Flashback. États-Unis, années 1960. Une nouvelle génération envoie valser d’un grand coup de santiags les codes de ses aînés, en embrassant la contre-culture hippie. L’heure est aux pattes d’eph’, aux expériences psychédéliques. À un amour cosmique qui ne regarde plus aux couleurs de peaux, ni au sexe biologique. Ce même amour transversal qui s’insurge contre l’horreur de la guerre du Vietnam débutée en 1955, bien sûr. Grosso modo, on oppose à l’intolérance belliqueuse des daddies une philosophie d’ouverture, imprégnée des principes New Age. C’est précisément la geste révolutionnaire de cette jeunesse en feu – ou plutôt, en fleur – qu’à voulu saisir Hair, à la manière d’un instantané photographique.
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Monté pour la première fois en pièce musicale Off Broadway en 1967, ce récit subversif est adapté 12 ans plus tard au ciné’ par l’immense Milos Forman (Amadeus, Vol au-dessus d’un nid de coucou…). Et sur les planches comme au grand écran, Hair fait l’effet d’une bombe, en polarisant l’avis d’une Amérique fracturée autour de multiples enjeux sociétaux – les droits civiques, l’inclusion des personnes homosexuelles etc. Bref. L’œuvre, souvent perçue comme une sorte de mode d’emploi d’un lifestyle alternatif, fait jaser. Beaucoup jaser. Ce qui ne manque pas de la propulser directement au panthéon de objets culturel culte, au grand daim des plus conservateurs of course. Focus.
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Quand un mobilisé rencontre des chevelus, ça fait… Peace’n’Love
D’aucuns la considèrent comme la toute première comédie musicale “rock”. Imprégnée des sonorités pop d’alors (Woodstock aura lieu seulement 2 ans après sa première représentation), Hair a été conçu par Gerome Ragni et James Rado aux paroles, et Galt MacDermot à la composition musicale. Très vite, le spectacle captive. Tout simplement parce que cette fresque de l’élan “Peace and Love” s’empare d’enjeux de crispation contemporains. En évoquant frontalement la tension sociale autour de la précarité, de la répression sexuelle, de l’homophobie et du racisme. Entre autres.
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Concrètement, Hair brosse le parcours haut en couleur de Claude Bukowski, un fermier parti de son Oklahoma natal pour l’imposante New York. Objectif ? Faire un brin de tourisme avant de rejoindre les camps d’entraînement de la US army, en vue d’une mobilisation vers la guerre du Vietnam. Seulement voilà. En balade dans la “Big Apple”, notre soldat en herbe fait la rencontre d’un drôle de gang. Une brochette de marginaux avec pour point commun, notamment, d’arborer une chevelure outrancièrement longue – et accessoirement aujourd’hui 100 % démodée. Mais à l’époque, la question n’est pas là.
Si l’œuvre s’intitule précisément “hair” (cheveux, en anglais) c’est parce que, selon les mots de James Rado, cette coiffure hippie “était la manifestation criante d’une forme de conscience en pleine expansion. Plus le cheveu grandissait, plus l’esprit s’ouvrait. Les longs cheveux étaient choquants, et il y avait quelque chose de révolutionnaire dans le fait de les laisser pousser. C’était comme un étendard, à vrai dire”. En témoigne cette séquence culte.
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Ces fameux chevelus que croise Claude Bukowski, donc, auront tôt fait de remettre en question sa mobilisation. En l’initiant à un mode de vie alternatif, marginal – et franchement fun. Jugez plutôt : dans ce crew, on ingère des stupéfiants capables “d’ouvrir les horizons” de l’esprit, on se fout royalement d’avoir un jean sale parce que, au fond, au diable la société de consommation. Aussi, on fait l’amour librement, on milite pour l’égalité des droits civiques. Et on refuse tout net de participer à une guerre jugée inique. Bref, nos hippies adressent un gros fuck à l’Amérique étriquée de pôpa et môman. Quel bonheur.
“Immoral”, “outil de perversion”, “menace envers les bonnes mœurs”…
C’est peu dire que l’arrivée sur les planche du show fait grincer des dents des plus conservateurs. Déjà, les producteurs adoptent un casting étonnement noir pour l’époque (un tiers des comédiens étaient afro-américain, lors de l’arrivée du show à Broadway en 1968). Et puis certaines scènes incluent – oh scandale, oh sweet Jesus – de la nudité. Ce parti pris suscita un tombereau de critiques. Lesquelles se sont concrétisées par la mobilisation, dans plusieurs États, de groupes chrétiens qui exigèrent tout bonnement des annulations de tournée. En avril 1971, une bombe explose carrément l’extérieur d’un théâtre accueillant une représentation. Un moyen d’intimidation, sans doute.
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Épidermique, ces réactions courroucées s’étendent par-delà les frontières des États-Unis. Côté australien, une représentation de 1969 est arrêtée en raison d’une alerte à la bombe, tandis qu’en France (où était pourtant passé le libérateur mai 68…), le mouvement protestant L’Armée du Salut fait irruption dans une salle pour saboter le spectacle. Au Mexique, c’est le gouvernement lui-même qui, qualifiant l’œuvre de “menace envers les bonnes mœurs de la jeunesse”, met un point d’arrêt à la tournée, après une première à Acapulco.
N’importe. Hair continue de s’exporter et enchaîne les triomphes aux quatre coins du globe. Ici et là, ses chants sont même repris à la manière d’hymnes en faveur du pacifisme. C’est dire si le propos, volontiers subversif, fait mouche. Une touch insolente, qui sera reprise au cinéma en 1978 sinon dans la lettre (le degré de fidélité de l’adaptation fait encore débat…), du moins dans l’esprit. On y retrouve des séquences d’une audace certaine, pour l’époque.
Une cérémonie de mariage (institution conservatrice, si il en est) est mâtinée de spiritualité hindoue, des personnages en rade de bread (thunes) se débrouillent pour “louer” un cheval et courser la bourgeoise en susurrant “sodomie”, “cunnilingus”, et “fellation” à leurs pudiques oreilles. La sacro sainte US army est tournée en ridicule, et le désir féminin s’affirme sans honte – avec gourmandise, même. Qu’il s’adresse aux “délicieux garçons chocolat”, ou aux “blancs aux cheveux aussi doux que la soie”. Exit le puritanisme – bon débarras -, et bienvenue dans la révolution sexuelle !
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Vieux d’il y a près de 60 ans, le propos de Hair pourrait a priori paraître has been. Inoffensif, obsolète. Mais le sursaut conservateur de l’électorat Trump, tout comme la flambée de l’extrême droite en Europe (pour ne citer que ces éléments de contexte socio-politique), prouvent le contraire. Certes l’heure n’est plus aux chevelures flamboyantes, ni aux grandes messes de réunions communautaires placées sous l’égide de la Pachamama et consorts. Mais l’intolérance dénoncée dans le film, elle, demeure d’une actualité criante. De sorte que la grande ode de Hair en faveur d’une société plus juste, moins intolérante, conserve toute sa pertinence. Et apparaisse comme nécessaire, même à l’œil du contemporain.