Mais au fait : comment ça se passe, un vrai exorcisme ?

Publié le par Antonin Gratien,

Eau bénite, prières... Père Henri Gasmier nous dit tout.

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Exorcisme. Décliné à toutes les sauces de l’horreur hollywoodienne, le mot évoque spontanément un carrousel d’abjections plus spectaculaires les unes que les autres. Des faces purulentes par ci, quelques lévitations par là. Et même une descente d’escalier façon “araignée” (cc L’Exorciste). Bon. Tout ça aurait de quoi foutre les jetons à une porte de prison. Mais ces représentations, pour le moins “hautes en couleurs”, sont-elles fidèles à la réalité du rituel ?

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Car oui, aussi surprenant que cela puisse paraître, l’exorcisme a encore cours de nos jours. On en discute avec le Père Henri Gesmier (mais appelez-le par son surnom “Riton”, il préfère), ancien recteur du Mont Saint-Michel où il a officié durant neuf ans, en allant à la rencontre de la souffrance des “possédés” comme… Exorciste. Une vocation énigmatique, dont il a narré l’épreuve à travers un ouvrage paru en 2021, L’exorcisme au quotidien.

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Pour nous, cet homme de foi au parcours atypique, ex infirmier psychiatrique et ancien éducateur pénitentiaire aujourd’hui vicaire à Saint-Pierre de Montmartre, a accepté de dévoiler les coulisses d’une pratique humaniste, loin de la légende noire brossée par le cinéma made in US, à grand renfort de grimaces outrancières et d’effusions hémoglobine. Rencontre.

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Allons droit au but, mon Père. Le Diable est-il parmi nous ?

H.G. Bien sûr. Car ce nom n’est que la représentation du Mal, qui existe comme le Bien. Le Mal a toujours été, en s’imposant à nous sous des formes historiquement variées – et qui varieront encore.

Le rôle de l’exorciste est-il précisément de démasquer, puis combattre ces manifestations polymorphes du “Mal” ?

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Dans le mot “exorcisme”, il y a le latin exercere qui signifie “libérer”, “faire sortir de”. Cette origine étymologique en dit long : l’exorciste est un médiateur entre Dieu et une personne en peine, dont un rituel vise à extraire d’elle le mal qui la ronge.

De votre expérience, peut-il s’agir de possessions démoniaques, telles que représentées dans la franchise L’exorciste ou encore la saga Conjuring ?

On nage en plein “hors sujet”, avec ces films. Pour la majorité, ceux qui requéraient mes services souffraient de maux tristement communs. Perte d’un enfant, tendance suicidaire, poids d’un inceste longtemps refoulé… Face à la violence inouïe du mal-être, il est humain de chercher une réponse, une logique au drame. Alors certains, submergés, toquent à la porte d’un exorciste en se croyant “possédé”. Tout simplement parce qu’ils pensent : “Pourquoi cela m’arrive-t-il à moi, et pas à l’autre ? Le Diable doit m’habiter”.

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Chapelet, eau bénite, sel… Utilisiez-vous un tel arsenal, pour conjurer le “Mal” ?

Les premiers outils de l’exorciste sont l’écoute, l’adaptabilité et “l’empathie émotionnelle”. Être exorciste, c’est d’abord tendre l’oreille. Même si ce qui est prononcé est dérangeant – voire incohérent, ou absurde. Il y ensuite un temps d’échange, durant lequel je glissais souvent cette question : “Avez-vous un bon médecin ?”. Car là où de nombreuses douleurs étaient insaisissables il y a cinq siècles, nous disposons aujourd’hui de connaissances scientifiques solides en la matière. Il faut différencier les troubles psychiatriques qu’on associait autrefois à la “possession” – délire, dépression, paranoïa… – mais qui relèvent aujourd’hui de la clinique, et une relation troublée à dieu, qui est le champ d’action de l’exorciste. Ce, même si les deux approches – thérapeutique, et spirituelle – ne sont pas incompatibles pour panser les plaies du cœur, bien au contraire. Concernant ma propre pratique : j’intervenais auprès des souffrants en récitant les prières d’un livre auquel seuls les exorcistes mandatés par l’Église ont accès. Et puisque les signes religieux ont une importance capitale, au regard de celui qui se croit abandonné de Dieu, j’utilisais aussi de l’huile, de l’eau bénite. Puis, quand la chose me paraissait appropriée, je laissais une croix. 

Sans que cela n’entraîne d’aggressions, de vomissements ou de vagues d’insultes en langues mortes ?

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Cette violence relève de la pure fantasmagorie cinématographique. Tout au plus m’est-il arrivé d’exorciser une femme venue d’Italie jusqu’au Mont Saint-Michel qui, durant la séance, montrait les dents, se tordait. J’ai lu mes prières, lancé l’eau bénite, point à la ligne. Plus jamais je n’ai entendu d’elle.

Paraît-il que les lieux, eux aussi, peuvent être “possédés”…

On m’a parfois demandé d’inspecter des maisons soupçonnées d’infection. À cause de bruits inexpliqués, de froideurs soudaines… Je me souviens de ce couple, qui me pressait de bénir leur maison achetée six mois plus tôt, à cause de “voix d’enfants”, et dont ils avait appris, via le récit d’une locale, qu’elle avait été le théâtre d’un “grand malheur”. Plus tard, j’ai découvert que le couple n’arrivait pas à enfanter. J’ai alors réalisé qu’ils avaient donné crédit à l’idée d’une “hantise” pour expliquer leur malheur – et n’ont fait appel à moi que pour poursuivre cette quête de sens. De manière générale, je ne crois pas aux démons, aux retours d’esprits vengeurs, aux poltergeists. La vie d’exorciste n’implique pas de guerroyer contre des “maudits” griffants les murs, crachant leur bile sur le premier venu. Non, la véritable “menace” à laquelle nous faisons face, ce sont les déluges de larmes des personnes qui font appel à nos services.

Le péril paraît moindre que celui dépeint par Hollywood. Pour autant, peut-on s’improviser exorciste ? 

Certainement pas – et c’est une imposture contemporaine dont il faut se méfier ! Autrefois notre société était sociologiquement chrétienne, et la vie intérieure des populations s’imprégnait des principes de l’Église. Mais aujourd’hui la spiritualité est plus confuse, les gens en détresse cherchent des réponses – et de nombreux charlatans les leur promettent, moyennant parfois l’usurpation du titre d’exorciste. Ce, alors que le rituel qui y est associé, immémorial dans notre Église, est très encadré par le Vatican. Il existe des formations, des réunions annuelles…

Par quel cheminement en êtes-vous arrivé à endosser l’habit de l’exorciste ?

 J’ai été élevé dans un orphelinat, avant d’intégrer un foyer. Après avoir apprit que plusieurs des camarades avec qui j’avais grandi étaient en prison, j’ai quitté le poste d’agent hospitalier que j’occupais pour devenir éducateur à la prison de Fleury-Mérogis. Puis au moment de prendre ma retraite, après 35 ans de service, je suis devenu aumônier au Mont Saint-Michel. C’est dans ce haut lieu de transcendance divine que l’évêque, estimant que mon expérience auprès des prisonniers aiderait, m’a délégué son ministère d’exorciste. 

A-t-il vu juste ?

Disons que l’exercice de cette fonction ne m’a rien appris que je ne sache déjà. Ce sont les mêmes questions, inlassablement : pourquoi ai-je fauté ? Pourquoi cette souffrance ? Face à ces tourmentes, il importe alors de guider l’autre pour lui faire percevoir, dans son océan de noirceur, l’étincelle d’une lumière. Et cet accompagnement n’est pas réservé à l’exorciste seul ; il appartient à celui qui, tout simplement, souhaite tendre sa main au prochain.