Avoir le crâne dégarni. Voilà l’une des angoisses les mieux répandues, parmi le rang de ces messieurs. Que ce soit au terme d’une soirée avinée, ou dans l’intimité feutrée d’un lit partagé, la confession – fébrile, hésitante – a toujours le même son de cloche : passé l’adolescence, les mecs flippent à mort de voir leurs mèches se faire la malle. De fait, l’alopécie androgénétique (perte de cheveux liée aux gènes) concerne déjà 25 % des hommes de 25 ans. Et les choses ne vont guère en s’arrangeant, avec le temps. Une vraie hécatombe. Alors quoi ? Prendre des compléments alimentaires, démarrer un traitement hormonal pour juguler l’affliction – aller jusqu’à sauter le pas de la greffe, peut-être ?
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À moins que… Oui, à moins qu’il n’existe une autre voie, pour (littéralement ?) tenir tête à la désertion du cuir chevelu. Aujourd’hui présentée dans l’espace médico-médiatique comme une tare infamante, la calvitie, symbole contemporain d’une virilité en berne, n’a pas toujours été stigmatisée. Fût un temps où elle était même source de fierté. On en cause avec Glen Jankowski, professeur de psychologie à l’université Leeds Beckets, dont l’ouvrage dédié, Branding Baldness, est en cours de parution. Un spécialiste des “boules à zéro” selon qui Jason Statham, entre autres gros bras d’Hollywood, pourrait bien accomplir le tour de force : rendre la calvitie cool. À nouveau.
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Ôtez-nous d’un doute. La perte de cheveux est-elle dangereuse ?
Toutes les études prouvent qu’hommes chauves et hommes chevelus ont la même espérance de vie. C’est une évidence, mais il convient de le rappeler : les cheveux ne sont pas essentiels à la santé. Par contre, leur disparition peut miner le mental des personnes touchées – soit 50 % des hommes de plus de 50 ans au Royaume-Uni (le pourcentage est similaire en France, ndlr).
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Comment expliquer cet impact négatif ?
Avoir honte d’un crâne dégarni n’a rien d’inné. Il existe une multitude de facteurs socio-culturels en jeu, qui participent à la “dramatisation” d’un phénomène naturel – et bénin. À mon sens, le complexe est surtout alimenté par une industrie cosmétique mensongère, qui ne cesse de nous bombarder de messages laissant entendre que la calvitie est une maladie. Un fléau contre lequel il serait impératif de lutter en achetant des gammes entière de produits, ou en optant pour l’opération chirurgicale. Afin d’écouler ces biens et services “miracle”, la stratégie est simple : faire de la calvitie une source d’opprobre. Qu’on songe par exemple aux publicités Renaxil, où une mèche s’apprêtant à se suicider trouve dans ce traitement “réparateur” une main salutaire. Dans un monde délesté des campagnes marketing axées shaming, ce complexe s’évaporerait aussitôt. La preuve : par le passé, bien avant que le marché cosmétique ne trouve un filon d’or dans l’exploitation du “mal-être” des chauves, les représentations de personnes au crâne dénudé étaient neutres. Voire positives.
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Vous pensez à la dépiction de moines dont le centre du crâne était rasé, dans l’art pictural du Moyen Âge ?
Par exemple ! Mais nous pouvons aussi nous pencher sur des figures sacrées telles que Saint-Jérôme, le dieu japonais Fukurokuju ou encore une Vénus chauve (Calva), dont les représentations démontrent que l’absence de cheveux pouvait être associée au divin. Ce qui n’est pas rien. Par ailleurs, d’anciens textes judaïques soutenaient qu’être chauve était un indice de propreté – et même de bonne santé ! Une thèse déconcertante aux yeux du contemporain, mais défendue au 5e siècle par le philosophe grec Synesius, dans un recueil au titre éloquent : Un paradoxe, les preuves par la raison et l’exemple qu’être chauve est mieux qu’avoir une longue chevelure. Selon les thèses avancées, ne pas avoir de cheveux serait l’apanage des êtres civilisés. Comme s’il s’agissait de la “mise à distance” d’une capillarité hirsute, propre aux bêtes. L’auteur va jusqu’à soutenir que le crâne chauve renvoie à la “forme divine” d’une sphère, et que sa supériorité serait étayée par sa capacité à… Réfléchir la lumière. Bref, de l’Antiquité au XVIIe siècle, une foule d’écrits et d’illustrations lient la chute de cheveux à des vertus. L’intelligence, l’hygiène, la distinction sociale…
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Que reste-t-il de ces associations valorisantes ?
Peu de choses, dans la mesure où la plupart d’entre elles ont été supplantées par le discours cosmétique catastrophiste sur la question. De sorte qu’il n’existe guère de modèles de représentations positives d’hommes chauves dans le paysage culturel, mis à part une poignée de noms qui incluent Bruce Willis, Dwayne Johnson ou encore Jason Statham. Là où l’industrie médico-pharmaceutique distille l’idée que la perte de cheveux incarne le signe avant-coureur d’une virilité sur le déclin, ces vedettes prennent le contre-pied en arborant, sans honte, un crâne dégarni.
Comme si il y avait une inversion du stigmate ?
Précisément. Grosso modo, le principe est le suivant : “j’affirme ma masculinité en me fichant d’avoir l’air de perdre en masculinité”. Cette indifférence assumée – bravache, presque – vis-à-vis des injonctions sociales au “bien paraître” nourrissent l’imaginaire associé à la virilité traditionnelle. C’est une posture “badass” qui peut inspirer les publics et – enfin ! – faire tomber le voile de la honte. Ce dont il faut évidemment se réjouir. Mais sans oublier que l’ensemble des hommes sont loins de vouloir – ou pouvoir – performer cette hypermasculinité, à la Fast and Furious, The Transporter et autres action movie. Heureusement, nous ne sommes pas dans l’impasse. Les récentes remises en question de la binarité de genre et des codes associés à la masculinité rabattent déjà les cartes, en ouvrant la porte à des appropriations de plus en plus inclusives – et imaginatives – des crânes à calvitie. Préparons-nous : être chauve is the new cool.
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