Il était une fois… Une vie menée à l’envers. Ce conte, c’est L’Étrange Histoire de Benjamin Button qui le déroule. À travers une fresque douce-amère nous faisant traverser le XXe siècle aux côtés d’un homme ayant la particularité bien étrange, en effet, d’avancer dans l’âge à rebours. Né avec le physique d’un octogénaire aux muscles raidis, ce héros d’un genre nouveau rajeunit, encore et encore. Jusqu’à finir ses jours au format bambino.
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Cette idée à “contre-courant” est né sous la plume de l’écrivain F. Scott Fitzgerald, auteur de L’Étrange Histoire de Benjamin Button originelle, une nouvelle éponyme publiée en 1922. Particularité de l’écrit ? Son humour, ses péripéties décapantes. Étonnant, lorsqu’on sait que l’adaptation de Fincher penche clairement (et sans surprise) vers le drame. Alors question : vieillir à rebours des aiguilles d’une montre, est-ce une bonne ou une mauvaise situation ? Team Fitzgerald ou Fincher ? Voyons voir.
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En rajeunissant continuellement…
1. Tu deviendras une star…
Pas besoin d’être un crack pour entrevoir les lumineuses possibilités offertes par ta condition hors norme. Une petite vidéo postée sur les réseaux, quelques tests scientifiques histoire de prouver que non, non, tu n’es pas une fraude et… Tadam ! Te voilà LE phénomène du siècle. Jimmy Fallon te déroule le tapis rouge pour participer à son Saturday Night Live, les griffes de luxe se pressent au portique pour faire toi leur égérie… Tous les spotlights sont braqués sur toi. La vie d’artiste, quoi.
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… Mais cette fame sera éphémère
Comme toutes les gloires, seraient peut-être tentés de souligner les plus philosophes d’entre vous. Certes. M’enfin là, quand même, tout spécifiquement. Simplement parce que ta mystérieuse jouvence n’a rien de si spectaculaire que ça. Ouais t’es une énigme de la nature – et après ? Question concu’, y’a des youtubeurs qui proposent du divertissement à rythme industriel, des stars qui t’empilent les hits. Etc. Toi, au final, tu n’as pas grand-chose à proposer au public. Alors à moins de te trouver un talent à exploiter, tu passeras vite aux oubliettes. Bienvenue dans la jungle du show biz. Déso, pas déso.
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2. Tu traînera sans honte avec tes darons…
Même logique concernant les gosses, d’ailleurs. Étant donné que t’as démarré dans l’existence comme un aïeul croulant, tu finiras bien, un jour, par avoir l’apparence d’une personne de la génération de tes géniteurs. Puis de tes éventuels enfant qui, eux, vieillissent à la normale. L’intérêt ? Pouvoir zoner avec eux comme si tu faisais partie des leurs, pardi. Exit la gêne du style : “oh bah nan, vu ma dégaine de quinqua’ je vais quand même pas embarrasser la gosse en l’accompagnant en boîte…”. Intégration smooth ga-ran-tie.
… Mais bonjour le décalage
Eh oui, c’est un peu le revers de la médaille. Imaginons un instant que tu décides effectivement de t’embarquer avec ta fille dans une folle virée nocturne. Gardons à l’esprit que si elle, dans sa vingtaine triomphante, se révèle prête à en découdre toi, malgré ta dégaine de teen, t’avoisines les 60, 70 ans. À un âge pareil est-ce-que t’aurais vraiment envie de t’enquiller jusqu’aux aurores ? Rien n’est moins sûr. Pour le dire vite : tu te sentirais pas à ta place. Et c’est un peu la malédiction à laquelle est condamné l’aimable Button, dans le film. Jeunot, il rêve de pouvoir jouer avec les autres gosses et âgé… Le voilà qui se résout, la mort dans l’âme, à abandonner compagne et enfant. De peur que son rajeunissement ne l’empêche de remplir son rôle de père.
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3. Tu esquiveras la crise de la cinquantaine…
L’angoisse des cheveux blancs, très peu pour toi. Non pas que tu n’aies jamais connu les augustes traces du troisième âge, t’es carrément né dedans, après tout. Mais voilà : tout ça sera vite derrière toi. À mesure que les saisons s’enchaînent, t’approches comme par magie de ton prime. Ton zénith, ton f**king climax. Dans le film, Brad Pitt (qui incarne mister Button) arrive au monde sous la forme de créature à l’apparence antédiluvienne avant de se muer, pas à pas, en divinité apollinienne. Quelque chose du calibre de son apparition dans Thelma et Louise. Ça fait rêver, forcément.
… Mais tu passeras quand même l’arme à gauche
“À la fin, on termine tous dans des couches”, rappelle doctement Daisy (Cate Blanchett), après que Benjamin – son compagnon – lui est fait part de ses craintes sur l’avenir. Car si son rajeunissement tient du prodige, il ne va pas jusqu’à lui garantir la jeunesse éternelle. Passé la vingtaine solaire arrive l’âge ingrat, très ingrat, de la puberté. Ce sort sera aussi le tient. Un virage d’autant plus problématique qu’il s’accompagnera sans doute de dégénérescences mentales liées à ton âge avancé. Dans le film, Button version ado souffre par exemple, de démence. Pas hyper, hyper, glam’.
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Récap’
De prime abord, il y a quelque chose de vachement rock n roll dans l’optique du rajeunissement continu. On fait rien comme personne, on suit sa propre voie… Okay. Mais à bien y regarder, c’est un authentique crève cœur. Disons que si vous partagez le phénomène avec une moitié, il y a là un ressort romantique plutôt irrésistible. Quelque chose de presque vampirique, à la Only Lovers Left Alive. On visualise deux tourtereaux qui tissent leur amour à contre courant de la marche du monde – sympa. Sauf que.
Dans le film, Button est seul. Exception il naît, exception il mourra. Imaginons deux secondes la solitude du type. C’est juste vertigineux. Et tragique. Dans le film, notre héros est renié par son père. Puis doit abandonner son âme sœur, ainsi que sa fille. Alors certes, Benjamin Button appartient à l’ordre de l’extraordinaire. Mais payer cette originalité au prix de l’exil ? De l’arrachement aux siens, des adieux à l’amour ? Merci, mais… Non merci. Sans façon.