destin chaotique de cette lignée de femmes secouées par l’impitoyable machine hollywoodienne, des victimes comme tant d’autres de la misogynie, de la sexualisation à outrance et de la violence des hommes.
Zéroville de Steve Erickson (Actes Sud)
À l’image de Many, le personnage interprété brillamment à l’écran par Diego Calva, Vikar, le héros du roman de Steve Erickson est un candide propulsé dans le grand barnum de l’industrie cinématographique, un “ciné autiste” passionné par l’histoire du septième art qui ne communique qu’avec des citations tirées de ses films préférées et qui porte fièrement un tatouage d’Elizabeth Taylor et Montgomery Clift sur l’arrière du crâne. Il débarque à Los Angeles à la fin des années 1960 et découvre un monde qui est aux antipodes de ses fantasmes cinéphiles.
De mésaventures en incompréhension, il croise la route de freaks aussi odieux qu’inoubliables et constate qu’Hollywood est devenu un royaume damné. Doucement, il s’enferme alors dans cette douce illusion qui le berce depuis qu’il est petit garçon. Le cinéma est un monde en soi, parallèle au monde réel, qui lui, au moins, mérite d’être vécu.
Roman noir désabusé, Zéroville est un émouvant cri du cœur scandé par un critique émérite qui déplore la mort du cinéma qu’il aime. Un livre devenu culte, porté à l’écran par James Franco il y a trois ans. Un acteur accusé depuis de harcèlement, qui mieux que lui pour symboliser le désenchantement de la machine à rêve…
Babylon est actuellement en salle.