Robert Eggers doit-il le succès de son premier long métrage à un pacte avec le Malin ? Sorti à l’hiver 2016 aux États-Unis, The Witch a décuplé sa mise en récoltant plus de 40 millions de dollars au box-office, pour 4 millions de budget. Un triomphe auquel a participé non pas Lucifer en tant que tel, mais l’inattendu parrainage d’une organisation satanique : the Satanic Temple. Explications.
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Certifié 100 % satanique
Quelle ne dut pas être la joie de Robert Eggers lorsqu’il aperçut, sur Twitter, les compliments officiels de Stephen King sur son film.“The Witch m’a foutu les jetons. C’est un vrai film, intense et aussi réflexif que viscéral”, avait déclaré sur son compte le romancier, qui n’est certes pas un petit joueur question registre horrifique. Un honneur, donc.
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Tout autre a sans doute été la réaction du cinéaste lorsqu’il reçut l’adoubement du Satanic Temple. Soit une organisation basée aux États-Unis se disant forte de 100 000 membres qui, malgré son appellation, ne vénère pas le Malin. “Nous ne croyons pas en l’existence de Satan”, est-il clairement indiqué sur leur site. La religion des adeptes ne consiste donc pas à boire le sang de nouveau-nés à la gloire d’une entité aux cornes de boucs. Mais plutôt d’épouser des principes libertaires inspirés de la figure biblique de Lucifer, célébrée comme le symbole d’une lutte individualiste contre la tyrannie divine.
Après la sortie du film, Jex Blackmore, une porte-parole de l’organisation (qui reposte régulièrement des publications féministes et des cagnottes destinées aux femmes n’ayant pas les moyens de se faire avorter), avait déclaré : “The Witch est plus qu’un film ; c’est une expérience satanique profonde, un appel aux armes qui devient un acte de sabotage spirituel et de libération vis-à-vis des traditions oppressives de nos ancêtres.”
Charmé, le Satanic Temple a carrément décidé d’organiser plusieurs diffusions du film auprès de ses membres, en les accompagnant de performances interactives et de rituels annonçant “la nouvelle ère du satanisme”. En matière de coup de pub pour une œuvre horrifique, on a rarement fait mieux. Mais comment expliquer un tel engouement ?
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Plongée dans la Nouvelle-Angleterre puritaine
À en croire Jex Blackmore, The Witch illustrerait avec maestria la chape de plomb qu’a fait peser le christianisme sur les consciences individuelles. De fait, le film, né de la fascination juvénile de Robert Eggers pour la sorcellerie et produit par la très hype A24 (Spring Breakers, Under the Skin, Moonlight…), s’enracine dans l’Amérique puritaine du XVIIe siècle. En 1630 plus précisément, soit 60 ans avant le début du procès des sorcières de Salem. Mais, déjà, l’empreinte du démon est partout soupçonnée et partout traquée aux abords du “Nouveau Monde”.
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Dans cette atmosphère paranoïaque, William s’exile avec sa femme et ses quatre enfants de la colonie de Yorkshire après une âcre dispute avec sa communauté religieuse pour se retirer à la lisière d’un bois, loin de la civilisation. Là-bas, tous mènent une existence pieuse rythmée par les prières, la culture du maïs et l’élevage des bêtes. Mais le bonheur sylvestre ne dure pas car, une après-midi, le dernier-né disparaît. C’est le début d’une avalanche d’événements aux accents paranormaux qui, peu à peu, entraîneront les protagonistes aux confins de la folie.
Pas besoin d’avoir fait des études de théologie pour comprendre comment ce pitch a pu ravir The Satanic Temple. Autre facteur décisif, sans doute : le travail d’orfèvre mis en œuvre pour recréer fidèlement l’ambiance de la chasse aux sorcières de l’époque. Dialogues inspirés d’écrits d’antan (sermons, procès…), casting exclusivement anglais pour interpréter les membres de la famille, architectures et environnements conçus à l’appui d’experts britanniques du XVIIe siècle. Un travail d’or-fè-vre, qu’on vous dit.
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À l’assaut du ciné d’aventure
Immense succès en salle (par-delà les cercles satanistes) The Witch a été copieusement encensé par la critique. Et a également récolté le prestigieux prix de la meilleure mise en scène, au Festival du Film de Sundance 2015. Ce retentissement – rare pour un premier film – a propulsé Robert Eggers au rang d’artisan du renouveau du cinéma d’horreur. Quelques années après la sortie de The Witch, il sera rejoint par Ari Aster dont les films (Hérédité, Midsommar) sont, eux aussi, produits par A24 (tiens, tiens…).
Pas du genre à se reposer sur ses lauriers, Robert Eggers a livré en 2019 le déroutant The Lighthouse. Film expressionniste porté par un duo de choc (Robert Pattinson, Willem Dafoe), ce second long métrage, sans être un échec, avait été plus froidement accueilli par le public, avec 18,5 millions de dollars glanés au box-office. Pas de quoi être démonté.
Troisième film, nouveau challenge. En tournant The Northman, le cinéaste quitte les rivages coutumiers de l’horreur pour se lancer dans le registre de l’aventure. Le film, dont le tournage a été chahuté par le Covid-19, et qui paraîtra en avril prochain, retracera l’épopée vengeresse d’un prince nordique au Ve siècle de notre histoire. À l’affiche, apparaîtront Willem Dafoe, Nicole Kidman, Björk ainsi que Anya Taylor-Joy (la révélation de The Witch). Un casting qui devrait faire l’unanimité. Mais pas sûr que les satanistes soient emballés par le scénario, cette fois.
https://www.youtube.com/watch?v=semEnQcGLlg