Série : The Big Bang Theory a-t-elle déringardisé la culture geek ?

Publié le par Antonin Gratien,

Sheldon Cooper, ou la revanche du nerd.

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Eh oui. Si vous pouvez aujourd’hui fanfaronner sur vos connaissances en matière de super-héros, mangas et péripéties tolkienesques, c’est sans doute grâce aux péripéties de Leonard, et ses no life de potes. Au moins un peu. Véritable raz-de-marée audiovisuel, The Big Bang Theory a tiré sa révérence en 2019, au bout de 12 saisons diffusées sur CBS et après avoir caracolé en tête des records d’audience de série aux États-Unis (17 millions de téléspectateurs par épisodes en 2019, loin devant les 15,3 millions de Games of Thrones).

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Derrière lui, le sitcom multi-primé laisse le souvenir d’une intrigue drôlatique, tissée autour d’un coup de poker : faire d’intellos socialement à la ramasse, jurant plus par d’ésotériques références au Seigneur des anneaux que par leurs conquêtes amoureuses, les héros du show. Un parti pris qui résonnait, au moment du lancement de la série en 2007, comme la revanche triomphante d’une “culture geek” en voie de démocratisation, alors même qu’elle avait longtemps été marginalisée – sinon franchement moquée. Focus.

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no life rencontrent une blonde, et ça fait “PAF”

Nul ne sera étonné que l’univers geek-friendly de Big Bang Theory soit né de la collaboration entre Chuck Lorre, et Bill Prady. Un scénariste ayant œuvré pour Star Trek qui, avant de faire des étincelles avec le petit écran, s’était distingué comme programmeur informatique grâce à des compétences de codage qu’il avait appris en autodidacte. 

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De l’esprit du tandem aux pendants nerd est née l’idée, décontenançante au premier abord, de mettre sur le devant de la scène un quatuor à part. En lieu et place des pimpants vingtenaires qui avaient, quelques années auparavant, fait le triomphe de Friends (à bien des égards, l’insigne ancêtre de Big Bang Theory…), on trouve une brochette d’esprits aussi brillants intellectuellement qu’inadaptés en société. Le genre capable de remater pour la 258e fois L’Empire contre-Attaque, pour le simple plaisir de commenter l’œuvre en live

Leur marginalité est mise en lumière par l’arrivée, dans l’immeuble où réside la colocation du duo emblématique de la série (Leonard et Sheldon), d’une madame tout-le-monde : Penny. C’est à travers son regard souvent circonspect sur les activités de ses voisins – de la partie de Donjon et Dragons aux sessions enfiévrées de jeux vidéo – que le public fait la rencontre d’une “culture geek” foisonnante.

Épisode après épisode, Big Bang Theory distille des flopées de références qui, sans prétendre à la coolitude de celles liées à l’univers du skateboard par exemple, sont présentées comme fun. Acceptables, avouables. Soudain, les nerds – ces figures paroxystiques des loosers des campus US – deviennent familiers. On se surprend même à les aimer. Un grand pas, lorsqu’on sait que quelques années auparavant, la figure du “geek” semblait éternellement condamnée au rang de souffre-douleur.

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Le geek : de bolosse de ton lycée à incontournable de la pop culture

Remontons la bobine. Comme le rappelle le professeur en science de l’information et de la communication David Peryron dans une passionnante publication, l’appellation “geek” tire son origine du terme germanique geck qui, autour de l’an mille, désignait “un fou, une personne idiote, simple, naïve et facile à duper”. Le terme est ensuite associé, courant XIXe aux freak shows. Dans son orthographe contemporaine, le “geek” est alors celui qui, durant ces représentations, dévore avec une voracité quasi-animale tout ce qui lui passe sous la main. 

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C’est en bonne logique que l’expression est ensuite utilisée dans le milieu étudiant états-unien pour ridiculiser les élèves studieux. Ou tout simplement ceux qui cultivent des intérêts peu valorisés. Se passionner pour le baseball, c’est cool. Se plonger des heures dans des livres de biologie, moins.

Parmi la galerie très hiérarchisée des “micros-populations” qui s’agitent au creux des campus américains, le geek trouve donc sa place aux côtés du badboy, de la pom-pom girl ou de la gothique. Cette division de la jeunesse en castes est souvent mise en scène, comme dans la référence absolue du genre teen movie, Breakfast Club (1985), où un groupe d’ados aux univers distincts se retrouvent punis ensemble.

Peu à peu, le “geek” trouve sa place dans le paysage culturel en opérant une mue impulsée, notamment, par l’apparition de franchises au retentissement planétaire comme Star Wars. Cette figure marginale n’est plus simplement fascinée par la science, elle s’intéresse aussi aux univers de fiction. The Big Bang Theory s’inscrit d’évidence dans ce sillon. Au début de la série, World of Warcraft captive des millions d’abonnés, la chaîne de télé Nolife vient d’être lancée… Bref, la “culture geek” fait ses premiers pas dans le mainstream. En 2009, Barack Obama himself s’était fait couronné “First Nerd President”par l’humoriste John Hodgman, en raison de son goût notoire pour les comics.

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Qui pourra stopper le nerd ?

Loin d’avoir inventé, ni même simplement structuré, la “culture geek”, The Big Bang Theory en a surtout consacré l’avènement culturel à grande échelle. Ce, à travers des personnages qui jouaient avec les codes de l’imaginaire un rien moqueur subsistant encore, courant 2000’s, à l’égard des nerds. Certes, Leonard & Co adhèrent (parfois outrancièrement) aux stéréotypes de l’handicapé social (ce n’est pas un hasard si l’autisme Asperger est parfois surnommé “geek syndrome” outre-Atlantique).

Mais ces atypiques sont célébrés pour leur différence là où, quelques années auparavant, ils auraient été représentés au pire comme des werdos victimes du harcèlement des “populaires”, au mieux comme des faire-valoir à destination de héros. Des “vrais de vrais”, avec muscles saillants et tutti quanti. Sheldon Cooper aurait-il accomplit la mue du geek, depuis les rivages ombrageux de l’introversion subie vers les lumineuses contrées de la coolitude ?

Après tout, Leonardo Dicaprio se targue désormais publiquement d’avoir une collection de figurines pharamineuse, et Henry Cavill, gamer notoire, a révélé que son attrait pour The Witcher venait… De sa passion les jeux vidéo de la franchise ! Tenez-vous prêt, tous les signaux l’annoncent : geek is the new hype