Anonymes ou célèbres, elles ont pris des risques pour demander la liberté d’avorter. Cinquante ans plus tard, les signataires du “manifeste des 343” gardent un souvenir ému de ce combat qui inspire encore les jeunes générations militantes.
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Ce manifeste choc, publié en une du Nouvel Observateur le 5 avril 1971, “c’était une forme de #MeToo de l’avortement” puisqu’il s’agissait de dire “que c’était massif, que ça concernait toutes les classes sociales”, analyse Céline Piques, porte-parole de l’association Osez le féminisme !
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“À l’époque, l’avortement était complètement tabou” et l’initiative portée notamment par Simone de Beauvoir a entraîné “une libération de la parole”, poursuit cette militante pour qui “cette lutte fait partie du matrimoine féministe”. “À l’époque, ces femmes ont été fortement attaquées pour leurs positions” sur l’avortement et “aujourd’hui, on a la même réaction d’une partie de la société qui refuse la libération de la parole sur les violences sexuelles”, estime Mme Piques.
Ce texte “emblématique […] parle encore énormément à la nouvelle génération militante”, confirme Camille Lextray, qui a participé ces dernières années à des actions de collage de slogans contre les féminicides sur les murs de Paris. Un type d’action qu’elle met en parallèle avec le manifeste de 1971 : “Il s’agit de raconter nos vécus sur les murs pour les politiser”, analyse la jeune militante.
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“Plus on est nombreuses, moins ils peuvent nous embêter”
En outre, aujourd’hui comme il y a 50 ans, “les femmes prennent des risques quand elles revendiquent leurs droits”, souligne-t-elle. À l’époque, les signataires s’exposaient effectivement à des poursuites judiciaires en reconnaissant publiquement qu’elles avaient eu recours illégalement à l’avortement. La plupart en étaient conscientes, mais ce texte, “je l’aurais signé de toute façon, car j’avais trop souffert dans ma vie” des avortements clandestins, “douloureux et épouvantables”, raconte à l’AFP la cinéaste Nadine Trintignant, 36 ans à l’époque.
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“Je me suis dit : ‘Plus on est nombreuses, moins ils peuvent nous embêter'”, ajoute la réalisatrice, qui confie avoir avorté quatre fois clandestinement, dont une à Genève, où elle avait dû mentir à un psychiatre pour le convaincre de sa détresse psychologique. “Ce psy antipathique n’aimait pas les femmes, il m’a dit : ‘Je ne vous donne pas un an pour finir sur le trottoir’.”
Le manifeste, “on l’a signé en riant” mais “on risquait trois ans de prison, de perdre nos emplois, de briser nos familles”, se souvient l’écrivaine et diplomate Claudine Monteil, qui avait 22 ans et s’était ralliée à la cause par solidarité – n’ayant alors pas avorté – comme 20 % des signataires, selon elle.
“On avait confiance, parce qu’on avait une avocate pour nous défendre [Gisèle Halimi, ndlr] et la grande Simone de Beauvoir !”, a raconté récemment la septuagénaire à Code source, le podcast du Parisien. Finalement, aucune des signataires n’a été condamnée.
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“Ah, vous êtes l’une des 343 salopes !”
Leur engagement public n’a, pour autant, pas été sans conséquence : certaines ont perdu leur emploi ou tout contact avec leur famille. “Mes parents m’ont soutenue, même s’ils ont été catastrophés, raconte Mme Monteil, ma mère avait fondu en larmes, […] pour elle, c’était comme si toutes les chances de ma vie étaient brisées.”
Dans son numéro anniversaire à paraître jeudi, L’Obs raconte l’ampleur du scandale alors suscité : l’hebdomadaire est menacé de saisie ; sur Radio Vatican, des commentateurs considèrent que la France est “sur le chemin du génocide et du four crématoire”… Marguerite Duras reçoit un courrier contenant des excréments, des lecteurs s’indignent contre “l’exhibitionnisme” des signataires. D’autres saluent un “geste historique”.
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Un peu moins de quatre ans se sont écoulés entre le manifeste et la promulgation de la loi Veil autorisant l’avortement. “On a fait plus pour les femmes en quatre ans que pendant des millénaires”, se réjouit dans L’Obs l’une des chevilles ouvrières du manifeste, Anne Zelensky, 35 ans à l’époque, qui se souvient d’une “date à part dans [sa] vie”.
“Ça fait 50 ans de ma vie où on me dit : ‘Ah, vous êtes l’une des 343 salopes !'”, s’agace Claudine Monteil, qui pointe la “vulgarité” du terme lancé par Charlie Hebdo. Cependant, “je n’ai pas regretté […], c’est une des grandes fiertés de ma vie”.
Konbini news avec AFP