Je me suis retrouvée trois fois à l’hôpital. Plus d’une fois, j’ai oublié des moments de soirée. Il y a même des moments où des parties de mon corps étaient bloquées car j’avais trop d’alcool dans mon sang. La vérité, c’est que je m’en foutais complètement.
Publicité
La première fois que j’ai bu, c’était à mes 15 ans. J’avais toujours appréhendé ce que ça pouvait me faire. Le moment venu, j’ai juste rigolé pendant cinq minutes, sans raison. À ce moment-là, je ne buvais qu’en soirée, entre copains. Jamais seule.
Publicité
Boire de l’alcool seule…
Mais, vers mes 17 ans, j’ai commencé à abuser de l’alcool. C’est venu au moment où je prenais conscience que ma vie se rapprochait du monde adulte, au moment où j’avais peur de grandir. J’ai commencé à réellement apprécier l’apaisement que ça me procurait.
Publicité
Je ne pouvais pas rester sobre en soirée, sinon je ne m’amusais pas. S’il n’y avait pas d’alcool, je me faisais une petite bouteille de flash. Même pour aller voir mes amis en pleine journée, ça m’arrivait de le faire. J’ai commencé à boire seule. Dès midi, je pouvais me saouler juste pour pouvoir faire une sieste et être en forme pour la soirée qui m’attendait le soir même. C’était surtout en été, quand il faisait chaud. C’était les vacances, tout le monde était là, content, joyeux.
Quand j’étais seule, je me rattachais au fait de ne plus penser à mes angoisses. Être vide d’esprit et être faussement heureuse.
Pour être quelqu’un d’autre
Quand j’étais petite, je n’étais pas aimée des autres. Même parfois par ma propre famille. J’étais aussi clairement en échec scolaire. On se moquait beaucoup de moi, j’avais énormément de difficultés à l’école parce que je suis dyslexique sévère. Bien après, on m’a découvert un TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité).
Publicité
Les professeurs ne s’intéressaient pas à moi, j’étais juste mise au fond de la classe… Seule, face au dos de mes camarades. J’étais même maltraitée par un prof en primaire. On me faisait comprendre presque chaque jour que j’étais une merde, conne, sans avenir.
J’ai aussi subi du harcèlement moral et des agressions sexuelles. Ce qui m’a beaucoup détruite. Puis, pendant le confinement, j’ai perdu mon oncle. Et mon chat que j’avais depuis neuf ans, presque sous mes yeux. C’est peut-être bête à dire, mais mon chat était très apaisant pour moi. Les deux sont morts de manière injuste.
Si je devais résumer ma vie, ce serait à de l’instabilité, avec des traumatismes et un manque d’aide par le système pédagogique. Même si ma mère a tout fait pour m’aider. Je crois que je ne me suis jamais réellement aimée. Du coup, boire, ça me permet d’être potentiellement quelqu’un d’autre.
Publicité
Mon père boit, ma mère boit
Mes parents ont toujours été proches de l’alcool. Je ne sais pas s’ils boivent beaucoup depuis que je suis petite, mais le moment où je m’en suis rendu compte, c’était vers mes 15 ans. J’ai assisté à des disputes très violentes dans les actes et les paroles entre eux, jusqu’à en arriver à la séparation. Je me suis déjà battue avec ma mère plus d’une fois car elle avait bu. J’ai failli me faire casser la gueule par mon père pour la même raison.
Ça nous arrive de boire ensemble pour les fêtes, mais c’est tout. On s’en cache, en fait. Pour ne pas montrer que ça ne va pas, on ne va pas se confier entre nous. Je ne sais pas pourquoi c’est comme ça.
Publicité
J’ai toujours ce sentiment désagréable de ne pas me sentir assez légère, libre et heureuse comme je le voudrais. Alors boire est un moment de soulagement pour moi. Encore aujourd’hui, j’en réclame juste pour pouvoir rire, séduire, me lâcher, oublier, ne plus avoir mal, pleurer sans vraiment m’en rendre compte et ne plus être consciente de ce qui se passe réellement autour de moi.
Plus rien ne m’arrête
Mais j’ai aussi peur de cet état. Je peux devenir très violente et agressive. Plus rien ne m’arrête, je me sens invincible. J’ai déjà failli mourir plus d’une fois : je me suis endormie sur le rebord d’une fenêtre, j’ai voulu escalader par-dessus une fenêtre pour pouvoir en atteindre une autre, et une fois, je ne voyais plus rien, j’ai perdu connaissance, je tremblais… alors que j’étais sous traitement. Je suis consciente des dangers que j’encours mais, sur le moment, je n’y pense tout simplement pas.
Il n’y a que l’alcool que je supporte. Je n’aime pas le goût, c’est fort, amer, ça ressemble à du dissolvant, mais ça me met dans un état psychologique presque parallèle à la réalité. J’avais commencé à remplacer l’alcool par des joints, sauf que ma gorge ne le supportait pas. Si manger pouvait me rendre dans le même état, je mangerais.
J’espère qu’un jour j’arriverai à me défaire de l’addiction de cette fausse personne, insouciante, démesurément heureuse, sociable et confiante que je suis sous alcool.
Emma, 19 ans, en formation, Paris
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.