Il serait le “diable lui-même”, à croire en certains protagonistes de Usual Suspects. Incarnation du mal pur jus, Keyser Söze compte parmi les criminels les plus célèbres du grand écran. Et son nom résonne avec des consonances d’autant plus mythologiques que (alerte spoil) le thriller coup-de-poing paru au ciné en 1995 nous révèle, à la dernière minute, que le background du truand est bidon. Enfin, oui et non. La chose est méconnue, mais pour brosser le portrait de ce malfrat à nul autre pareil, le scénariste du film s’est inspiré…. d’un tueur américain ayant défrayé la chronique, dans les années 1970. Éclairages.
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“La plus grande ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas”
Piqûre de rappel. En tête-à-tête avec l’agent Dave (Chazz Palminteri), résolu à résoudre la mystérieuse explosion d’un cargo, Verbal Kint (Kevin Spacey), un escroc de pacotille, déroule la pseudo “légende” de Keyser Söze, commanditaire présumé du crime. À écouter les salades de celui qui se présente comme infirme, l’homme en question serait un génie du gangstérisme. Sorte de créature mi-homme, mi-démoniaque, capable du pire. La preuve ? Il aurait assassiné sa propre famille, de sang-froid. Un infanticide doublé d’un uxoricide (meurtre de l’épouse par l’époux) censé dire toute l’horreur d’un personnage aux cruautés insondables. Voilà pour la fiction.
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Côté réalité, maintenant, cette tuerie est directement inspirée de celle perpétrée par John List. Les États-Unis s’en souviennent encore : en novembre 1971, ce vétéran de la guerre de Corée s’empare d’un semi-automatique, et d’un revolver, pour mettre fin aux jours de sa mère, sa femme, et ses trois enfants. Puis, il disparaît. Le meurtrier emprunte une nouvelle identité, se remarie et esquive le bras de la justice pendant près de 18 ans, avant d’être condamné pour meurtre au troisième degré en 1990. Énigmatique, l’affaire sert de toile de fond au narratif ensanglanté de Keyser Söze. Criminel historique et icône fictionnelle partagent aussi plusieurs traits : méticulosité dans l’horreur, habileté à la fraude et aux feintes… Mais ce n’est pas tout.
Pour donner naissance au 48e “meilleur méchant” du cinéma, selon le top dressé par l’auguste American Film Institue, Christopher McQuarrie, scénariste multi-récompensé de Usual Suspects, a aussi puisé dans son propre parcours. L’ex-détective privé (son goût pour le profilage criminel viendrait-il de là ?) a baptisé son vilain-phare Keyser Söze en référence à… Kayser Sume. Soit le blase d’un cadre de boîte juridique dans laquelle McQuarrie bossait. D’ailleurs, c’est simple : tous les noms des personnages du film sont des références, plus ou moins voilées, aux collègues que se coltinait notre scénariste vedette, à l’époque où il n’était pas encore, justement, scénariste vedette. Bref.
Le résultat de ce curieux mix, entre références aux faits divers et fragments autobiographique ? Une œuvre-à-énigme- hors norme, portée par un Keyser Söze d’abord fantasmatique (la “légende” noire) puis perso volte-face (le portrait robot du criminel révèle, en last minute, que Verbal Kint est, en réalité, Keysor Söze). Pierre angulaire du long-métrage, ce vrai-faux personnage s’est, plus que tout autre protagoniste du film, propulsé au rang d’emblème de la pop culture. Depuis Duffy (Scary Movie) qui parodie la “révélation” finale de Usual Suspects au cheatcode “keysersoze” dans Warcraft III (500 gold, pour les connaisseurs), jusqu’à François Hollande, ex-président, qui avait lâché, à l’occasion du Festival SoFilm SummerCamp 2019 : “En politique, j’en ai connu des Keyzer Söze”. L’hommage le plus improbable, rendu au plus crapuleux des criminels du 7e art ?
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