Début 2012. Twilight et Hunger Games remplissent les salles. Uber et la 4G n’existent pas. Twitter devient tout juste l’outil cool où suivre les stars et tout le monde raconte encore sa vie sur Facebook, réseau social de référence. À la télé, le toxique Gossip Girl a remplacé l’irréaliste Sex and the City dans l’imaginaire des ados qui rêvent de New York. Jusqu’à ce qu’une nouvelle série s’y installe et change la donne.
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Girls. L’histoire de quatre amies qui évoluent difficilement dans la mégalopole, leurs carrières et leurs relations, de manière parfois aberrante, souvent insupportable, toujours touchante. En tête d’affiche, une héroïne malaisante qu’on voit nue sans être érotisée dès le premier épisode. Hormis l’arc narratif classique de la jeune américaine blanche diplômée en littérature qui veut devenir écrivaine, Girls casse les codes des séries qui suivent des héroïnes féminines — les shows impudiques comme Elite ou impertinents comme Fleabag n’existent pas.
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Girls cristallise pour la première fois ce moment étrange du début de la vingtaine, ces amitiés foireuses, ces relations toxiques, cette vie sexuelle qu’on tâtonne, ces stages non payés, ces questions existentielles. Cela semble couler de source dans toute création audiovisuelle actuelle pour les moins de 25 ans, mais il y a dix ans, c’était quasi révolutionnaire.
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Derrière ce bijou d’écriture transgressif, une jeune femme à peine plus âgée que son personnage : Lena Dunham.
Du succès soudain à la remise en question
Celle-ci a 24 ans quand elle signe un deal avec la référence derrière les séries les plus acclamées, à savoir HBO. Du jamais vu. “Je me sentais comme la stagiaire qui est aussi sur l’affiche”, confiera-t-elle plus tard, ici dans le podcast Talk Easy. La chaîne fait confiance à la jeune new-yorkaise pour développer la série alors que son CV ne compte qu’un long-métrage indépendant, Tiny Furniture, réalisé avec les moyens du bord.
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En six saisons et 62 épisodes, Girls gagne une pluie d’Emmy Awards et plusieurs Golden Globes. Un succès qui vaut à Dunham le statut mérité de jeune prodige et d’icône féministe. Mais elle ressent un malaise. “J’étais censée être cette voix des millenials alors qu’en réalité, je n’ai plus vu un seul millennial à partir de mes 24 ans, sauf ceux payés pour jouer la comédie avec moi” a-t-elle avoué récemment dans le podcast. Le dernier épisode se termine, Dunham a 30 ans, elle est multirécompensée et au sommet de la célébrité… À quel prix.
Son style cash, instinctif, sans peur du malaise l’honore autant qu’il la dessert. On lui reproche une écriture trop provocante, mais surtout, et à juste titre, pas assez d’inclusivité dans les histoires qu’elle raconte. Lena Dunham représente UNE tranche des millennials : privilégiée, éduquée, urbaine. C’est aussi la douce époque où on tweete comme on respire et notre millennial de référence n’échappe pas à la règle.
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Toujours chez Talk Easy, elle raconte :
“Quand quelque chose me fait honte, j’aime aller au bout de ce sentiment dans mon écriture”.
Dunham n’est pas du genre à garder ses réflexions et pensées honteuses pour elle. Dans son premier mémoire, Not That Kind of Girl, elle raconte comment, à 7 ans, elle découvre le vagin de sa sœur âgée d’un an, et comment elle lui avait offert des bonbons en échange d’un baiser sur la bouche. Le scandale est immédiat, et Dunham annule sa tournée promo, se confond en excuses tout en dénonçant l’extrême droite qui la traite de pédophile. Sa sœur prend sa défense, sur Twitter, évidemment.
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Dunham dérape une nouvelle fois lorsqu’elle défend un collègue de Girls accusé d’agressions sexuelles, et pas la victime. Très vite, elle rétropédale avec une longue lettre qui semble sincère. “Je demande pardon à toutes les femmes que j’ai déçues”. Elle sait qu’on attend beaucoup d’elle. Il reste indéniable que pour chaque dérapage, Lena Dunham a dû se justifier et s’excuser dans des proportions qu’on ne verrait jamais chez un homme du milieu du cinéma.
Longtemps égérie féministe grâce à son écriture cash, sa newsletter Lenny Letter où Jennifer Lawrence et Emily Ratajkowski publient leurs essais féministes, et ses discours en faveur de #MeToo, les attentes sont énormes envers Lena Dunham. C’est trop pour celle qui se décrit comme une introvertie.
Un retour mesuré
Depuis la fin de Girls, la réalisatrice fait profil bas… autant qu’une star américaine en est capable : elle tweet moins, a lancé son podcast The C-Word, fait une apparition dans Once Upon a Time in Hollywood de Tarantino et s’est concentrée sur l’écriture de longs-métrages. Ce sont de graves problèmes de santé liés à son endométriose qui l’ont surtout contrainte. Après plusieurs opérations, elle a finalement subi une hystérectomie, une procédure qui consiste à retirer l’utérus.
L’année 2022 marque son retour avec deux films. Le premier Sharp Stick, est jugé dérangeant par les critiques et les internautes. Est-il dérangeant ou est-il, comme à chaque fois avec Dunham, une plongée rare et honnête dans la complexe vie d’une jeune femme, ici victime, comme elle, d’une hystérectomie ? Il semblerait que les jauges de critiques et de ce qui est tolérable pour les réalisatrices soient toujours différentes des réalisateurs.
Le deuxième (son troisième long) s’appelle Catherine Called Birdy est sorti sur Amazon Prime le 7 octobre. Une nouvelle plongée dans la vie d’une femme américaine d’une ville branchée et glamour ? Tout l’inverse. On est ici dans l’Angleterre du XIIIe siècle. Le scénario ? L’histoire d’une jeune fille de 13 ans qui a ses règles pour la première fois.
Dans le rôle principal, l’excellente Bella Ramsey, inoubliable en Lyanna Mormont dans Game of Thrones. Drôle, touchant, révoltant, Catherine Called Birdy est une adaptation d’un livre des années 1990 que Dunham avait lu ado et rêvait d’adapter depuis dix ans.
Egalement au casting, Andrew Scott, Billie Piper et Joe Alwyn. Dunham offre une plongée joyeuse dans l’Angleterre rural, où pourtant les jeunes filles ne sont que des monnaies d’échange pour leurs familles. À 36 ans, elle avoue avoir eu envie de raconter d’autres récits de femmes. C’est réussi.
“Plus jeune, j’aurai cherché le côté sombre d’une histoire parce que c’était ce qui me semblait réaliste”, explique-t-elle dans le podcast de Vanity Fair, The Little Gold Men, avant de préciser :
“J’aurai choisi une fin plus inconfortable pour mon personnage principal, parce que je trouvais ça plus courageux. Même si je respecte cette approche d’écriture, je me suis sentie plus courageuse en choisissant une fin heureuse. Avant, j’aurais trouvé ça trop sérieux. Mais après la pandémie, je veux être heureuse.”