La dernière fois que nous avons parlé à Vincent Fichot, c’était il y a près d’un an. Il n’avait pas mangé depuis onze jours. Ce Français habitant au Japon venait d’entamer une grève de la faim devant la gare de Sendagaya à Tokyo dans l’espoir de revoir ses enfants kidnappés par leur mère japonaise, trois ans plus tôt.
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Autant d’années sans aucune nouvelle de son fils Tsubasa (6 ans) et de sa fille Kaede (4 ans), enlevés par son épouse alors qu’ils étaient âgés de 3 ans et 11 mois.
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Lorsque nous avions échangé avec lui en visio en juillet 2021, le père de famille était déterminé.
“Cette action, elle a un ticket aller simple. La date butoir, c’est quand je rentre avec mes enfants dans les bras à la maison”, confiait-il à Konbini news.
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À bout de force, il a finalement dû renoncer au bout de trois semaines après s’être évanoui et réveillé avec une quintuple fracture du doigt. Durant cette épreuve, il a perdu 16 à 17 kg et attiré l’attention des médias du monde entier. Onze mois plus tard, l’action de Vincent Fichot a-t-elle payé ?
“Je n’ai toujours pas revu mes enfants”, nous confie l’ancien trader joint par téléphone. Le quadragénaire s’entretient avec nous de la maison qu’il occupait avec sa femme et ses deux enfants, dans la banlieue de Tokyo.
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La disparition
Sa vie bascule un soir d’août 2018, alors qu’il rentre du travail et découvre que la maison a été vidée. “Elle avait tout pris”, se souvient-il.
“Je n’ai pas racheté de meubles, j’ai juste refait la chambre des enfants comme elle était quand ils ont été kidnappés. Je voulais leur montrer que si un jour je les ramenais à la maison, j’avais toujours été là en train d’attendre”, nous confiait-il en marge de sa grève de la faim.
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Il avait quitté son travail près d’un an plus tôt pour entamer sa grève de la faim et lutter à plein temps pour revoir ses “petits”. Aujourd’hui criblé de dettes, il est obligé de se séparer de cette maison contre un petit studio d’étudiant.
“Honnêtement, ce n’est pas ça qui me dérange, c’est la situation dans laquelle les petits sont”, nous coupe-t-il quand on évoque son ancien train de vie.
Il se refuse à quitter le Japon, malgré le refus des autorités japonaises de lui accorder ce qui lui revient de droit. “Je suis toujours marié, toujours détenteur de l’autorité parentale”, martèle-t-il. Combien de temps va-t-il attendre ainsi, à des milliers de kilomètres de ses proches restés en France ?
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“D’un point de vue visa, je n’ai aucun problème, je suis résident permanent. Au bout d’un moment, le souci sera l’argent”, tranche-t-il.
“Jusqu’au dernier centime”
En tout, il affirme avoir dépensé près de 300 000 dollars (environ 280 000 euros) en “détective privé et en avocats” pour tenter de retrouver la trace de Kaede et Tsubasa. En vain.
“J’ai dépensé tout cet argent parce que je l’avais. Je n’aurais pas pu me regarder dans la glace si j’avais essayé d’économiser de l’argent aux dépens des petits. J’aurais préféré le brûler que de le garder sur un compte pour me racheter une voiture ou me payer des vacances. Quand j’ai commencé la bataille, pour moi, c’était jusqu’au dernier centime et jusqu’au dernier souffle. Et je ne regrette pas.”
Parallèlement, sa femme a réussi à obtenir une décision de justice au terme de laquelle il doit lui verser une pension alimentaire de 7 000 euros par mois. Une situation ubuesque.
De son côté, Vincent Fichot assure avoir tenté six fois d’aller porter plainte au Japon “pour enlèvement et maltraitances”.
Il a en sa possession une vidéo prouvant que son épouse a été maltraitante envers sa petite alors âgée de 11 mois, que Konbini news a pu consulter.
“J’avais mis des caméras de surveillance dans la maison et dans le garage parce que j’avais des doutes sur mon épouse”, explique-t-il.
Grâce à un objectif caché dans le garage, on voit son épouse mettre la petite Kaede, 11 mois, dans le coffre de la voiture pendant plusieurs minutes en plein été, puis démarrer avec le bébé toujours dans le coffre.
“Ils n’ont jamais voulu la prendre et je me suis fait menacer d’arrestation plusieurs fois”, assure-t-il.
En France, il a obtenu un peu plus de résultats. En novembre dernier, la justice française a émis un mandat d’arrêt contre son épouse pour des faits de soustraction de mineurs et de mise en péril d’un mineur, comme nous vous le racontions ici.
Malgré cette décision de justice, Vincent Fichot déplore l’attitude des autorités françaises à l’encontre d’enfants de la République.
“Mes enfants sont français”
“Mes enfants sont français et ils sont traités comme des bâtards. Ils ne sont pas traités comme des Français à part entière et c’est ça qui m’énerve. L’État français n’est même pas capable de dire où ils sont ou s’ils sont vivants”, fustige-t-il.
Déterminé, Vincent Fichot fait partie d’un groupe de dix parents de quatre pays différents ayant porté plainte contre le Japon auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2019 au sujet d’enlèvements parentaux dans l’archipel nippon.
Son cas est, en effet, loin d’être isolé. Sur cet archipel, les pères comme les mères, étrangers comme Japonais, peuvent être victimes de kidnapping de leur(s) enfant(s) par leur ancien partenaire.
“Au Japon, une fois que l’enfant est parti, c’est fini”, s’est vu répéter Vincent Fichot qui a rencontré de nombreux parents dans son cas lors de sa grève de la faim.
“La garde partagée des enfants en cas de séparation des parents n’existe pas légalement au Japon, ce qui fait que les enlèvements parentaux y sont courants et tolérés par les autorités locales”, expliquait l’AFP en novembre dernier.
Vincent Fichot a finalement vu un juge japonais censé statuer sur la garde et le divorce en mars dernier.
“Je veux une garde partagée. Je veux ce qui est bien pour les petits. Ils ont le droit d’être japonais, ils ont le droit d’avoir une maman”, assure-t-il.
Par ailleurs, il précise que son épouse l’a accusé de violences domestiques et de séquestration chez ses parents dans le sud de la France pendant leurs dernières vacances. “Elle n’a jamais porté plainte, je n’ai jamais été condamné”, rappelle-t-il, serein.
“Je n’abandonnerai jamais mes enfants”
Trois mois plus tard, il n’a toujours aucune nouvelle de la décision, une situation anormale, selon son avocat.
Que fait le système judiciaire ? Selon le père de Tsubasa et Kaede, le tribunal craint de faire un précédent en statuant sur cette affaire. Ce qu’il redoute le plus, c’est que les Japonais refusent de juger : “Ça pourrait durer des années.”
Grâce à cette audience, Vincent Fichot a quand même pu avoir des nouvelles de ses petits, par l’entremise du juge.
“Ils m’ont donné deux informations : leur taille et ce qu’ils pensent de moi. C’est tout ce que j’ai obtenu sur mes enfants en quatre ans. Je sais que mon fils fait 129 cm et ma petite fait 105 cm. Et que mon fils pense que j’habite à Hawaï et qu’il voudrait que je revienne pour jouer avec lui. C’est assez exceptionnel qu’il ait de bons souvenirs de moi parce qu’il n’avait même pas 3 ans, le petit. Et Kaede, elle pense que je suis mort.”
Le quotidien du Français exilé au Japon, c’est aussi de les chercher partout dans la rue : “Quand je vois des enfants mixtes dans la rue, je me demande si c’est eux, mais pour être honnête, je ne saurais pas les reconnaître. Kaede avait 11 mois, Tsubasa avait 3 ans, aujourd’hui, il en a 7… Il a dû bien changer, le petit. Mais j’ai cette appréhension, oui. Et c’est dur de vivre avec ça, de faire le deuil d’enfants qui sont là, quelque part.”
Les happy ends sont rares dans sa situation. “En quinze ans de droit de la famille, je n’ai jamais gagné un cas comme celui-ci”, lui a glissé son avocat pourtant spécialiste. Lui-même a été victime du kidnapping de son enfant par son ancienne compagne. “Je l’ai choisi pour ça. Il n’a pas vu sa fille depuis huit ans”, nous explique Vincent Fichot.
“Même si la probabilité est très faible, si vous n’y croyez pas, le combat est perdu d’avance”, ajoute-t-il.
En attendant des nouvelles de la justice japonaise ou un soubresaut du gouvernement français, Vincent Fichot continue de se battre. Il vient de fonder l’ONG Find My Parent qui permet aux enfants séparés de leurs parents de les retrouver.
“Si on me disait que mes enfants étaient mieux sans moi, j’ai 40 ans, ce serait dur, mais j’en ferais mon deuil. Mais je sais que ce n’est pas ça. Je n’abandonnerai jamais mes enfants”, conclut-il.