Récemment, alors que je tombais sur les photos topless d’Halle Berry célébrant les 20 ans du film Catwoman, ça m’a frappé au visage : le voilà, mon premier souvenir cinéma. J’ai cinq ans, on est en 2004 et ma marraine et sa meilleure amie m’emmènent dans les salles obscures pour la première fois, voir le film Catwoman du français Pitof avec Halle Berry. Le premier film de super-héroïne de DC Comics, porté par une femme noire, de surcroît. C’est ce jour-là que ma vie a changé, je pense.
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J’apprends seulement aujourd’hui que le film est considéré comme l’un des pires de l’Histoire du cinéma. L’année de sa sortie, il a même raflé plusieurs prix aux Razzie Awards (cérémonie “récompensant” les pires daubes sorties en salle), dont un Razzie de la pire actrice pour Halle Berry, trois ans après son Oscar pour sa performance dans À l’ombre de la haine, faisant d’elle la première femme noire à remporter la statuette.
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Le temps fait bien les choses, surtout dans le monde du cinéma, où certaines productions sont taxées de tout et de n’importe quoi au moment de leur sortie, avant d’être restituées en objet culte des décennies plus tard. En ce sens, j’ai presque envie de comparer Catwoman au Showgirls de Paul Verhoeven ou au Batman & Robin de Joel Schumacher, ou encore Annette de Leos Carax. Ah non, celui-là est juste horrible. Bref, vous l’aurez compris : vingt ans plus tard, Catwoman mérite sa seconde chance.
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Je l’accorde, la première partie du film a de quoi faire palpiter tous les cinéphiles autoproclamés qui ne jurent que par le seul vrai cinéma qui soit : le cinéma d’auteur. En dix minutes seulement, montre en main, on est déjà passés par une tentative de suicide, vu cinq décors, deviné toute l’intrigue qui arrive, et rencontré l’entièreté des profils archétypaux du film.
De façon expéditive, on rencontre donc la protagoniste un peu gauche sponsorisée par Desigual, le policier sexy en love interest, les meilleurs amis du bureau qui vont porter tout l’humour du film sur leurs épaules (un homme gay et une femme ronde, évidemment), le boss tyrannique milliardaire en grand méchant et sa femme insupportable pour le seconder. Tout est là.
Une histoire de crème hydratante
L’histoire du film ? Patience Phillips, qui déteste son job de designer graphique dans une agence de cosmétique, découvre que la crème de jour qu’elle promeut peut causer de l’eczéma aux femmes qui l’utilisent, et se lance donc dans une épopée pour arrêter ses vilains patrons. Bon, entre-temps elle meurt dans un conduit d’épuration et ressuscite en Catwoman — ça va vite.
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Dans le fond, elle est si mauvaise que ça, cette trame narrative ? Je veux dire, une divinité féline égyptienne qui transmet son pouvoir à des femmes-chats au fil de l’Histoire pour qu’elles accomplissent leurs vengeances personnelles, ça tient la route, non ? C’est même plutôt féministe, si je ne m’abuse. C’est que Pitof n’a pas le temps de s’ennuyer avec les détails, d’où ses “faiblesses de scénario”, qui ont servi aux haters pour descendre le film de façon si virulente à l’époque.
Ce que le réalisateur préfère, lui, c’est le mouvement. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le film n’en manque pas. Pour celles et ceux qui ont vu le film, vous l’aurez compris : il faut que je vous parle de la scène du match de basketball. Si dans l’ensemble les jeux de caméra de Pitof (toujours en biais, je ne sais pas pourquoi) nous foutent la nausée pendant tout le film, ils sont carrément hors de contrôle dans cette scène qui n’apporte rien au film, mais qui marque les esprits, sur une musique de Mis-Teeq. I-co-nique.
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Même chose pour la seule scène de sexe du film, qui est ponctuée d’au moins quatre changements de plan alors qu’elle ne dure que trois secondes à tout casser. Au final, c’est peut-être moche et dénué de sens, mais ces choix insensés du réalisateur qui semble sautiller derrière sa caméra me renvoient l’idée d’un tournage ponctué par le fun, comme le confirmait récemment Halle Berry chez Entertainment Weekly : “c’était un tournage formidable, j’ai vraiment apprécié le faire à fond.” Et ça se ressent.
Le film pétille et vibre sur toute sa durée. C’est peut-être dû à une volonté de se conformer à un cinéma commercial qui a peur de perdre l’attention de son public, même pour une fraction de seconde, mais vingt ans plus tard, il y a quelque chose de subversif et jubilatoire dans le fait de voir un film bondir comme ça.
Si on oublie le scénario plutôt clivant, et qu’on considère Catwoman comme le film d’action qu’il aimerait être, alors les haters n’ont vraiment pas de quoi l’ouvrir. Les effets spéciaux n’ont pas à rougir pour l’époque, et même quand ils paraissent cheap, c’est au profit d’un esprit camp et kitsch qui fonctionne plus que jamais vingt ans plus tard, alors que l’esthétique est en plein revival.
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Catwoman, icône féministe
Pour marquer sa renaissance en Catwoman, Patience Phillips se coupe les cheveux toute seule (signe indéniable d’une crise existentielle), se teint les cheveux en blond (autre signe de crise existentielle), porte une combinaison full cuir, carjacke des Jaguar, mange ses sushis la bouche ouverte, dévalise des bijouteries de luxe et commande des verres de lait en boîte de nuit. L’attitude brat avant même que Charli xcx ne la célèbre vingt ans plus tard.
C’est que Patience Phillips et les autres femmes du film incarnent les féminités que le petit gamin de cinq ans que j’étais dans cette salle de cinéma avait besoin de voir à l’écran : fières, fortes, sexys et drôles. À commencer par Sally, la meilleure amie goofy et maladroite qui est peut-être bien la première icône queer à avoir croisé mon chemin — si on ne compte pas Ursula dans La Petite Sirène, évidemment.
C’est d’ailleurs à elle qu’on doit ma réplique préférée du film, dont l’écriture sonne toujours aussi juste et mordante vingt ans plus tard : “Il ne faut jamais battre un homme au sport, ça peut le foutre en l’air”. Ah, ça.
Autre signe indéniable du caractère féministe du film : Sharon Stone. Oui, l’actrice a même droit à un vrai rôle d’antagoniste, lui offrant l’opportunité d’être une vraie bad bitch à une époque où les personnages féminins ne sont encore que rarement écartés de la pureté — pour info, c’est l’année de sortie de Spider-Man 2, dans lequel Mary Jane n’est qu’une fragile demoiselle en détresse. Puis, voir Halle Berry et Sharon Stone, deux icônes de leur génération, s’affronter en robe de satin rouge et combinaison de cuir, c’est l’équivalent pour les gays et les girls d’un Clásico pour les hommes hétéros. Historique.
Quant à l’intrigue du film, que beaucoup dénoncent, articuler l’histoire d’une des premières super-héroïnes à avoir droit à son film autour d’une crème hydratante, c’est tellement ironique et grossièrement sexiste que ça en devient presque une satire géniale un peu socio et méta du sort des femmes dans le cinéma. Puis s’il faut vraiment aborder la controverse autour du costume de Catwoman, on peut enfin l’avouer : personne ne voulait voir Halle Berry faire justice dans une autre tenue que cet ensemble en lambeaux absolument iconique. Personne.
Évidemment, tout reste subjectif, et beaucoup verront derrière ce féminisme un peu poussif un opportunisme qui ne prend pas. N’empêche que pour moi, et cela n’engage que moi, aimer Catwoman en 2024, c’est restituer à un petit bijou du cinéma de super-héroïne (la féminisation est importante) toute sa légitimité.
Enfant, j’ai toujours cherché dans les femmes de la pop culture des refuges et des incarnations de toute cette féminité qu’on m’a longtemps interdite. En y réfléchissant bien, voir Halle Berry bondir sur les toits de New York en petite tenue de cuir sur fond de “Who’s In Control” de Natasha Schneider m’a peut-être bien sauvé la vie, donc merci Catwoman et vive le cinéma, le vrai.