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Alors que la saison des festivals approche à grands pas, l’un des événements les plus courus de la capitale a décidé de frapper un grand coup. Outre une bien belle programmation, We Love Green a décidé d’offrir au public un food court entièrement et uniquement végétarien. Un défi sur lequel le festival planche depuis plusieurs années et qui voit enfin le jour, dans un monde qui a plus que jamais besoin de voir évoluer ses habitudes alimentaires vers un modèle plus vertueux et respectueux de l’environnement. Pour faire le point sur ce projet d’envergure, on est allés discuter avec Thomas Grunberg, fondateur de Gaudina et tête pensante du food court du festival, Bertrand Grébaut, chef du restaurant étoilé Septime et Marine Mandrila, directrice du Refugee Food.
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Konbini | Depuis quelques années, le festival We Love Green ouvre la voie à un food court qui s’affranchirait de la viande et du poisson. Cette année, tous les stands seront végétariens. Pourquoi ?
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Thomas Grunberg | C’est un sujet qui revenait sur la table régulièrement depuis quelques années, à la fois des personnes chez We Love Green, mais aussi de l’extérieur. C’est un petit reproche que le public pouvait parfois nous faire : comment un festival comme le nôtre pouvait-il continuer à proposer de la viande sur le festival ? Il y a eu de longues discussions, on a pris le temps, on a pris du recul et on a failli proposer le food court végétarien l’année dernière. Mais cette année, on se sent prêts, et peut-être plus légitimes que l’an passé.
Bertrand Grébaut | Cela fait plusieurs années que nous sommes liés au festival, d’abord en tant que jurés puis avec notre stand sur place. On a toujours eu du mal à faire voyager nos adresses, alors c’est Septime La Cave que l’on a décidé de transporter ici, à We Love Green. C’est aussi notre adresse qui propose le plus de protéines animales à sa carte, alors l’idée de venir relever le défi que le festival nous a lancé, avec une carte plus végétale et légumière, nous a tentés. On a ouvert la voie l’an dernier, et ça s’est plutôt bien passé.
Marine Mandrila | Il y a quelques années, en 2018, lors de notre première participation avec le chef syrien Mohammad Elkhaldy, nous avions proposé une offre végétarienne. Depuis, à chaque fois que nous sommes revenus sur le festival, avec la cheffe géorgienne Magda Gegenava, en 2019, ou avec le chef mauritanien Harouna Sow, en 2022, on a toujours proposé une offre végétarienne. C’est important pour nous. D’ailleurs, pour notre première fois, en 2018, l’offre végétarienne, un sandwich falafel de folie, avait eu un succès phénoménal.
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Quelles ont été les difficultés dans la mise en place cette offre végétarienne ?
Marine Mandrila | Les offres végétariennes peuvent paraître moins gourmandes, moins copieuses pour des festivaliers affamés. La vraie difficulté est de rendre ces plats sexy, attractifs, déjà pour que les festivaliers se régalent au moment venu, mais aussi pour contribuer à faire évoluer les perceptions du végétarisme.
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Thomas Grunberg | Pour ce coup d’essai, l’an dernier, on a misé sur des chefs un peu plus connus et médiatisés pour porter l’offre végétarienne. Ce sont des chefs qui ont l’habitude de travailler des menus dégustation, de changer régulièrement de carte, d’avoir une réflexion et un logiciel de création de recettes un peu plus poussé et adapté à créer des recettes végétariennes, bien qu’ils ne soient pas des restaurants littéralement végétariens.
Bertrand Grébaut | Il s’agit d’amener les gens vers ce changement, mais sans faire la morale, sans qu’ils se disent que c’est sympa, mais que ça ne vaut pas une bonne tranche de saucisson. C’est un challenge compliqué. Les gens arrivent sur le stand, ils ont besoin de boire un coup et de manger un truc qui tient au corps, avant de repartir voir les concerts. On avait donc fait le choix, l’an passé, de partir sur un classique de bistrot, l’œuf-mayo, mais aussi de se creuser un peu la tête. On a ramené des barbecues, des binchotan, et on a décidé de faire des brochettes de légumes à la japonaise, comme des yakitoris. On a tenté de valoriser les légumes en les grillant à la braise, avec des condiments un peu originaux, quelques herbes. Faire un truc qui nous ressemble, avec un peu de tenue, de la puissance, mais sans tomber dans le 100 % friture, et ça a été bien accueilli.
Quels enseignements vous avez tirés de ce premier coup d’essai ?
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Bertrand Grébaut | Je ne dis pas qu’on n’a eu aucune remarque, car il y a évidemment des gens qui ont demandé de la charcuterie. Mais c’était finalement une minorité. On s’est focalisés sur la braise et les légumes bruts et, si c’était à refaire, je partirais sur un plus “cuisiné”. J’avais tellement mis les freins sur la friture, la junk food et les sandwiches que je suis parti sur des légumes très simples et condimentés. Mais je me suis fermé des portes. J’aurais pu faire une piperade, avec un œuf mollet, un gaspacho, des plats mijotés… Le travail du légume est tellement polyvalent. Il y a tellement de choses à faire avec…
Pourquoi c’est important qu’un festival se mette au végétarisme ?
Thomas Grunberg | C’est une initiative logique et assez évidente, avec le recul, car c’est l’essence même du festival, de son discours et de sa philosophie. We Love Green a toujours essayé de faire le maximum sur la question écologique, c’est donc un bon moyen de montrer que proposer une offre 100 % végétarienne est possible, que d’autres modèles existent.
Bertrand Grébaut | Je suis convaincu que, vu le nombre de corps de métiers que cela concerne, et tout ce que cela implique de manger correctement, on peut changer le monde à travers la nourriture. On se doit de faire changer les mentalités et d’avoir de l’impact sur ces questions-là, notamment vis-à-vis de la jeunesse. Je suis persuadé que cela passera par l’éducation. Un festival, c’est l’endroit idéal pour faire passer des messages sans être moralisateur. Il faut donc montrer l’exemple, amener avec nous les végétariens et ceux qui ne le sont pas, leur montrer que c’est possible, que c’est bien de le faire – au moins de temps en temps –, et que ça a un impact positif immédiat.
Marine Mandrila | D’abord pour des raisons environnementales évidentes, d’autant plus pour un festival comme We Love Green qui entend contribuer au débat et à la transition alimentaire. Ensuite, pour montrer que les plats végétariens peuvent être aussi roboratifs, gourmands et réconfortants qu’un gros burger dégoulinant.
Thomas Grunberg | C’est aussi un moyen de déconstruire le mythe de la cuisine végétarienne occidentale, citadine, ethnocentrée, éduquée… Car la cuisine végétarienne est présente dans le monde entier, de la Jamaïque à l’Inde, du Maghreb au continent africain, pour des raisons de santé, de religion ou de disponibilités d’aliments. Si on peut faire tout ça, tout en réduisant son impact drastiquement, alors c’est gagnant-gagnant. Il y a donc bien sûr un côté “expérimentation”, mais il y a surtout l’idée de soulever une problématique et de trouver des solutions ensemble.
Est-ce que ça peut inspirer d’autres festivals ?
Thomas Grunberg | Il y a cette petite ambition-là aussi, oui. Si on peut ouvrir la voie, inspirer d’autres festivals, si les gens peuvent apprendre de nos erreurs et s’inspirer de ce que l’on aura réussi, alors c’est superbe. L’idée est simple : tout remettre à plat, déconstruire les clichés et tenter de reconstruire quelque chose tous ensemble, et voir si cela peut être cohérent et pérenne.
Bertrand Grébaut | Dans tous les cas, effectuer ce genre de changement, c’est toujours un peu plus de boulot que de ne rien faire [il sourit]. C’est toujours plus compliqué que de faire un gros nom de la junk food pour servir du poulet de batterie frit. Mais je pense que ce sont des problématiques que tout le monde va prendre en compte à l’avenir dans sa façon de produire des événements. J’espère que cela pourra ouvrir la voie, y compris à des festivals qui ne font pas de l’écologie et de l’environnement leur priorité a priori. Et puis je pense que la jeunesse est en demande de ce genre de changements. Ce sera vite une nécessité pour d’autres festivals d’emboîter le pas, pour éviter de devenir trop ringards.
Marine Mandrila | C’est un choix assez courageux de la part de We Love Green, j’espère que ça va montrer à d’autres que c’est possible… et que ça plaira aux festivaliers.
Est-ce que c’est compliqué de concilier les envies de festivaliers, qui ont l’estomac vide, et une offre végétarienne ?
Bertrand Grébaut | Il y a forcément des gens à qui ça déplaira, c’est inévitable, donc c’est cool qu’il n’y ait plus le choix. Car c’est forcément déloyal lorsque tout le monde joue le jeu, mais qu’un mec qui fait des burgers sur son stand rafle tout, cela ne donne aucune chance aux autres. Dans cette édition de We Love Green, la question ne se posera pas car les gens n’auront pas le choix. Ce sera l’occasion de démontrer que la cuisine végétale ne tire pas un trait sur la gourmandise, sur la satiété, sur le plaisir. Il faut remettre les choses à leur place : un légume, ça se grille, ça se fume, ça n’interdit pas l’acidité, le sel, le gras… Toutefois, cela demande plus de connaissances et de technique afin de valoriser les produits.
Thomas Grunberg | Je vais prendre le problème à l’envers. Il y a une problématique, du moment où il y a le choix. On a fait beaucoup pour promouvoir la nourriture végétarienne par le passé, et on était déjà à 40 %, 50 % de restaurants végétariens sur le festivals, et à 80 % de propositions végétariennes sur le food court. Mais dans la réalité des ventes, c’est autre chose. Tant qu’on laissera le choix, les gens iront instinctivement vers un burger ou un fish-and-chips. On pourra faire tous les efforts du monde, ça ne marchera pas. On a très vite pensé qu’il ne fallait pas laisser le choix. Si les choses sont bien faites, alors le festivalier ne s’en rendra même pas compte.
Marine Mandrila | Ça reste un challenge, oui, je crois. Mais le food court de We Love Green a toujours été exigeant, en termes de sourcing des produits, de saisonnalité… Il faudra sûrement accompagner certains restaurateurs, les rassurer au premier abord. Je suis convaincue en revanche que les restaurateurs sauront proposer des offres qui satisferont les festivaliers.
Malgré tout, il faut essayer de ne pas tomber dans le piège de la friture et des substituts de viande ?
Bertrand Grébaut | Bien cuisiner un légume, cela demande plus de connaissances, plus de recherches. Mais c’est la même pour tous les autres engagements écologiques. C’est incompatible avec le “laisser-aller” et la passivité. Il faut s’intéresser, faire des efforts… Je pense qu’il est important d’avoir, aussi, sur le festival, de la friture et des sandwiches un peu régressifs. Mais c’est l’occasion de proposer quelque chose d’ambitieux pour la cuisine végétale.
Marine Mandrila | Il y en aura peut-être et ce n’est pas grave ! C’est une année de transition.
Bertrand Grébaut | À partir du moment où le légume est le protagoniste d’un plat, il est impossible de rogner sur la qualité. Il faut qu’il vienne d’une agriculture respectueuse, qu’il ait poussé à son rythme, qu’il provienne de la bonne variété, qu’il ait du goût… Si on respecte l’essence même de la cuisine – un bon ingrédient, une bonne cuisson, un bon assaisonnement –, le reste est une vue de l’esprit. Ce sont des habitudes à changer, mais une carotte rôtie et confite aura toujours plus de goût qu’un steak entre deux bouts de pain. Et puis le festival a lieu en juin, au début d’une saison d’été qui offre une variété incroyable de légumes, alors il n’y a aucune excuse.
Le public va-t-il être réceptif ?
Thomas Grunberg | On va leur faire découvrir des choses et ils seront curieux, c’est certain. Donc tout devrait bien se passer. Il y aura forcément des gens qui réclameront un burger au début, et c’est normal, mais ils s’y feront. On mettra un point d’honneur à ne pas insister et à ne pas souligner que le food court est végétarien. Cela ne doit pas être un sujet, et c’est uniquement comme ça qu’on y parviendra.
Bertrand Grébaut | Il faudra bien sûr qu’en amont, le festival explique ses choix et ce parti pris. Mais, à titre personnel, ce n’est même pas un sujet. Il ne faut pas que cela en soit un. À Septime, on défend le vin nature depuis le début, et on ne parle désormais même plus de vin “nature”, mais de vin tout court. C’est le cheminement naturel. À nous, professionnels, de le rendre ludique. Il faut qu’il y ait du choix, une offre colorée et diversifiée. Il faut que ce soit assumé, en parler le moins possible, et cela sera bien accepté. Plein de gens ne verront même pas la différence. Je pars du principe qu’il faut que ce soit la norme, mais qu’il faudra bien travailler pour rendre le tout bon et accessible.
Marine Mandrila | Le public de We Love Green est, me semble-t-il, assez éveillé aux questions d’alimentation durable, donc je pense qu’il ne sera pas surpris, ou alors il le sera agréablement. À nous, restaurateurs, de relever le défi de les régaler.
We Love Green
Du 2 au 4 juin 2023
Bois de Vincennes (Paris)
Infos et réservations ici.