Comment rectifier les plus cruelles injustices de l’Histoire ? Voilà l’une des questions que s’est sans doute posées Quentin Tarantino durant l’écriture d’Inglourious Basterds. De manière inédite dans sa filmographie, l’étoile du ciné’ pop américaine quittait, avec ce 7e long-métrage, les rivages coutumiers des intrigues ancrées dans sa propre contemporanéité pour lorgner vers le passé.
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Et pas n’importe lequel. Celui d’une France occupée par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans ce décor précis, le réalisateur acclamé de Pulp Fiction a opéré un tournant décisif en faisant un usage jamais vu de la violence dans son cinéma. Jusque-là humoristique (Jackie Brown) ou chorégraphiée (Kill Bill), elle s’est muée, avec les péripéties des “Basterds”, en levier scénaristique destiné à réparer les iniquités d’antan. Un procédé qui deviendra sa griffe, dans la quasi-totalité de ses films postérieurs.
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Corriger l’Histoire en la réécrivant
Inglourious Basterds tient bien moins du film historique que de la fable. De par son ton (farcesque), sa galerie de personnages (parodiques) et surtout ses pieds de nez à la vraisemblance factuelle. Tarantino ancre son récit dans un contexte qui a bel et bien existé. Mais il le fait pour donner naissance à une fiction aussi survitaminée qu’à l’accoutumée, dans laquelle le spectateur suit plusieurs trajectoires de vies.
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Notamment celle de Shosanna Dreyfus – la rescapée d’un massacre perpétré par colonel SS Hans Landa, surnommé “le chasseur de juifs”–, ainsi que celle d’Aldo Raine. Lieutenant au sein d’une unité de forces spéciales américano-canadiennes, ce personnage haut en couleurs a monté un commando en compagnie de 8 soldats juifs. Leur passe-temps ? Mettre à mort tous les soldats de la Wehrmacht qui croisent leur route – non sans prendre soin de les scalper, au préalable.
Chacun de leur côté, Shosanna et les “Bâtards” élaborent un plan visant à éliminer les hauts dignitaires nazis durant une même séance de projection cinématographique. Résultat : Hitler lui-même périt sous un déluge de tirs assénés par deux “Basterds” dans sa loge. Et aucun autre membre du public n’est épargné, puisque l’ensemble de la salle finie engloutie par les flammes d’un incendie volontairement déclenché par le compagnon de Shosanna.
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Justice rendue ?
Dans son livre Uchronie : l’utopie dans l’histoire (1876) l’auteur français Charles Renouvier, créateur du terme “uchronie”, insistait sur la fonction morale de ce procédé narratif qui déstabilise le cours du temps en y introduisant des éléments fictionnels. Pour résumer : faire sacrilège à l’Histoire dans une œuvre, ce serait opposer au fatalisme historique la force des libertés individuelles.
En sous-texte, Inglourious Basterds livrerait donc le message suivant : le régime nazi aurait pu s’effondrer autrement qu’il l’a fait en 1945. Comment ? Par la vengeance d’une juive, ou un attentat chapeauté par des militaires alliés. En tordant le cours de l’Histoire, Tarantino met en lumière le fait que sa trajectoire est toujours soumise aux impulsions de volontés personnelles. Eh oui. Le champion des effusions d’hémoglobines XXL sait aussi nourrir une réflexion philosophique à partir de son art.
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L’uchronie, nouvelle marotte de Tarantino
Après Inglourious Basterds, le réalisateur oscarisé a opéré un autre bond dans le passé en utilisant le Texas de la seconde moitié du XIXe siècle comme théâtre de son film suivant, Django Unchained. Les paysages changent, certains acteurs aussi. Mais la recette reste la même : un personnage fictif lutte contre les travers de l’Histoire en déployant des trésors de brutalité.
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Œuvre jubilatoire truffée de clins d’œil aux westerns spaghettis, ce 8e long-métrage se clôture avec l’extermination quasi cartoonesque d’un esclavagiste et de ses sbires par Django, lui-même ancien esclave. Après un retour à ses vieilles amours dans Les Huit Salopards (son premier film, Reservoir Dogs, était aussi un semi-huis clos), Tarantino renoue avec l’uchronie grâce à Once Upon a Time… in Hollywood.
Cette fois-ci la main justicière n’est plus du côté d’une escouade de soldats juifs, ni d’un noir réchappé des fers mais… D’une doublure sous acide. Dans une scène finale surréaliste, le personnage campé par Brad Pitt abat tour à tour les membres de la “famille” Manson qui se sont – en réalité – rendus responsables de l’assassinat de Sharon Tate, la nuit du 8 août 1969.
Un chant du cygne aux contours incertains
À ce jour, on sait peu de choses du prochain et a priori dernier film de Tarantino. Creusera-t-il le sillon de l’uchronie qui lui a valu par 3 fois un triomphe, à la fois du côté de la presse et de celui des publics ? L’idée n’est évidemment pas à écarter, mais le réalisateur ne semble pas suivre cette direction.
Après avoir mis sur la table çà et là en juillet dernier l’option de tourner un troisième volet pour Kill Bill, Tarantino a glissé au micro du podcast The Big Picture l’idée d’une nouvelle adaptation du roman First Blood, qui a servi de base à Rambo. Avec, dans le rôle-titre, un certain Adam Driver. Pas franchement le terreau idéal pour mettre en scène une révision historique… Mais on prend quand même, évidemment.