“Insultes, lancer de projectiles, harcèlement sexuel, et un jour, des coups… J’ai été tellement violentée par les autres élèves que j’ai fini par ne plus réussir à me lever le matin.” Ces mots sont ceux d’Inès*, jeune fille trans de 16 ans actuellement en seconde au sein d’un lycée du Var.
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Sa mère, Valérie, confirme : “Nous avons vécu un véritable enfer lorsqu’Inès était au collège. Ma fille a subi toutes les humiliations possibles de la part de ses camarades. Malgré mes appels au secours répétés, la direction ne l’a pas protégée. Elle-même était pétrie de transphobie.”
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La jeune ado n’est pas un cas isolé : de plus en plus, le corps enseignant alerte sur des situations dont il est témoin. Celles-ci ne sont pas toujours le fait des autres élèves. Thomas*, enseignant dans un collège REP de Seine-Saint-Denis, raconte : “Un agent administratif a été convoqué pour avoir tenu des propos sexistes, LGBTIphobes et racistes à des élèves.”
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“L’école contribue à minorer les personnes déjà minorisées”
Inquiet·ète·s, les assistant·e·s pédagogiques ont saisi la direction. Il demeure pourtant difficile de faire prendre conscience de ces violences lorsqu’elles surviennent au sein d’une institution vantant l’égalité des chances. C’est ce qu’analyse Yuna Visentin, enseignante et autrice de l’essai Une autre école est possible !, publié aux éditions Leduc Société en 2022 : “Au nom de la neutralité, principe conservateur, on cherche à évacuer les inégalités de la salle de classe. Avec elle, on ne construit pas un espace de parole juste et égalitaire, on retire aux jeunes la possibilité de nommer les situations vécues, et de combattre les oppressions subies. On cherche à les habituer à l’ordre social.”
Est-ce à dire que l’école est un espace privilégié de reproduction des dominations ? “Ce n’est pas un sanctuaire, c’est une institution sociale ancrée. L’État, auquel elle est liée, n’est pas un organe neutre, il s’accommode très bien du capitalisme, de l’hétéropatriarcat et du colonialisme. Les savoirs que l’on transmet à l’école, comme tous les savoirs, sont situés. Quand on se penche sur les contenus pédagogiques officiels, sur la surreprésentation des hommes cisgenres blancs dans les textes, c’est très clair. L’école contribue à minorer les personnes déjà minorisées”, dénonce Yuna Visentin.
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Face à ce déni collectif, le personnel d’éducation sensibilisé s’organise. De plus en plus d’initiatives pédagogiques voient le jour pour former les professeur·e·s, la direction et les élèves aux enjeux des discriminations. Certaines écoles se dotent dans cette perspective de référent·e·s.
C’est la fonction de Julie, dans un lycée professionnel de Vitry-sur-Seine, depuis quatre ans : coordonner la mise en œuvre de la politique éducative en faveur de l’égalité entre les filles et les garçons à l’école. De son côté, Charlie, assistant·e d’éducation en collège/lycée à Rennes, organise des événements thématiques.
“Avec l’aide de membres de l’équipe éducative et d’élèves, nous avons monté une semaine de sensibilisation autour du sexisme. Les élèves ont organisé une exposition de dessins autour des femmes héroïnes de fiction, une sélection de livres féministes au CDI, une diffusion de documentaires, une campagne d’affichage sur le modèle des collages féministes, une minute de silence pour les victimes de féminicides… J’ai eu le sentiment d’être utile, cela a débouché sur des échanges riches”, détaille Charlie.
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Sur le même modèle, Charlie organise l’année suivante une semaine sur les LGBTIphobies : “Avec cette action forte, j’ai pu leur montrer que les adultes queers existent aussi, et que les élèves ne sont pas seul·e·s dans leurs difficultés.”
“L’école du futur, on doit la construire ensemble”
Parfois, c’est le corps enseignant lui-même qui est à l’origine de comportements répréhensibles : “Mon prof de français a passé trois années à me noyer de remarques racistes sur mes cheveux, ma couleur de peau et mon milieu familial”, déroule Gloria*, jeune fille noire qui a obtenu son baccalauréat en 2022 dans le Limousin.
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Kahina*, CPE dans un lycée rural en Bretagne, a été témoin de multiples violences racistes tout au long de sa carrière, au point d’entamer une procédure toujours en cours afin de quitter l’Éducation nationale. Elle raconte des collègues qui “s’amusaient à mal prononcer les noms à consonance étrangère”, à “imiter les accents des parents”, une direction qui “ordonnait de leur envoyer les filles avec des jupes trop longues”.
Sur la question des discriminations racistes, on constate une augmentation des initiatives. Manel Ben Boubaker, professeure d’histoire-géo dans un lycée de Seine-Saint-Denis, parle d’un “tournant” en 2016, à la suite d’un “durcissement de l’application de la loi de 2004 sur les signes ostentatoires à l’école, concernant en quasi-totalité les jeunes femmes musulmanes”.
Dans ce contexte, elle crée avec d’autres collègues la commission antiraciste de Sud Éducation 93. C’est dans la polémique que le groupe commence son activité, “un premier stage de formation syndicale en décembre 2017 à destination des personnels d’éducation intitulé ‘Où en est-on de l’antiracisme à l’école ?'”.
Manel Ben Boubaker rapporte que la démarche a été “très attaquée par des groupes politiques d’extrême droite” et par le ministère de l’Éducation nationale, qui a “porté plainte contre [le] syndicat à deux reprises, en raison de l’organisation d’atelier en non-mixité entre personnes racisées, et car [l’équipe a] utilisé [l’expression] ‘racisme d’État’ dans le descriptif de [son] événement”. La commission ne se démonte pas et continue ses stages et colloques.
Le point commun de toutes ces luttes contre le racisme, le sexisme et la LGBTphobie ? Elles sont pensées pour et avec les élèves. Une approche fondamentale, selon Yuna Visentin : “L’école du futur, on doit la construire ensemble, en s’inspirant de l’autogestion et des luttes antioppressives.” Mais l’enseignante alerte sur l’insuffisance des démarches individuelles : “On ne fait de la politique avec de la chance. Il faut urgemment former le professionnel à distinguer les discriminations, et lui donner des moyens de lutter contre.”
* Les prénoms comportant un astérisque ont été modifiés à la demande des intéressé·e·s.