Deux fois par mois, dans NextGen, on invite un DJ, un producteur ou un beatmaker pour qu’il nous présente sa vision de la nouvelle génération du rap francophone à travers un mix d’une heure.
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Dans ce seizième épisode en collab avec le collectif 69 Degrés, c’est MAMA ACE qui nous partage sa vision de la nouvelle génération.
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Konbini | Salut, MAMA ACE ! Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Mama Ace | Salut et Salam à tous ! Moi, c’est MAMA ACE, je suis artiste DJ, mais aussi auto-entrepreneur dans le domaine musical depuis une année maintenant. Dans la vie de tous les jours, j’oscille entre deux vies, deux passions et deux métiers : je suis artiste, mais aussi éducatrice spécialisée. Je passe le plus clair de mon temps à créer, à digger et à accompagner des personnes dans le besoin et des jeunes en difficulté pour qu’ils puissent s’en sortir. J’utilise clairement la musique et mes connaissances en matière artistique dans mon travail d’éducatrice. Je pars du principe que la musique est l’un des seuls medium artistique qui permette de se comprendre au-delà des mots, de la langue, du genre et de la religion : en soi, pour moi, la musique, c’est la langue de l’humanité. Je ne fais pas du son pour que la lumière soit mise sur moi précisément, mais plutôt pour l’énergie qui émane de mon travail. En vrai, ce qui compte, c’est juste de créer des moments d’apaisement et de laisser une empreinte positive et réflexive.
Ma direction artistique a pour mission de mettre en avant des artistes de la diaspora de la 3e et 4e génération de descendants d’immigrés africains, maghrébins, antillais et méditerranéens : il me semble fondamental de mettre de la lumière sur le rap, sa culture et ses enfants. En tant que fille de parents immigrés marocains, arrivés en France pendant les années 1970, il me semble logique de mettre en avant notre héritage, notre hybridité et notre talent, trop souvent mis à l’écart et décrédibilisés par une partie de l’Histoire et de la société française. Disons simplement que décoloniser le rap et le hip-hop est mon mojo, c’est trop important pour ne pas le dire honnêtement.
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Ma musique est le reflet de mon amour pour la diversité, mais aussi pour la peinture et le son. Il faut dire aussi que chez moi l’amour de la musique c’est une histoire de famille. Étant née et ayant grandi dans une famille berbère marocaine, j’ai toujours été en mouvement. On a toujours bougé, rencontré des gens et surtout apprécié la musique. Le silence n’existait pas à la maison, il y avait toujours la radio allumée et j’ai eu la chance d’être bercée par la musique classique arabe, les chants traditionnels berbères, entre autres, en écoutant, Abdel Halim Hafez, Fairouz, Asmahan, Cheika Rimiti, Cheb Hasni et bien d’autres. J’ai aussi évidemment baigné dans le rap depuis toute petite, et ce grâce à mes grands frères qui me faisaient écouter IAM, La Fonky Family, 50 cent, Timbaland, Dre, Snoop et tant d’autres… Enfin, ma curiosité, c’était mon échappatoire, j’ai donc évidemment écouté tout ce que je pouvais et ça pendant des nuits entières : du rap au jazz, de la musique classique à la drum’n’bass, ou encore l’électro et le raï…
La musique est la seule chose que j’ai pu retrouver partout où j’ai eu la chance d’aller. Elle nous rassemble et est le miroir de nos vies. Aujourd’hui, j’ai à cœur de mettre de la lumière sur mon travail pour la simple et bonne raison que je pense que l’hybridité qui en émane fait sens pour beaucoup de monde. On est tous et toutes dans des “entre-deux” et les gens ont souvent besoin de cases pour exister, ce que je trouve assez dommage. C’est pourquoi ici, des cases, il n’y en aura pas.
Voilà, c’est tout pour moi, je vous souhaite une bonne écoute et merci du fond du cœur à ma famille, mes amis et tous les soldats qui font partie de l’équipe depuis plus d’un an maintenant.
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Quelle est pour toi la définition de la nouvelle génération du rap français ?
Si je pouvais donner une définition à la next gen du rap FR, je dirais simplement que c’est le condensé d’années d’éclectisme et d’un amour profond pour le rap. Pour moi c’est l’hybridité et l’équilibre entre les sonorités très électroniques et les mélodies deep et mélancoliques. Les possibilités sont infinies grâce à la MAO. Les artistes de la nouvelle génération comme La Fève, Khali, S-Tee, Stony Stone, Sonny Rave, Yvnnis, Hif, Asinine et tant d’autres, se sont saisis de cette infinité de possibilités et c’est une dinguerie pour tout féru de musique.
Ce que je remarque pourtant, c’est que l’on voit une certaine tendance qui se dessine depuis trois, quatre ans avec l’utilisation et la transformation d’éléments fondamentaux comme les 808, qui sont poussés à leurs paroxysmes dans un grand nombre de tracks aujourd’hui. Ceci a donné naissance à toute la vague supertrap qui nous régale. Aussi, je trouve ça fascinant de voir à quel point les artistes de cette nextgen sont capables de revenir aux sources avec des mélodies au piano ou au synthé, souvent issues de mélodies arabes classiques ou de musiques traditionnelles africaines. L’arrivée de la plug, de la new wave, de la rage ainsi que la drill et la 2step en France est un délice parce que cela nous pousse à nous ouvrir à une autre couleur musicale. Je ne peux pas cacher mon enthousiasme à l’idée de voir reparaître le raï ou le chaabi dans des tracks de rap ! J’aime même à penser que la nextgen, c’est aussi des ponts entre tous les genres de musique. On peut retrouver aujourd’hui des touches de rock alternatif, de metal, de minimale ou encore de techno dans le rap, au grand désespoir de ceux qui ne veulent pas avancer avec leur temps et essayer de comprendre pourquoi les jeunes aujourd’hui détruisent les cases. Perso, je trouve ça merveilleux. On sent une réelle intelligence dans la gestion de l’image, des clips, de la communication : ce qui me fascine chez la nextgen, c’est leur capacité à s’entraider et à créer un mouvement humble et extrêmement qualitatif. Les jeunes aujourd’hui sont en mesure d’assumer leurs limites pour demander de l’aide à autrui et inversement. En vrai, ça prouve bien que le fait d’essayer de nous diviser sur tous les plans, ne marche pas et que ça a créé l’effet inverse. C’est pour cela que je dis que la musique n’est pas juste un langage universel : c’est aussi une action sociale et politique même si elle part évidemment d’un besoin viscéral de créer juste et sortir une émotion. Pour illustrer mon propos, je vous conseille d’écouter ABSOLUMENT : “Music sounds better with you” de Rounhaa. Ce son est totalement représentatif de l’hybridité, de l’intelligence émotionnelle et d’une direction artistique deep et bien réfléchie. La voix est devenue elle aussi un instrument, elle est distordue, malléable sur MAO à l’image d’un piano ou un violon et les mots, eux aussi, résonnent encore plus fort.
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Quels sont pour toi les trois rappeurs ambassadeurs de la nouvelle génération que tu as mis dans ton mix et pourquoi ?
Théodora, Yvnnis et Kay The Prodigy.
Théodora parce qu’elle est tout simplement magique : elle est venue apporter une autre dimension au rap, sa voix est incroyable avec une couleur musicale unique qui vient forcément à notre rencontre et nous intrigue. Ses textes sont importants et ça me rassure que les jeunes aient accès à d’aussi beaux textes. Je pense sincèrement qu’elle va aller loin. Tout est extrêmement bien ficelé et je pense qu’avec les années, elle saura aller encore plus loin avec sa voix et ses textes et c’est tout ce que je lui souhaite. Aussi, gros shout out à Saint-Denis et Saint-Ouen bien évidemment. J’y ai grandi et c’est d’autant plus un bonheur que de voir une femme tout rafler dans ma ville d’enfance. Pour découvrir Théodora, je vous conseille d’aller écouter la track “Besoin d’aide” (prod. Jeez Suave), qui me semble représentative de son univers artistique.
Yvnnis, c’est juste une grande dinguerie. Quand je parlais d’hybridité et de retour aux sources, je pense entre autres à lui. Sa plume est précise et les prods sont insane. C’est tellement pur et en même temps agressif : on ressent qu’il a mangé du rap au petit déjeuner depuis minot. J’apprécie tout particulièrement son phrasé et son flow : c’est très technique et peut vraiment parler aux auditeurs de rap “d’anciens”. Je trouve que c’est un artiste phare de ces deux dernières années. Ses leads sont riches en sonorités orientales et parfois classiques, le tout cassé par des basses parfois grésillantes qui régalent. Pour découvrir Yvnnis, je vous conseille d’écouter le morceau “Sur le gun” (prod. Lil Chick & Nami). Je pense aussi qu’il va devenir un pilier de cette nextgen et c’est aussi tout ce que je lui souhaite.
Last but not least, la grande Kay The Prodigy, en vrai, je pense que beaucoup la connaissent, en tout cas je l’espère. C’est l’une des artistes les plus avancées sur le plan technique, l’image, la scène et sa présence est juste incroyable. Ce qui m’a marqué quand j’ai découvert the big Kay The Prodigy c’est que je me suis tout de suite imaginée à un concert en fosse. Elle a ce que très peu ont je trouve, c’est une capacité immense à vivre, interpréter et à incarner sa musique. On ne peut pas l’imaginer ne pas tout casser sur scène. L’alchimie entre ses mots, son flow et les prods est juste dingue. Je crois que ça fait bien six ans que je n’avais pas pris une tarte pareille. Le vent de l’Est commence enfin à souffler, et j’espère qu’elle va pouvoir continuer à tout casser et à mettre le feu sur toutes les scènes de France. Pour la découvrir, allez écouter la track “Crime Parfait, Abandonne Tù” (prod. Mezzo Millo).
Qui sont pour toi les trois producteurs ambassadeurs de la nouvelle génération que tu as mis dans ton mix et pourquoi ?
Kosei, Abel 31, Meel B.
Kosei, depuis quelques années maintenant, c’est l’un des compos que j’écoute le plus, que ce soit sur Soundcloud avec des prods expérimentales et profondes ou bien sur ses différents projets en collaboration avec d’autres artistes. Je pense que c’est l’un des compositeurs qui a mis en lumière la new wave. La complexité de son travail est immense et je pense que les gens ne se rendent pas compte du niveau de ce qu’il met à disposition de nos oreilles. Le fait qu’il utilise des dizaines et des dizaines de pistes, qu’il cumule des instruments qu’on pourrait penser dissonants, et qu’il crée des mélodies profondes et intenses, font qu’aucune de ses prods se ressemblent et qu’il créé tout un univers à chaque fois. En bref, je dirais que Kosei est un pilier de la nouvelle génération du rap FR mais pas seulement. Je vous conseille de vous perdre sur son Soundcloud et découvrir un autre monde, et, en attendant, aller écouter la track “20/20”.
Abel 31 c’est l’une des dernières tartes musicales que j’ai prise. Je l’ai découvert il y a 9 mois et, en tant que passionnée de trap et de tous les styles alternatifs de rap, je ne m’en remets toujours pas. Lorsque je parle de pont entre les genres musicaux, Abel 31 est un magicien dans ce domaine. Ses prods sont toutes ultra-bouncy, dansantes même, mais en même temps hyper-sombres. Il y a un côté métallique à sa musique qui me met les frissons à chaque fois. Il joue beaucoup sur le côté digital, tout en gardant un fond limite “riddim”. J’aime énormément passer ses morceaux en soirée car les gens sont choqués dès la première mesure. Je trouve que son travail transcende la vérité. C’est vraiment l’archétype du génie Soundcloud caché qui drop des sons de 2 minutes pendant lesquels tu respires vite tellement il y a d’informations. Il arrive à hypnotiser l’auditeur et à capter l’attention en une fraction de seconde. Si vous voulez rentrer dans la salle du temps écoutez-la track “Wolves” produit par lui-même sur Soundcloud.
Meel B, est l’une des plus grandes compos de notre génération. Elle est arrivée humblement en proposant des prods aériennes, solides et mystiques. Il y a là, aussi, la notion d’hybridité : elle sublime l’énergie du rap avec des mélodies et des leads uniques et futuristes. La house, la techno, l’électro sont des styles qui semblent l’inspirer. Le mélange entre les sonorités électroniques poussées à leur maximum, quitte à avoir des moments de tremblement dans la prod, nous offre un moment de déconnexion et de découverte totale. Sa musique me touche profondément parce qu’elle utilise aussi beaucoup les sonorités maghrébines dans ses mélodies. Je me suis retrouvé à être émue aux larmes en écoutant une prod remplie de ctm 808, c’est un sentiment archi-satisfaisant. Aussi, je trouve qu’elle arrive à être éclectique dans sa musique : aucune de ses prods ne se ressemblent, elle est capable d’aller au-delà des rythmes de base des prods rap : les contre-temps sont incroyables, les breaks sont une dinguerie et elle sait fondamentalement jouer avec les silences. En bref, Meel B est une artiste fondamentale dans cette nextgen et sa musique doit être écoutée en profondeur car elle est pleine de cœur, de passion et de technique. C’est sans surprise que je vous encourage à écouter son Soundcloud, sinon, voici une track fondamentale à écouter sans limites “222”.
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