Cyril Dion se fait connaître du grand public avec Demain, documentaire coréalisé avec Mélanie Laurent, qui remporte en 2016 le César du meilleur film documentaire. Réalisateur, militant écologiste, écrivain… Il est l’une des figures de l’Affaire du Siècle, attaquant l’État en justice pour inaction climatique, et prône la désobéissance civile, notamment au sein de son essai Petit manuel de résistance contemporaine publié en 2018.
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Animal, son troisième film documentaire, était sélectionné au Festival de Cannes 2021. À l’occasion de sa sortie au cinéma ce mercredi, Cyril Dion nous invite à repenser la place de l’humain comme “vivant parmi les vivants”. Interview.
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Konbini news : Quel est le point de départ d’Animal ?
Cyril Dion : Animal part de deux choses différentes. Déjà, on avait envie de parler de l’extinction de masse, qui est tout de même la deuxième plus grande crise écologique et dont on ne parle pas beaucoup. On reste axé sur le climat mais la biodiversité reste un concept assez abstrait pour la plupart d’entre nous.
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L’autre chose, c’était qu’à partir de novembre 2018, j’ai commencé à faire beaucoup de marches pour le climat avec des jeunes de l’âge de Bella et Vipulan, et je me suis rendu compte de leur anxiété, pour eux leur futur était vraiment “foutu”.
Je me disais que c’était important d’emmener des gens de cette génération dans un voyage géographique et initiatique, qui leur permette de mieux comprendre pourquoi on en était arrivé là, et découvrir vers quoi nos sociétés peuvent se diriger pour que ça leur rouvre un futur possible.
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L’idée était de vivre ces découvertes à travers les yeux de Bella et Vipulan ?
Comme le but du film est vraiment de nous proposer un récit de l’avenir, j’avais envie que ce soit porté par des personnages qui sont déjà dans l’avenir. Quand on a 16 ans, on habite dans notre tête un monde futur et différent de celui des générations précédentes. Et c’est ce décalage qui me paraissait intéressant.
Au départ, on voulait s’appuyer sur les cinq grandes causes de l’extinction et y trouver des réponses. Puis, finalement, ce qui est devenu la chose la plus intéressante dans le documentaire, ce sont eux. On est d’abord saisis par les émotions que Bella et Vipulan traversent, et ça nous oblige nous, adultes, à voir ce décalage. Voir une sorte d’absurdité dans la façon dont la politique est faite, dans la façon dont on élève les animaux.
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On a fini par adhérer à un récit : nous sommes la seule espèce vivante intéressante, cela veut dire que tout le reste n’est que ressources, à exploiter autant qu’on veut.
Après avoir vu le film, la première question qui nous vient c’est : “Pourquoi l’Homme est-il problématique ?”
Je ne sais pas si tous les humains sont problématiques. Tous les humains ne sont pas du tout responsables au même degré de l’extinction de masse ou de la crise écologique. Plein d’humains, les peuples autochtones par exemple, n’y sont absolument pour rien. Et même les humains dans les grandes villes par exemple, n’en ont pas conscience. Ils sont souvent embarqués dans des structures que la société nous impose parfois.
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Ce qui est intéressant, c’est de voir que l’on a fini par adhérer à un récit : les humains pensent que nous sommes la seule espèce vivante intéressante, cela veut dire que tout le reste n’est que ressources, à exploiter autant qu’on veut. La tentative du film, c’est de nous ramener à l’endroit où l’on s’est dit que l’humain était la seule espèce intéressante sur Terre. Et d’écrire un autre récit où l’on est des vivants parmi les vivants.
La phrase “Reconsidérer notre place dans le monde” revient souvent dans le récit. Qu’est-ce que cela signifie, et comment on fait ?
D’abord, prendre conscience du fait que si l’on peut manger, boire, respirer, c’est parce que le monde vivant existe. Avoir cette conscience nous oblige ensuite à nous demander ce qui, dans notre vie de tous les jours, a un impact sur le reste du monde vivant. Et c’est là que l’on découvre les 5 grandes causes de l’extinction. Quand on utilise plein de pesticides, ça a un impact sur les pollinisateurs. Quand on utilise du plastique tout le temps, il finit dans les océans. Peut-être qu’il faut repenser notre quotidien, penser à une civilisation qui n’est pas celle du tout-jetable.
Quand on voit que la déforestation est la cause n° 1 de la disparition des espèces, et que cette déforestation est principalement liée à l’urbanisation, et à l’agriculture… Là aussi on a besoin de repenser la manière dont on le fait. On doit trouver d’autres moyens d’organiser notre économie sans empiéter sur le monde sauvage tout le temps.
Vous avez réalisé 3 films documentaires, qu’est-ce qui vous attire dans ce format, plus que la fiction ?
Je pense que le format documentaire, et particulièrement au cinéma, permet de s’adresser aux gens sur plein de tableaux différents : ça peut avoir une dimension pédagogique, peut-être moins présente en fiction, se projeter dans le réel grâce aux personnages. Pour autant, mes prochains projets sont des fictions, ça me passionne aussi. Mais le film documentaire a cette capacité de nous plonger dans des réalités très tangibles, et de pouvoir apprendre en même temps qu’on est ému, c’est un sacré challenge.
Vous avez participé à la Convention citoyenne, aux marches pour le climat… Ce documentaire s’inscrit aussi dans cette logique militante ?
Oui, mais pas que. Je pense que je suis moins militant dans Animal que je ne le suis quand j’attaque l’État en justice. Avec Animal, on ne veut pas être trop manichéen, mais plutôt questionner, ouvrir des conversations plutôt qu’asséner des choses ou créer des rapports de force.
Bella et Vipulan ont déclaré qu’après Animal, ils étaient passés d’une vision environnementaliste à écologiste du monde. Pour vous, qu’est-ce que cette expérience a changé ?
Plus ça va, plus je creuse ces questions et plus je vois que le problème est infiniment philosophique, politique, et en même temps concerne notre vie de tous les jours. Moi, ce qui m’intéresse de plus en plus, c’est l’origine de cette structure : pourquoi on a organisé nos sociétés comme ça. Pourquoi est-ce qu’on est tous dans un délire consumériste, pourquoi on est persuadés qu’en votant tous les 5 ans ou en descendant dans la rue, les problèmes vont se régler ? On s’intéresse très peu à la façon dont notre démocratie fonctionne. Si on ne remonte pas à la source, on est d’une certaine manière impuissants. Et on s’agite dans tous les sens, on culpabilise, on se regarde les uns les autres en faisant des concours de pureté sur notre empreinte carbone. Pendant ce temps-là, on ne s’occupe pas de la structure de notre société qui est le réel problème.
“Il faut donc accepter que nous ne sommes qu’un vivant parmi les vivants”
Si l’on décide de questionner nos structures, ce n’est pas s’attaquer à un chantier peu optimiste ?
Très tôt, des humains ont trouvé le moyen d’imposer des systèmes politiques et économiques. On devient une sorte d’agent d’un système plus grand de croissance. Emmanuel Macron disait lors de sa dernière allocution qu’il faut travailler plus. Mais quelle est la finalité de tout ça ? S’il s’agit juste de faire plus de croissance économique pour les actionnaires, ça ne m’intéresse pas. Et là où l’on peut être optimiste, c’est qu’il y a des humains capables de penser les systèmes différemment.
Quand on demande aux gens ce qui est le plus important pour eux, ce n’est pas la croissance économique, c’est la santé et le bien-être humain. Et cela passe par les liens sociaux. C’est la finalité : comment on structure des organisations politiques, économiques, sociales, qui nous permettent de parvenir au bien-être social ?
Est-ce que la génération de Bella et Vipulan, et celles qui la suivent, peuvent être optimistes ? Peuvent-elles encore se projeter ?
Bella et Vipulan arrivent à se projeter, et on espère bien que tous les jeunes qui vont aller voir Animal en salles parviendront aussi à se projeter dans un récit futur différent. C’est leur dire : “Regardez, il y a tellement de choses possibles, il y a des directions à se donner. Il faut donc accepter que nous ne sommes qu’un vivant parmi les vivants.”
C’est très important que cette génération ait envie de s’impliquer. De devenir des responsables politiques, des juristes, des gens qui montent des activités économiques différentes. Leur vision du futur est très différente, il faut qu’elle s’incarne dans les structures de nos sociétés.
Bella et Vipulan, les deux jeunes militants écologistes à l’affiche d’Animal, répondent aux critiques faites à leur génération engagée.