“Ferrailleur”, “voleur”, “consanguin”… Ces insultes ont bercé mon enfance : j’ai vécu en caravane avec mes parents, de mes 5 à mes 10 ans.
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Dans le nord de la France, on avait posé notre caravane sur un petit terrain vague. Le reste de la famille était resté en Espagne, vers Grenade. On était isolés, au milieu des champs, on n’avait pas de voisins.
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Dans notre caravane, il y avait mes parents et mon petit frère de 1 an. Je dormais dans un grand lit avec mon petit frère. On avait de l’électricité, parce que mon père avait réussi à s’arranger avec le maire en se branchant sur des lignes qui passaient dans la rue. On avait du chauffage et de l’eau aussi pour prendre des douches. L’hiver, il faisait un peu froid, mais on avait plein de couvertures et un gros chauffage à gaz à côté de l’entrée.
Mes parents avaient une voiture. Ils avaient l’habitude de me déposer tous les matins à l’arrêt de bus dans le village à côté, à Regnière-Écluse. Il y a certains de mes copains qui savaient que je vivais dans une caravane. Les autres s’en doutaient parce qu’ils habitaient dans le village, et ils savaient que moi, j’habitais dans les champs.
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Quand j’avais 10 ans, la caravane a commencé à être trop délabrée : elle n’était plus imperméable, il y avait de l’eau qui coulait du plafond. Alors, on a déménagé dans un appart, à la cité Les Douze Sept. Ce nouvel appart était grand, chauffé. J’avais un lit pour moi tout seul.
Dans la cour de récré face aux Roms, la guerre…
Mes parents m’ont inscrit à l’école Paul-Bert, à Stains. Le premier jour, alors que le prof demandait leur nationalité à tous les élèves, j’ai fait la plus grande erreur de ma vie, j’ai dit : “Je suis espagnol, gitan.” J’étais le seul Gitan dans une classe où il y avait un groupe d’une dizaine de Roms.
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Tout le monde sait que les Gitans et les Roms ne s’aiment pas du tout. À la première récré, tout le groupe de Roms m’est tombé dessus. Ils m’ont fait comprendre que je n’étais pas le bienvenu dans cette école. J’ai donc essayé de me défendre mais, une fois à terre, ils m’ont roué de coups de pied. J’en suis sorti avec un coquard, la tête ouverte et un doigt cassé. Ça a continué comme ça pendant deux ans. C’était la guerre. Des insultes et des bagarres au quotidien.
À l’âge de 12 ans, je suis entré en sixième dans un collège privé catholique. L’intelligence des élèves n’y était pas meilleure ! Parce que j’étais différent d’eux, le problème a continué. Je n’arrêtais pas de me battre, car les insultes devenaient trop répétitives et j’essayais de cacher ma tristesse par la violence. Ça a duré jusqu’à ce qu’en fin de quatrième, je me fasse virer à cause de bagarres trop fréquentes.
Pour l’année de troisième, je me suis inscrit à Saint-Nicolas, à Paris. Là, les insultes se sont arrêtées. Je n’ai plus besoin de me défendre d’être gitan, et fier de l’être.
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Nils, 17 ans, lycéen à Montreuil
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (Zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.
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