Niveau adaptations du récit que fît Homère du retour d’Ulysse, depuis les ruines de Troie jusqu’aux enceintes de son Ithaque chérie, il y a de tout. Des tragédies, de la romance et, plus étonnamment peut-être, du burlesque. Dans ce registre, nul doute que les frères Coen ont décroché la médaille d’or en 2000, grâce à O’Brother. Un récit farcesque très, très librement inspiré de l’Odyssée.
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Si à l’origine les réalisateurs de Fargo avaient confié vouloir simplement conter “la cavale de trois corniauds” sans lien spécifique avec ce poème phare de l’Antiquité, daté du VIIIe siècle av. J.-C., force est de constater que le film en constitue bel et bien une réinterprétation. Particulièrement délirante certes – touche Cohen oblige –, mais réinterprétation quand même. La preuve en 7 points.
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1. De personnage épique en forçat babillard
On ne nous fera pas croire qu’il s’agit d’un hasard si le protagoniste de O’Brother s’appelle Ulysse Everett McGill. Pas une coïncidence non plus si cet antihéros campé par George Clooney use de la parole pour parvenir à ses fins, comme son illustre prédécesseur. Verbeux aux phrases inutilement alambiquées, “Ulysse” se targue d’être doué pour la “pensée abstraite” et discourt, intarissablement. Même si la plupart du temps c’est dans le vent.
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2. Retour aux bras d’une épouse perdue
Au début du film, Ulysse, Pete et Delmar faussent compagnie à leur garde pénitentiaire. Ces trois compères pas tellement plus futés que les frères Dalton s’élancent alors à travers l’État du Mississippi dans l’espoir de déterrer un magot oublié. Mais, tandis qu’ils baroudent, Ulysse finit par annoncer à ses ex-compagnons de chaînes la triste nouvelle : le trésor n’existe pas. Pure invention, destinée à cacher la véritable raison de cette évasion orchestrée par ses soins : reconquérir son ex-femme, avant qu’elle ne marie un autre. Le nom de la belle ? Penny.
Retranscrivez ce fil narratif dans un registre un peu plus épique et vous tombez nez à nez avec… L’Ulysse homérique, cherchant par tous les moyens à regagner les bleus rivages d’Ithaque pour y retrouver son trône, son fils et sa femme Pénélope. Laquelle a patiemment attendu le retour de son partenaire, contrairement à la Penny des frères Coen.
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3. L’art du travestissement
Dans l’Odyssée comme dans O’Brother, Ulysse se déguise en personne âgée pour passer inaperçu. Dans le premier cas, le héros dévoile son identité par sa parfaite maîtrise de l’arc – dont il fait la démonstration en massacrant méthodiquement tous les soupirants de Pénélope. Concernant l’œuvre des Cohen, notre antihéros se découvre et évince l’époux de son ex-compagne en interprétant I am a man of Constant Sorrow, comme seul l’authentique chanteur des Soggy Bottom Boys pourrait le faire. Et toc.
4. Le chant des sirènes
C’est l’une des scènes les plus mémorables de O’Brother. Tandis qu’ils empruntent un chemin forestier, des voix mielleuses attirent irrésistiblement les comparses du film aux abords d’une rivière. Là, dans une atmosphère édénique, trois jeunes femmes entonnent leur langoureux refrain. Cet hypnose ne peut que rappeler celui des sirènes évoquées dans le XIIe chant de l’Odyssée.
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5. Métamorphose d’un compagnon
Malheur. En cédant au magnétisme de ces nymphes, il semblerait que le malheureux Pete a été transformé… En “crapaud en chaleur”, selon les termes fleuris du fidèle Delmar. Une très probable référence à la métamorphose des compagnons d’Ulysse en porcs, sous l’enchantement de la magicienne Circé. Dans le poème antique, les malheureux retrouvent leur apparence après que le héros grec aux mille ruses est parvenu à tromper l’enchanteresse. Quant au film… Les frères Coen versant peu dans le fantastique, la résolution est un brin plus pragmatique. En réalité Pete n’a pas été maudit, mais tout simplement capturé par les autorités. D’où sa disparition.
6. Gaffe au cyclope !
Parmi la myriade de monstruosités avec qui Ulysse doit croiser le fer sur son chemin de retour, il en existe une dont tous les lecteurs de l’Odyssée conservent la mémoire : Polyphème. Un cyclope anthropophage qui décide, grosso modo, de faire du héros grec et de ses compagnons son quatre-heures. Cette vedette homérique trouve un équivalent chez les Cohen en la personne du patibulaire Big Dan, un vendeur de bibles borgne à l’appétit vorace et au physique imposant.
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7. Références directes
“Ô muse ! Sing in me, and trough tell me the story, of that man skilled in all the ways of contending, a wanderer, harried for years on end…” Ce sont sur ces paroles que s’ouvre O’Brother. Et on vous le donne en mille, il s’agit des premiers vers de l’Odyssée. Autre hommage à l’œuvre, un peu plus camouflé : lorsque Ulysse rencontre Big Dan pour la première fois, on peut apercevoir en arrière-plan un buste d’Homère.
Si avec tout ça vous n’êtes pas convaincu qu’en tournant O’Brother les frères Coen ont livré une Odyssée nouvelle mouture, on ne sait pas ce qu’il vous faut.