Avertissement. À l’heure où l’écrasante majorité des pouvoirs établis affichent au format XXL leur volonté de jeter toutes leurs forces dans la bataille contre les drogues, certaines séquences d’Histoire du trafic de drogue paraissent – a minima – ahurissantes.
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À travers trois épisodes documentaires, Julie Lerat et Christophe Bouquet explorent les liens insoupçonnés qui existent depuis deux siècles entre appareils d’États et invention, commercialisation, voire promotion, de stup’. Une enquête fouillée, entre focus sur les grands noms du banditisme récent et plongée vers des séquences méconnues de notre passé, qui brossent à l’appui d’archives et d’analyses éclairantes le tableau d’une complicité inavouable, car évidemment coupable. Focus.
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Intoxiquer pour mieux régner
À l’origine du narcotrafic, était l’avarice de l’Empire Britannique. Au XIXe siècle, la couronne d’Angleterre produit de l’opium, via les champs de pavots de ses colonies indiennes. Reste à l’écouler, idéalement auprès de la Chine, ce grand rival qui exporte tant (thé, porcelaine…) mais n’achète rien. En vain. La civilisation millénaire maintient l’interdiction du produit, déclarée en 1800.
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Alors, la puissance coloniale ruse et donne naissance à la forme moderne du “trafic”, en confiant à des vendeurs spécialisés la tâche d’acheminer des kilos d’opium jusqu’aux mains criminelles des triades chinoises, ennemies de l’empereur. Façon d’infiltrer en masse la substance sur ce territoire réputé inviolable. Quelques années plus tard, les deux puissances entrent en guerre et la Chine, à genoux, doit ouvrir ses frontières aux produits étrangers – à l’opium, notamment.
Ce modèle d’intoxication forcée d’une population pour servir des intérêts géopolitiques – ou renflouer les caisses, simplement – est loin d’être une exception. La méthode a aussi été employée par la France, qui avait ouvert en 1897 une “régie de l’opium” sur le sol d’Indochine pour financer les projets d’infrastructures de ses colonies asiatiques.
Coup de froid ? Prenez donc de la cocaïne !
Parfois appelé “don des dieux” dans les lieux où il se cultive, le pavot suscite l’intérêt des apothicaires qui, à l’ère de l’industrialisation, désespèrent de pouvoir soigner les épidémies des “grandes villes”. Bien vite – Eurêka ! – ils extraient de la plante un produit miracle, capable d’apaiser les douleurs : la morphine.
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Utilisée massivement durant la guerre de Sécession, la molécule révolutionne la médecine d’urgence. Mais laisse derrière elles un carrousel d’addicts. En réaction, les autorités inondent alors le marché d’un “antidote” nouveau, censé accompagner le sevrage des opiomanes. Il s’agit de la cocaïne, innocemment marketée comme un symbole de modernité. On la vend sous forme d’élixir, pommade ou encore cigarette, pour soigner à peu près tout et n’importe quoi. Seulement voilà, là encore, le produit provoque une violente dépendance.
Pour répondre à cette problématique, la société Bayer introduit, en 1998, un dérivé de la morphine qu’il garantit sans accoutumance, malgré des tests cliniques pour le moins douteux : l’héroïne. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce produit est alors recommandé dans les encarts publicitaires pour guérir l’asthme et la toux… De bambins.
Services secrets, armées, sénateurs… Tous complices ?
Pour le dire vite, les produits contre lesquels se dressent désormais tout à la fois le corps médical et les représentants gouvernementaux n’ont pas été confectionnés au creux de laboratoires clandestins, sous la supervision vorace des chefs de pègre. Non, ce sont les autorités officielles qui les ont mise au point. Au nom du progrès, et de la médecine. Les circuits de transaction des stups’ commencent à changer de main en 1914, avec la promulgation du Harrison Act, qui encadre la distribution de drogues aux États-Unis. Désormais, la plupart sont délivrés uniquement sur ordonnance, ce qui ouvre la voie à un marché noir parallèle, désormais seul à même de répondre à la demande de la rue.
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De sorte que la drogue devienne rapidement “l’ennemi public n°1” des États démocratiques ? Officiellement, oui. Mais en coulisses, Histoire du trafic de drogue démontre l’implication persistante des États, sur plusieurs décennies et parfois jusque dans les plus hautes sphères, dans le négoce de stups’. Services de renseignements qui supervisent les opérations, accords secrets entre militaires et trafiquants, infiltration du monde politique par des figures quasi-mythologiques du banditisme…
À travers les parcours d’un Pablo Escobar ou de la French Connection, la série retrace les liens entre pouvoirs officiels, et crime organisé. Sans oublier de dresser un état des lieux inquiétant. Si les “grands barons” d’Amérique du Sud sont tombés, la guerre des cartels, elle, déchire toujours plusieurs pays, dont le Mexique, où le narcotrafic a causé au moins 11 000 morts entre janvier et juin 2018, selon l’ONG Semáforo Delictiv.
Mais ce n’est pas tout. En plus du combat à mener contre la persistance du commerce de cocaïne, les autorités se heurtent à la menace de nouveaux produits, comme le fentanyl. Entièrement synthétique, cet anti-douleur réputé 100 fois plus puissant que l’héroïne n’a pas besoin de champs, ni de paysans, pour être produit. Moins visible, sa fabrication est d’autant plus difficile à démanteler par les autorités. Aux États-Unis, ravagés depuis plusieurs années par le fléau sanitaire des opioïdes, une personne meurt en moyenne toutes les sept minutes des effets dévastateurs de cette substance importée, notamment, par une nouvelle génération de cartels mexicains.
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