On dit de lui qu’il a foutu la chair de poule à la planète entière. Lunettes vissées sur ses yeux rieurs, voilà plus d’une cinquantaine d’années que Stephen King nous divertit (ou nous torture, c’est selon…), à travers des récits d’angoisse ancrés dans l’Amérique qu’il n’a jamais quittée, et dont il s’est toujours proposé de décrire les travers – à grands renforts de paranormal sanguinaire, si nécessaire.
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Cet esprit aiguisé – et sans doute quelque peu torturé… – , le documentaire Stephen King, le Mal nécessaire, propose d’en brosser un portrait condensé. Une cinquantaine de minutes à peine, pour revenir sur le parcours de “l’auteur le plus adapté au monde”, en se basant, notamment, sur les (très) nombreuses conférences et interviews offertes par le romancier. Une mine d’or d’autant plus pertinente à exploiter que King est un orateur d’exception, à la fois drôle (si, si, on vous assure), et fin analyste des motifs qui le poussent, encore et toujours, à dépeindre l’horreur. Focus, en cinq points.
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1. Une vocation née de la “rencontre” avec le premier serial killer moderne
Après avoir englouti plusieurs livres de Stephen King, une question affleure nécessairement à l’esprit : pourquoi ? Oui, pourquoi cette obstination à explorer les recoins les plus sombres de l’humanité ? Évidemment, on n’écrit pas à la chaîne de récits aussi trash que Carrie, Shining et Ça à la “légère”, sans avoir un genre de motivation viscérale. Avec le ton blagueur qui lui est coutumier, l’auteur avance souvent qu’il fait simplement “du mieux qu’il peut pour faire peur” et que ça le fait vachement marrer – en témoigne cette émission télé, où il s’éclate comme un gosse à faire sursauter une présentatrice, en imitant un assaut. Tout s’expliquerait donc par ce plaisir infantile qu’on a tous connu à faire “BOUH” à nos potes ? Pas vraiment. King déroule : “Quand j’étais petit, il y avait ce type, qui était sans doute le premier tueur en série moderne, Charles Starkweather. J’avais un album où je collais des articles de presse sur lui (…). Une voix m’a dit : “Voilà le type. Tu vas passer ta vie à écrire sur ce genre de Mal”. Ça a été ma ligne de départ”.
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2. King, un “écrivain populaire” ? Oui, et il adore ça !
Conseil. Surtout, ne venez pas parler à l’auteur de Misery de littérature “noble”. “Je déteste l’idée qu’il y ait une frontière entre la littérature sérieuse, et la littérature populaire”, explique le romancier. “Les critiques se disent : “Nous sommes les rares, les fiers, les courageux (…) les seuls à comprendre ce qu’est la vraie littérature. Et il n’y a que peu d’esprits assez aiguisés pour percer les secrets de cet art”. En fait, les critiques préfèrent soutenir les auteurs au public restreint, parce qu’ils estiment qu’un auteur lu par beaucoup de monde ne peut pas être bon, car le niveau du lecteur moyen serait – supposément – assez bas. Tout ça, c’est de la foutaise !”. King parle en connaissance de cause : longtemps, il été méprisé par la critique, au motif que sa littérature s’adressait à tous. De fait, ses ouvrages s’assument pleinement comme des récits accessibles, qui s’inspirent très largement de l’ambiance middle class de la région du Maine où King a grandi. D’un mot : le romancier-phare écrit pour les siens. Et tant pis si, aux yeux des “commentateurs”, cette démarche implique un nivellement de la littérature par le bas.
3. Le forcené à la hache de Shining est autobiographique ?!
Yes sir. King le reconnaît sans détour : il met de lui dans de nombreux textes – notamment ceux qui impliquer un romancier, comme Misery et Shining. Mais il aura fallu de longues années à l’auteur avant de reconnaître à quel point le personnage de Jack Torrance reflétait… sa propre image. “Un jour je suis rentré à la maison, et mon fils aîné avait gribouillé sur un manuscrit sur lequel je travaillais. Je me suis dit : “Petit fils de pute, je pourrais te tuer”, et c’est devenu la base de Shining (…). J’ai aussi écrit ce livre en me disant : certes je bois un peu mais, heureusement, je ne suis pas le genre de type d’alcoolique qu’est Jack Torrance. Jusqu’à ce que je réalise que justement, si, à cette période-ci de ma vie, j’étais précisément ce genre de type”. Serait-ce parce que Stanley Kubrick a réalisé Shining en mettant de côté le thème de l’alcoolisme, pourtant central (et autobiographique, donc…) dans le livre original, que King a plusieurs fois affirmé “détester” cette adaptation ? La piste n’est en tout cas pas à exclure.
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4. Y-a-t-il quelque chose que King adore, encore plus que nous faire flipper ?
Curieusement, oui. Ça en déroutera peut-être certains, mais le plus célèbre des conteurs de l’angoisse ne nous entraîne pas dans ses trains fantômes, peuplés de voitures tueuses, de clown cannibale et de molosses enragés, pour le pur plaisir d’explorer les mécanismes de l’horreur. Ce qu’il espère par-dessus tout, c’est ré-insuffler, chez le lecteur, une puissance d’imagination perdue de longue date. “L’horreur peut nous ramener en enfance pour un temps. À une période où tout semblait hors de contrôle, alors qu’à l’âge d’adulte nous sommes censés être dans le contrôle (…). On autorise les enfants à être fous, jusqu’à ce que la maladie de la rationalité ne les gagne”. Pour lutter contre cette curieuse pathologie qui fait rétrécir l’imaginaire au lavage, King propose une curieuse médecine : plonger dans la littérature fantastique. Qu’elle soit macabre, ou non !
5. Portraitiste d’une Amérique en feu
Étant môme, Stephen King s’abreuvait d’histoires “qui font peur”. Dracula, Frankenstein… Problème : il ne s’y identifiait absolument pas. “Ces récits venaient d’Europe, il y avait en eux un sentiment d’ancienneté, avec des monuments gothiques, des châteaux etc. Mais moi, je ne vivais pas dans ce monde-là. Donc j’ai voulu décrire une horreur dans laquelle je pouvais me projeter”. La méthode ? Renouveler le genre, en puisant dans tout ce qu’il y a de plus américain en rayon. Un bal de promo par-ci, d’imposantes voitures par-là. Et des villas pavillonnaires, un peu partout. De manière plus subtile, aussi : King s’inspire des dérives de l’Amérique qui l’a vu naître pour tisser l’intrigue de ses récits. Exemple avec Les Enfants du Maïs, qui dénonce les dérives du fanatisme religieux aux États-Unis.
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Le regard que porte le romancier sur son pays est si acéré qu’il en est parfois devenu visionnaire, comme avec Dead Zone, où un président charismatique récolte les voix des masses et précipite le monde à la catastrophe. Vous reconnaissez quelqu’un ? Normal. “J’ai prévu Donald Trump en écrivant ce livre”, s’amuse King, lors d’une conférence. À n’en pas douter, la victoire du candidat républicain aux présidentielles donnera au romancier matière à cauchemarder – et à pondre un nouveau best-seller ? Ça ferait au moins une bonne nouvelle en perspective.