Levons d’emblée le doute, pour les plus sceptiques : oui, l’équipage d’Apollo 11 a bien aluni, le 21 juillet 1969. Là-dessus, First Man ne nous trompe pas – n’en déplaise aux rangs complotistes qui jurent leurs grands dieux que non, non, l’Amérique n’a jamais mis un pied sur notre satellite. Bon. Reste à savoir si le reste du film de Damien Chazelle, qui avait surpris son monde en abandonnant le royaume artistique (Whiplash, La la Land) au profit d’un biopic consacré à celui qui a accompli “le petit pas pour l’homme…”, est fidèle à la réalité historique. On étudie la question, point par point.
Publicité
Publicité
1. Armstrong a-t-il perdu le contrôle d’un avion-fusée hypersonique ?
Pendant quelques instants, et les conséquences auraient pu être dramatiques. First Man, qui couvre la vie de Neil de 1961 à 1969, en s’inspirant d’une biographie officielle au titre éponyme, s’ouvre sur une séquence sous haute tension. Celui qui n’était alors pas encore astronaute est employé par la NASA pour tester un X-15, au bord duquel il s’aventure au-dessus de l’atmosphère. Problème : une fois perché là-haut, les commandes ne répondent plus et l’avion gagne en altitude. L’ingénieur engage alors une descente en impro’, et parvient à atterrir. Tout cela est vrai – sauf la scène où Ryan Gosling observe des nuages depuis sa fenêtre de vol. À plus de 36 000 mètres d’altitude, impossible d’en apercevoir. Une incohérence qu’on pardonne. Largement.
Publicité
2. La mission Gemini VIII a-t-elle failli précipiter la mort de Neil ?
Complètement. Après l’incident du X-15, Neil Armstrong intègre le “programme Gemini”, sorte de précurseur au programme Apollo, centré sur la maîtrise du “rendez-vous spatial”, permettant d’amarrer un engin à un autre. Armstrong est chargé de la mission Gemini VIII, qui vise à “lier” son vaisseau spatial à la structure Atlas-Agena. Ce “docking” fonctionne, Houston exulte. Après tout, c’est une première et à la course à la conquête spatiale, les États-Unis sont alors loin, très loin derrière l’URSS. Victoire, donc ? Pas si vite.
À peine l’amarrage est-il terminé que l’Atlas-Agena entre en rotation, entraînant le vaisseau Gemini avec lui. Les communications avec “Mission Control” (la Terre, quoi) s’arrêtent brusquement, l’équipage est à deux doigts de perdre connaissance. Mais, comme à bord du X-15, Armstrong garde son sang-froid. Il décroche sa structure de l’Atlas-Agena, puis stabilise son engin. Ouf.
Publicité
3. L’Amérique s’est-elle indignée des millions investis par le gouvernement pour Apollo ?
First Man donne à voir des États-Unis pour le moins divisé, sur la question de la “conquête spatiale”. Face à la lenteur des avancées d’Apollo, et surtout les drames qu’elle a provoqué (oui, l’équipe d’Apollo 1 est bien décédée suite à un incendie de cabine, lors d’une répétition de décollage en 1967), certains conservateurs du Congrès remettent en question la pertinence du programme – et, par ricochet, la posture de l’ancien président démocrate John F. Kennedy, qui avait lancé le programme lunaire américain. Mais ce n’est pas tout. Dans les rangs de la jeunesse des sixties, largement sensibilisée aux enjeux de justice sociale, on s’agace.
Publicité
Comment est-il possible que les franges paupérisées ne puissent pas se nourrir, alors que la Maison Blanche injecte des millions dans un voyage extra-terrestre à l’intérêt incertain ? La question est creusée, dans le film, à travers la réinterprétation du corrosif Whitey on the Moon, du poète Gil Scott-Heron. Si aujourd’hui, le bien-fondé de l’exploration spatiale fait (à peu près) consensus, avant l’émerveillement collectif suscité par l’alunissage de 1969, la population était effectivement remontée contre Apollo. C’est simple : durant cette décennie, entre 45 et 60% des américains pensaient que leur gouvernement dépensait trop dans le programme spatial, selon The Atlantic.
4. Apollo 11 était-il en rade de carburant, au moment d’atterrir sur la Lune ?
On aurait pu croire que Damien Chazelle s’était arrangé avec la réalité pour donner du piment au bouquet final de son film, mais non. Dans First Man, Armstrong se heurte à deux obstacles majeurs, à l’approche de l’objectif Moon. Primo la surface de la Lune sur laquelle ils ont prévu d’alunir n’est pas plate, mais cabossée d’immenses cratères sur lesquels ils paraît impossible d’atterrir sans provoquer un crash. Secondo, à l’approche de leur point de chute, Armstrong et Buzz Aldrin sont alertés : il leur reste moins d’une minute de carburant pour atterrir, ou avorter la mission. Ces embûches sont vraiment arrivées, mais n’ont pas empêché l’équipage de mener sa mission à terme. Le 20 juillet 1969, Armstrong fait “un petit pas pour l’homme, mais un grand bond pour l’humanité”.
Publicité
5. Armstrong a-t-il laissé le bracelet de sa fille décédée sur la Lune ?
C’est sur ce point que le film s’affranchit le plus avec la réalité historique. La fille de Neil, Karen, a bien été emportée par un cancer, à l’âge de 3 ans. Damien Chazelle fait de ce drame l’un des éléments clés de son film, orbitant autour d’un Armstrong présenté comme mutique, mélancolique – et mystérieux. Pourquoi, alors que certains de ses amis sont décédés dans le cadre du projet Apollo, qu’il a une femme et deux enfants, et qu’une partie de l’Amérique rejette massivement le prix de la “conquête spatiale”, Armstrong a-t-il obstinément poursuivi le programme ? First Man ne suggère aucune réponse, jusqu’à l’une de ses scènes finales.
On y voit Neil déposer le bracelet de sa fille disparue dans un cratère lunaire, avant de verser une larme. Celui qui, durant tout le film, se refusait obstinément à parler – et peut-être même à penser ? – à cette enfant regrettée semble, soudain, se réconcilier avec le deuil. En somme, là où l’espace semblait prêt à engloutir l’héroïne de Gravity, elle aussi endeuillée par la perte précoce d’une progéniture, ici la Lune fait figure de réconciliatrice. Enfin, Neil peut vivre avec le souvenir de sa fille. Voilà pour le cinéma.
Dans la réalité, James R. Hansen, l’auteur de First Man, spécifie que l’astronaute n’avait emporté aucun souvenir d’elle pour son voyage. Toutefois, dans sa propre biographie Neil Armstrong : A life of flight, le journaliste Jay Barbree (qui avait couvert le décollage d’Apollo 11) suggère que l’astronaute aurait nommé un “bébé cratère” lunaire “le cratère de Muffie”, d’après le surnom de sa fille disparue. “Il se tenait là, en s’imaginant à quel point Muffie aurait aimer glisser sur la pente. Puis il reprit ses esprits, et s’installa pour prendre des photos et décrire ce qu’il voyait avant de retourner à son vaisseau”. Puis de rejoindre les siens, à quelque 330 000 kilomètres, sur la mère Terre.