Les films “pour enfants” sont parfois redécouverts sous un jour nouveau, à la lumière du regard adulte. Prenez Chicken Run, par exemple. L’œuvre qui a impulsé la création d’un Oscar du meilleur film d’animation, sous airs ses burlesques, tout de cabrioles emplumées et de punchline corrosives, pourrait bien cacher une métaphore politique cinglante. À savoir : celle de la critique sociale théorisée par Karl Marx. Citations qu’on croirait tout droit extraites du Manifeste du parti communiste, récit d’une émancipation collective, portrait au vitriol d’un capitalisme débridé… Rien ne manque à l’appel. Et on le prouve, de suite.
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La volaille, une classe laborieuse en quête de liberté
Elle en a marre, Ginger. Marre des funestes baraquements dans lesquels elle vit, marre de n’avoir jamais senti la caresse de l’herbe sous ses pattes. Marre, surtout, de voir ses comparses pondeuses passées au billot lorsqu’elles ne sont pas assez “performantes”. Alors Ginger, elle s’active. Façon Steve McQueen de La Grande Évasion, on la voit s’échiner non stop à échafauder des plans pour s’échapper, une bonne fois pour toutes, de l’enclos au creux duquel elle et ses comparses croupissent.
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Dans cette configuration, le couple fermier des Tweedy est aux poules ce que le patronat est aux prolétaires : un oppresseur. Celui qui, détenant le capital, use et abuse de sa position en exploitant la force de travail du salariat. Concrètement : dans Chicken Run, les pondeuses doivent pondre. Sinon… couic ! À moins qu’il n’existe une autre voie ?
En refusant de sa faire la malle solo, Ginger aspire à une émancipation collective. “Passer votre vie à pondre vous suffit ? Vous savez où est le problème ? Les clôtures ne sont pas juste autour de la ferme. Elles sont aussi dans vos têtes”, balance notre révolutionnaire à ses camarades de labeur, en empruntant un vocable faisant écho à la théorie marxiste de “l’aliénation”.
Selon l’auteur du Capital, en raison d’un rapport “aliéné” au travail, le prolétariat n’a pas conscience de son asservissement. Un peu comme s’il avançait péniblement, mais sans jamais remarquer qu’un boulet attaché à son pied l’entravait. Cet “aveuglement”, Ginger entend bien y mettre un terme en rappelant aux siens qu’un autre modèle de société existe. Un horizon (une utopie ?) où les poules se nourriraient “elles-même”, sans “fermiers, ni chiens, ni barrières”. Mais pour ça : révolution !
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Fin de la lutte des classes : happy end rouge
Gare ! Les jours de nos volailles sont comptés. Agacée de “ne gagner que des clopinettes”, l’avide Mme Tweedy bondit vers “la production automatisée à grande échelle” en opérant un virage majeur. Exit la pondaison. Pour grossir le chiffre d’affaires, les poules finiront en tarte, tout simplement. Ce grâce à une machine monstrueuse, complexe et homicide, symbole d’une course effrénée à la rentabilité. Emblème, aussi, de la déshumanisation du rapport au travail qu’à impliqué l’industrialisation de masse.
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Face au péril, Miss Tweedy soupçonne-t-elle la moindre résistance ? Que nenni. “La volaille, ça ne complote pas, ça n’agit pas collectivement”, martèle-t-elle à son corniaud de mari, qu’elle suppose assez stupide pour halluciner les tentatives d’évasion concoctées par Ginger. Le film donnera tort à cette Harpagon des temps modernes, bien sûr : lors de leur “Grand Soir”, les pondeuses s’échappent de l’enclos à bord d’un engin de fortune. Non sans avoir prit soin d’envoyer paître le couple Tweedy, au passage.
Une conclusion réjouissante, à mille lieues du ton grave d’une inspiration majeure du film : La Ferme des Animaux (1945). Dans cette fable prenant pour théâtre la campagne anglaise (comme Chicken Run, d’ailleurs), George Orwell dénonçait les dérives… Du communisme, en pointant du doigt le dévoiement de l’idéal marxiste par le totalitarisme stalinien. De sorte que là où l’ouvrage fait état d’un naufrage historique, Chicken Run revisite le passé en se clôturant sur une révolution “rouge” qui aurait fonctionné, abouti.
Résultat : à la fin du film, nos volailles guerilleras vivent en communauté autonome. Ginger l’avait promis, elle et les siennes goûtent enfin à la liberté. Pas d’œufs à pondre, pas de hiérarchie tyrannique, pas de grillages. Juste des collines “à l’herbe si verte”, et l’entraide fraternelle. Le rêve marxiste de la “fin de l’Histoire” a – enfin ! – triomphé : la lutte des classes n’est plus. Si c’est pas un happy end, ça.
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