43 de trop. C’est le nombre de féminicides par conjoint ou ex-conjoint actuellement recensé à la fin du mois de mai 2021. Ces dernières semaines, plusieurs cas d’assassinats de femmes ont choqué de par leur violence : début mai, Chahinez, 31 ans, a été brûlée vive par son conjoint en pleine rue à Mérignac, près de Bordeaux. Il y a quelques jours, Stéphanie, 22 ans, a été tuée à coups de couteau par son conjoint à Hayange, en Moselle.
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Dans ces deux affaires, un point commun : les victimes avaient alerté la police, plusieurs fois, et même déposé plainte. Des défaillances judiciaires et policières dénoncées par les associations féministes, alors que les violences faites aux femmes avaient été déclarées comme la grande cause du quinquennat d’Emmanuel Macron. “Le gouvernement ne fait rien”, pointe la créatrice de la page Facebook “Féminicides par compagnons ou ex”, qui répertorie les femmes tuées dans le cadre de violences conjugales.
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En 2020, 90 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, une baisse drastique comparée à l’année précédente. En 2019, 146 femmes ont été tuées par leur compagnon ou époux. Ces chiffres n’ont jamais été aussi bas depuis 2006, l’année où le recensement annuel des crimes conjugaux a débuté. Pourtant, cette baisse imputable en grande partie aux différents confinements n’a pas diminué les violences conjugales, qui ont augmenté durant la crise sanitaire, les victimes se retrouvant souvent enfermées avec leurs agresseurs. Du côté de la justice, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 560 dossiers de plainte ont été poursuivis en 2020 contre 349, en 2019.
Mais que fait la police ?
Pour le féminicide de Mérignac, Chahinez avait déposé plainte mi-mars contre son conjoint, après une agression. Cependant, celui-ci était “introuvable” selon la police. Il avait été également condamné en juin 2020 par le tribunal correctionnel de Bordeaux pour violences volontaires par conjoint à 18 mois de prison, dont 9 mois assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, selon le parquet. Il avait été libéré en décembre 2020, et était suivi par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, avec notamment l’interdiction d’entrer en contact avec la victime ni de paraître à son domicile. Cependant, l’homme n’était pas équipé de bracelet anti-rapprochement, et Chahinez ne disposait pas du dispositif “téléphone grave danger”.
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Au journal Sud-Ouest, les voisines de Chahinez avaient témoigné de l’enfer subi par la mère de 3 enfants après la sortie de prison de l’homme : “Depuis, il la harcelait, l’espionnait, la suivait. […] Il y a près de deux mois, il l’a une nouvelle fois agressée devant un supermarché. Il a réussi à la faire monter dans son fourgon et a tenté de l’étrangler. Elle est parvenue à s’enfuir”. Selon elles, la police avait été prévenue.
Le scénario se répète dans le féminicide de Stéphanie, 22 ans, à Hayange. La victime avait porté plainte pour menaces de mort à l’encontre de son conjoint au commissariat local. Selon une voisine, la police aurait été prévenue plusieurs fois après avoir entendu des violences. Selon Christian Mercuri, le procureur de la République de Metz, la plainte avait bien été traitée et la victime contactée par un intervenant social de la police. Toujours selon le procureur, elle n’aurait pas donné suite aux démarches. Par ailleurs, la justice n’aurait pas eu connaissance de ce dépôt de plainte. Cependant, le comportement du conjoint avait provoqué “plusieurs interventions de police secours au domicile conjugal”, a rapporté le procureur.
Alors, comment expliquer que les plaintes déposées par Chahinez et Stéphanie n’aient pas été prises en compte, et que ces assassinats aient pu se produire ? “On ne croit pas les victimes, elles ont alerté mais n’ont pas été entendues”, insiste la créatrice de “Féminicides par compagnons ou ex”. Comme elle le précise à Konbini news, chez les victimes de féminicides de moins de 60 ans, la plupart ont porté plainte et alerté les forces de l’ordre et/ou leur entourage. “Les assassins ne sont pas inquiétés, et peuvent continuer à tuer des femmes en toute impunité”, ajoute la militante féministe.
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Des défaillances de l’appareil judiciaire réfutées par le procureur de Metz dans l’affaire du meurtre de Stéphanie. “Je ne pense pas qu’à l’heure actuelle on puisse parler d’un dysfonctionnement des services judiciaires dans cette affaire”, a déclaré Christian Mercuri, tout en reconnaissant que la victime avait déposé une main courante en janvier 2020 et une plainte en novembre 2020 visant son conjoint.
Des manquements de l’appareil pénal pointés par un rapport sur les homicides conjugaux, publié par le ministère de la Justice en novembre 2019 : dans 65 % des cas où des violences existaient avant le meurtre, la police avait été informée ; tandis que 15 % des auteurs de violences conjugales sont récidivistes. De même, le rapport révélait que 80 % des plaintes sont classées sans suite, et que seules 18 % des mains courantes aboutissent à une enquête. Un tableau effrayant.
“Il faut que la honte change de camp”
Depuis plusieurs années, les associations féministes alertent les pouvoirs publics et l’État sur les manquements de la justice et de la police. Emmanuel Macron avait même fait des droits des femmes la grande cause du quinquennat, aux côtés de l’ancienne secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Un Grenelle des violences conjugales avait même été organisé en novembre 2019. Pourtant, depuis, pas grand-chose ne semble avoir changé selon les associations, qui dénoncent une inaction de l’État.
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“On est dans un système patriarcal, où les femmes et le féminisme sont dénigrés : c’est alors logique qu’on ne soit pas considérées. C’est un système qui favorise les violences, et où la violence masculine est tolérée voire encouragée”, analyse la créatrice de la page “Féminicides par compagnons ou ex”. Une dimension systémique qui affecte tous les rouages du système, et qui ne condamne pas les agresseurs : les procédures judiciaires s’étirent, sont souvent classées sans suite, et les femmes victimes ne sont pas toujours crues. Déjà en 2018, le #PayeTaPlainte regroupait les témoignages de celles et ceux dont les plaintes avaient été refusées par les forces de l’ordre… alors que le refus de prendre une plainte est contraire à la loi.
Suite aux féminicides de Chahinez et Stéphanie, la ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes, Élisabeth Moreno, a lancé un “appel aux juges” sur RTL, en demandant “aux juges de considérer les violences conjugales comme une priorité”.
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Plus récemment, la ministre a annoncé que le 3919, la ligne d’écoute pour les personnes victimes de violences conjugales commencera à fonctionner “7 jours sur 7 et 24 heures sur 24” à partir du 28 juin. Cette extension des horaires d’ouverture constituait une des mesures décidées dans le cadre du Grenelle des violences conjugales. Cependant, pour certaines associations, cette mesure est insuffisante. “Si les auteurs sont déjà connus par la justice et la police, le 3919 n’y pourra rien. Nous manquons de mesures dissuasives” plaide la créatrice de “Féminicides par compagnons ou ex”. L’impératif, selon la militante féministe, c’est que “la honte change de camp”, et que les violences soient réellement punies. “Les lois existent, il faut les appliquer”, ajoute-t-elle.