Le 24 février 2022, l’armée russe a commencé à envahir l’Ukraine. En quelques heures, les médias du monde entier ont parlé de “guerre”. Évidemment, les oreilles des plus jeunes n’ont pas été épargnées par un champ lexical effrayant et anxiogène. Qui se souvient de la manière dont ses parents lui ont parlé de la guerre du Kosovo, des attentats du 11 septembre 2001 ou encore de ceux de Paris, en 2015 ? Sûrement pas grand monde.
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Pourtant, selon Christophe Libert, président de l’Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile (API) et praticien au Groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris psychiatrie et neurosciences, ces explications sont fondamentales pour éviter des traumatismes. Après le réchauffement climatique, les attentats et la pandémie, les adultes doivent (vraiment) s’armer de courage pour parler de la guerre aux enfants.
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En parler à tout âge, mais gare aux images et aux flux d’informations
Selon Christophe Libert, il est possible de parler de la guerre à tous les enfants, quel que soit leur âge. Néanmoins, il est important de s’adapter à leur sensibilité et à leur niveau d’angoisse. Le pédopsychiatre insiste sur la nécessité de “ne pas trop devancer les questions qui peuvent se poser, ni trop anticiper les choses”.
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Pour cela, il conseille de prévoir des temps d’échange régulièrement et de se rendre disponible pour en parler avec eux. “Plus ils sont petits, plus il faut être simple et moins il faut s’étendre sur les choses. Il ne faut pas vouloir tout expliquer, ni tout interpréter pour les ados”, explique-t-il.
“Avant 10 ans, il n’y a aucun intérêt à ce que l’on utilise les images pour expliquer.” De toute façon, celles qui sont “montrées en boucle ont un effet anxiogène”, précise Christophe Libert. “C’est surtout dans la répétition de l’exposition aux images qu’il y a un risque d’autant plus amplifié d’impact traumatique.”
Dans les cours de récréation, dès l’école primaire, les informations circulent au même rythme que l’anxiété des enfants. Avec l’accès à Internet, aux ordinateurs et aux téléphones, les enfants ont facilement accès aux images de la guerre. Le pédopsychiatre recommande donc de les questionner sur d’éventuelles images qui auraient pu les choquer, notamment pour les aider à “digérer” et éviter un traumatisme. “Un traumatisme, c’est une situation qu’on ne peut justement pas digérer et ça vient atteindre l’être au plus profond de lui-même.”
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Parler simplement sans nier ses propres craintes
“Il faut pouvoir répondre avec des mots simples, dans un moment où l’on ne va pas être nous-même sidéré ou dans un moment d’émotion.” Un enfant peut éprouver une grande difficulté à ressentir une inquiétude latente et intense autour de lui sans qu’aucun mot ne soit mis dessus.
Dans ce cas, il risque “lui-même d’être envahi par un sentiment, une émotion qu’il n’arrive pas à identifier et il faut l’aider dans ce cheminement”, explique le spécialiste. Car “mettre des mots permet de reconnaître un sentiment qu’il peut avoir mais aussi de reconnaître ce qu’il perçoit chez les autres”, poursuit-il.
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“Ça fait beaucoup plus de dégâts chez l’enfant, de percevoir qu’il se passe quelque chose chez l’adulte mais de ne pas le comprendre.” De leur côté, les adultes ne doivent pas craindre de dire à un enfant “oui, c’est inquiétant ce qu’il se passe, je suis aussi inquiet et je peux comprendre que tu le sois aussi”.
Ainsi, il est inutile d’essayer de rassurer un enfant en lui assurant que “ça n’arrivera jamais”, et une des meilleures clés est de “rassurer sur une inquiétude mutuelle, sans alarmer”. Pour les parents qui ne se sentiraient pas à l’aise, il recommande de solliciter l’aide d’autres adultes, “soit dans la famille, soit dans le cercle proche du quotidien comme des maîtres ou des maîtresses”.
Peur du nucléaire et angoisse de mourir
Dans les classes de 5e de Basile Dion, jeune professeur d’histoire-géographie de l’agglomération rouennaise, les réactions et les questions des enfants ont été très rapides suite à l’invasion de l’Ukraine.
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Le professeur, qui a consacré un cours entier à cette guerre et à l’importance des sources de l’information, raconte avoir perçu chez ses élèves de 12, 13 ans “une angoisse et une panique de voir ce qu’il se passait dans ce pays”. Ce sont surtout les mots “nucléaire” et “guerre” qui effraient ses élèves : “Ils se heurtent à un concept qu’ils ne connaissent pas.”
“Est-ce que c’est vrai qu’on va mourir, monsieur ?”, lui ont-ils même demandé. Pour le pédopsychiatre, face à l’angoisse du nucléaire et celle de la mort, “on ne peut pas leur dire ça n’arrivera jamais”. En revanche, on peut parler de cette “inquiétude légitime partagée” et “de la majorité des pays dans le monde qui [œuvrent] pour la paix”.
Il précise qu’il est préférable de dire “je ne peux pas te rassurer complètement” que de dire le contraire (“ça n’arrivera jamais”) en prenant le risque de mettre la parole du parent en porte-à-faux, par rapport à d’autres avis qui sont partagés et diffusés.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, Christophe Libert dit appréhender fréquemment, chez ses jeunes patients, “un sentiment de peur assez diffus où les enfants ne savent pas exactement de quoi ils ont peur”, ce qui, selon lui, “reflète une espèce de contagion de la peur des parents”. Si le lien entre cette peur et la guerre est très clair, le spécialiste souligne que le contexte plus général n’y est pas pour rien : “Ça survient avec deux ans de pandémie où il y a déjà eu un climat d’anxiété et d’épuisement général.”