Bac 2022 : les sujets de SES jugés trop libéraux sont-ils une conséquence de la réforme Blanquer ?

Publié le par Constance Derouin,

© Joel Saget / AFP

Manque de pluralisme, éclatement de la thématique écologique… Les sujets de sciences économiques et sociales ont provoqué la polémique sur les réseaux et dans le corps enseignant.

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“À partir d’un exemple, vous montrerez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance.” Si les sujets du bac suscitent chaque année la déconvenue des élèves, l’énoncé 2022 de sciences économiques et sociales a provoqué une polémique jusque dans le corps enseignant.

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Pour la première fois depuis la réforme du baccalauréat initiée par Jean-Michel Blanquer en 2018, les élèves ont planché cette année sur les épreuves de spécialité, dont les notes compteront pour 32 % de leur moyenne finale. À l’origine de cette polémique, l’enchaînement de trois questions de connaissances, qualifiées de libérales par le corps enseignant :

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  1. “À l’aide de deux arguments, montrez que le travail est source d’intégration sociale.”
  2. “À partir d’un exemple, vous montrerez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance.”
  3. “À l’aide d’un exemple, vous montrerez que l’action des pouvoirs publics en faveur de la justice sociale peut produire des effets pervers.”

Chaque année, le ministère de l’Éducation nationale choisit les académies qui rédigeront les sujets de chaque matière du bac. Les enseignants écrivent ensuite des propositions de sujets, qui sont validés par une commission de professeurs.

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La conception de ces sujets résulte du contenu du programme de terminale et des compétences attendues : les professeurs doivent donc se conformer au programme en vigueur dans l’élaboration des énoncés. Le fondement de cette polémique prend source dans le programme réformé de sciences économiques et sociales.

Des questions “fermées”

Avant de questionner le contenu des questions proposées aux lycéens, la formulation même des sujets pose problème : “Montrez que”, “Vous montrerez”. Pour le professeur de SES Benoît Guyon, co-président de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES), interrogé par Konbini news, ces formulations ne laissent aucune place au débat. Il n’est ici question que de récitation de connaissances.

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En effet, les énoncés ne proposent pas d’adopter une position particulière dans le développement de la réponse. Dans le cas de la question 3, l’existence “d’effets pervers à l’action publique” est acquise, jamais questionnée. L’enseignant remarque :

“Les élèves qui viendraient à produire une réflexion sur les sujets et les notions abordées seraient pénalisés. Aucune place n’est donnée à la réflexion. Les sujets ont fait polémique sur Internet parce que l’enchaînement de ces trois énoncés peut être qualifié de libéral. Mais nous aurions réagi de la même manière si les sujets proposaient trois questions ‘de gauche’ par exemple. Ce que nous reprochons à ces sujets est l’absence de pluralisme.”

Un avis partagé par d’autres collègues, à l’image de ce professeur de philosophie surveillant l’épreuve, qui a souligné la dimension hermétique des questions.

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Réforme Blanquer : quid de l’écologie ?

Au-delà de l’absence de remise en question des notions soulevées, la réforme Blanquer a eu pour conséquence la suppression d’un thème complet du programme de terminale, “Économie du développement durable”. Cette thématique invitait à réfléchir à des problématiques telles que “La croissance économique est-elle compatible avec la préservation de l’environnement ?” interrogeant la notion même de croissance face aux défis climatiques.

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Benoît Guyon explique que la thématique écologique est éclatée dans les autres thématiques depuis la réforme Blanquer. L’écologie n’est plus abordée comme un objet en lui-même, désormais à l’aune de concepts purement économiques.

L’APSES a publié les énoncés des épreuves à l’étranger (Afrique), dont une question semblable à la métropole : “Montrez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques auxquelles se heurte la croissance économique”, venant corroborer l’idée d’innovation au profit de la croissance.

L’APSES a également déclaré dans un communiqué suite à la publication de l’énoncé : “Le sujet du baccalauréat 2022 sur les limites écologiques de la croissance est l’arbre qui cache la forêt, car il est conforme aux nouveaux programmes ! Des programmes dont certains chapitres sont peu problématisés, non pluralistes, ce qui dégrade la formation intellectuelle des élèves.”

Une déconnexion avec la réalité

Benoît Guyon déplore également un calendrier trop court : le déroulement des épreuves de spécialité à l’issue du deuxième trimestre ne permet pas d’aborder de façon critique les thématiques du programme, et de les questionner sous forme de débat en classe. Le professeur ajoute : “Cela revient à conformer les lycéens, au lieu de les former.” Et de leur proposer de réfléchir aux enjeux contemporains.

Les enseignants ne sont pas les seuls à s’insurger du sujet et de sa déconnexion avec les enjeux actuels, à l’image du thread publié par Salomé Saqué, journaliste chez Blast, et de celui de Loup Espargilière, co-fondateur du média Vert :

Les grèves pour le climat l’ont illustrée, la préoccupation de la jeunesse pour les questions climatiques et sociales est vive. Et, dès 2019, les professeurs dénonçaient le traitement de ces enjeux…