Lavage de cerveau, exécutions sommaires, missions suicides… l’État islamique : voilà ce que confient ses transfuges

Publié le par Antonin Gratien,

Sur Prime Video, le documentaire Daesh, paroles de déserteurs, éclaire les coulisses de l'organisation terroriste.

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Voilà cinq ans que le “califat” autoproclamé par l’État islamique en 2014 est tombé. Pourtant, Daech vit toujours – et frappe encore. Cette sombre réalité a récemment fait irruption  avec la revendication, début janvier, de l’attentat à la ceinture explosive ayant causé au moins 84 morts en Iran, le quatre du mois. Comment opère le groupe armé ? Qui sont ses adhérents ? D’où viennent-ils, que cherchent-ils ? Autant de questions auxquelles Daech, paroles de déserteurs (2016), apporte des éléments de réponse, en récoltant les témoignages de plusieurs dissidents rencontrés au plus fort du conflit livré sur le sol syrien. Des récits croisés, et livrés sous couvert d’anonymat, qui brossent le saisissant tableau d’une organisation bien rodée, aux méthodes aussi sanguinaires qu’iniques. Focus.

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“Après la session de préparation religieuse, tu es prêt à prendre un tank et te faire exploser n’importe où”

Les renégats de l’État islamique interviewés ont tous été exfiltrés vers la Turquie par une unité d’opposition syrienne qui chapeautait, au moment de la réalisation du documentaire, la désertion des combattants mobilisés à Raqqa. Qu’ils soient syriens ou jordaniens, chaque intervenant déploie avec des accents similaires les motifs de leur arrivée dans ce qui était alors le bastion de l’organisation. Religieux, ces adhérents ont avant tout fait le voyage dans l’espoir de participer à l’érection d’un État “fidèle” aux préceptes de la charria.

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Une fois parvenus dans les “casernes” de l’EI, les nouvelles recrues intégraient une “session de préparation religieuse” de 20 jours. L’objectif ? Rappeler comment faire la prière, les ablutions. Apprendre par cœur le Coran, aussi. Mais “la leçon la plus importante, c’était le cours sur le takfirisme, c’est-à-dire comment distinguer un musulman d’un kafer, un mécréant”, souligne un déserteur. Avant d’ajouter : “ils ont excommunié à peu près tout le monde”. Notamment les pairs musulmans contre lesquels Daesh combattait alors.

“C’était un vrai lavage de cerveau, après ça tu étais prêt à prendre un tank et te faire exploser”, pointe un autre rescapé, avant d’expliquer que ce conditionnement psychologique était suivi d’un entraînement militaire, à la conclusion duquel chaque nouvelle recrue se voyait attribuer un domicile, des paniers alimentaires, ainsi qu’un salaire mensuel. Environ 100 dollars pour ceux venus de Syrie, et 1000 dollars pour les “combattants étrangers“. Une fois installés, les nouveaux bras armés de l’EI basculaient dans l’horreur.

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Pas un “État islamique”, mais une “bande de voyous”

Il y d’abord le choc de la peur inspirée aux populations, dès la première mention d’appartenance à Daesh. “Je croyais que j’allais être aimé, respecté. Mais je passais le plus clair de mon temps à rassurer les gens”, s’étonne encore un intervenant. Il y a peur des autres, oui – mais aussi l’effroi qui grandi au-dedans de soi. Tour à tour, les déserteurs évoquent l’horreur des têtes décapitées sur les bords de route, les enfants égorgés avant d’être jetés dans des fosses communes, les adolescents de quatorze ans utilisés comme chair à canon. L’esclavage sexuelle de filles âgées de 13 ans, les massacres sommaires, aussi. Et puis la justice expéditive de l’EI qui, bien souvent, se soldait par une peine de mort, rendue au terme de parodies de procès.

“Où est l’Islam, dans tout ça ?”, interroge un ex-combattant, avant que des pairs poursuivent le récit de cette désillusion. Alors que, à travers sa propagande, l’organisation promettait un mode de gestion égalitaire, aux antipodes de la corruption endémique qui gangrenait le régime de Bachar Al-Assad, l’EI fonctionnait en structure pyramidale, dominé par les émirs, “l’équivalent de l’officier dans une armée normale”. “Ils avaient les habits les plus chics, les plus belles maisons, la meilleure nourriture (…) quand ils ont mis la main sur Raqqa, ils ont pillé les banques et récolté l’impôt islamique, sans le redistribuer aux pauvres”.

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Un manque de considération qui s’exprime, aussi, au sein même des troupes de Daesh. Alors qu’il était chargé de transporter des blessés, un intervenant se souvient : “un irakien, dès que je l’ai mis sur la civière, il m’a pris la main. Il m’a dit : “s’il te plait, pour l’amour de dieu, ne me laisse pas ici”. Je lui ai répondu : “Mais comment veux-tu que je te laisse, je suis venu pour te sauver”. Puis il me dit : “alors ne donne cette civière à personne, c’est toi qui dois me ramener”. À ce moment-là, j’ai compris qu’ils abandonnaient leurs blessés sur place. Après la bataille, notre émir a même reproché à un combattant de ne pas avoir achevé un camarade blessé”. Un récit qui vient écorner la promesse de solidarité fraternelle formulée par Daesh, des années durant, afin d’attirer les combattants.

Raconter l’horreur du fonctionnement de l’EI “de l’intérieur”, pour décourager ceux qui seraient tentés de grossir ses rangs. C’était tout le projet de François-Xavier Trégan et Thomas Dandois, au moment de donner la parole à ceux qui ayant fait défection à Daesh, pour tourner leur documentaire. Une parole rare qui, près de 8 ans après la sortie de cette enquête, a encore – malheureusement – valeur d’outil de dissuasion.