Faut-il y voir un impardonnable crime de lèse-majesté, ou tout simplement la manifestation d’une saine liberté d’expression ? Dimanche dernier, en préambule de l’affiche de Ligue 1 entre le Paris SG et Lyon, une partie du public du Parc des Princes a sifflé Lionel Messi lors de l’annonce des compositions d’équipe. Ce n’est pas la première fois que celui qu’on considère comme le meilleur joueur de l’Histoire est ainsi pris en grippe. La saison passée, lui et Neymar avaient déjà été ciblés par des sifflets lors d’un PSG-Bordeaux qui faisait suite à l’élimination du club en Ligue des champions contre le Real Madrid.
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Pourquoi le public le siffle-t-il ?
Lionel Messi cristallise, aux yeux de certains supporters du PSG, cette politique du club basée sur l’achat de stars et la prépondérance du marketing sur le projet sportif. Une politique incontestable dans les faits. En effet, l’incapacité du club à construire une équipe cohérente et taillée pour atteindre ses objectifs sportifs semble plus évidente chaque année. En s’en prenant de la sorte au dernier joyau du Qatar, il y a eu côté supporters la volonté d’interpeller la tête de la direction parisienne. Une direction qui, elle, semble totalement hermétique (ou insensible ?) à ces griefs. Pour preuve, Nasser al-Khelaïfi affirmait il y a quelques jours encore dans Marca (son unique sortie médiatique depuis l’élimination en Ligue des champions contre le Bayern), “travailler pour garder Mbappé, Messi et Ramos”. Une prise de parole qui traduit clairement l’absence d’évolution dans le projet PSG, malgré les échecs répétés.
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Mais estimer que Messi est sifflé pour des raisons exclusivement symboliques, qu’il ne ferait que subir par procuration les doléances du public parisien contre sa direction, serait une analyse incomplète et partiale. Car sportivement aussi, l’Argentin a manqué de répondre aux attentes depuis son arrivée. Certes, son apport comptable demeure respectable et il y a même eu quelques éphémères moments de grâce (les buts inscrits contre Manchester City en 2022, contre Clermont et Lille cette saison).
Mais là où il était attendu comme un précieux renfort (voire comme le chaînon manquant) au duo Neymar-Mbappé, il n’a apporté qu’une contribution très relative sur les “matches qui comptent”, ratant même un penalty décisif en 2022 lors du 8e de finale perdu face au Real Madrid, et traversant chacune des rencontres à élimination directe du PSG en C1 sans donner l’impression de pouvoir agir dessus. Ajoutons à tout cela des relations restées très fraîches avec les Ultras, qu’il n’est venu saluer qu’une seule fois en presque deux ans, et il y a de quoi un peu mieux comprendre pourquoi la cote d’amour de l’Argentin à Paris a si peu décollé depuis son arrivée.
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Indignation en Argentine, émoi chez les observateurs
Lionel Messi sifflé, la nouvelle a évidemment traversé l’Atlantique. En Argentine, où son statut et sa cote de popularité n’ont jamais été aussi hauts depuis qu’il a réussi à mener l’Albiceleste sur le toit du monde, les réactions sont vives. Alors que le quotidien Olé juge “incroyable” l’attitude du public parisien, Clarín va encore plus loin en parlant de la “Pulga” comme “l’étranger le plus fustigé de Paris”. “Ils ne te méritent pas, Leo”, persiste même le média argentin sur son compte Twitter. Le journal La Nación, quant à lui, écrit que “ce n’était pas un dimanche pour Messi pour vouloir renouveler son contrat avec le PSG”, exhortant le joueur à vite plier bagage.
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Ce son de cloche trouve aussi un écho parmi certains illustres consultants en France. “Les sifflets de la dernière fois n’aident pas. Quand même 13 buts et 13 passes décisives [en Ligue 1, ndlr]. On parle du meilleur joueur du monde à l’heure actuelle en titre…”, s’était ému le soir même son ancien coéquipier au Barça, Thierry Henry, sur les antennes de Prime Video.
Interrogé sur beIn Sports, le plus argentin des consultants audiovisuels de France, Omar da Fonseca, abondait lui aussi dans ce sens : “La nostalgie de retrouver le Messi d’avant, tout le monde l’a. Dire que le cadre n’est pas idéal pour lui, je n’invente rien. Ce n’est pas le même Messi. Le temps est passé. Les sifflets, c’est exagéré”.
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Une incompréhension exprimée de façon bien plus véhémente encore par Emmanuel Petit sur les ondes de RMC, dans l’émission Rothen s’enflamme. “Quand j’entends cela, pour moi c’est une insulte au football”, s’est insurgé le champion du monde 1998 à propos des sifflets du Parc. “Si j’ai un conseil à donner à Messi : casse-toi de ce club ! Ce club-là n’est pas un club de football. C’est un club de préretraite, même pour les joueurs de 20 ans. Il n’y a aucun joueur qui a progressé depuis qu’il est au PSG, c’est la faute de Messi ?”
Non sans être dénuée d’une petite dose de corporatisme, la position défendue par ces anciens joueurs sous-entendrait donc qu’au nom de l’intérêt général et supérieur du football, les supporters du PSG devraient accepter – et si possible un peu plus silencieusement – de voir leur club se muer en une sorte de musée à ciel ouvert, en une galerie d’art au sein de laquelle la complaisance et l’absence d’exigence seraient les seules postures convenables. Et cela, parce que c’est du meilleur joueur de l’Histoire dont il est question. En somme, supporters, contentez-vous de lui faire allégeance et fermez les yeux sur le reste car, après tout, vous devriez déjà vous estimer heureux de sa simple présence et ce, quelle que soit la logique sportive que tout cela induit.
D’autres grands joueurs ont déjà été sifflés par leur propre public
Or, il se trouve que voir des légendes du foot sifflées ou prises en grippe par leur propre public, cela n’a rien d’inédit. À commencer par… Messi lui-même. En 2011, alors que se dispute la Copa América en Argentine, Messi est sifflé par son propre public lors du 2e match de poule contre la Colombie. Même à Barcelone, où l’idylle aura été bien moins tumultueuse qu’avec son pays, la Pulga a subi les foudres de la vox populi. C’était en 2014, alors qu’il sortait d’une saison comptable à 28 buts et 11 passes décisives en championnat, huit réalisations en Ligue des champions (pour un total de 41 buts en 46 matches) ! Messi, qui venait d’obtenir une juteuse augmentation de la part du club catalan, n’avait pas été épargné par le Camp Nou après la perte du titre de champion d’Espagne lors de la dernière journée de Liga contre l’Atlético.
Son grand rival, Cristiano Ronaldo, a lui aussi été pris en grippe par ses supporters au stade Santiago-Bernabéu, notamment lors d’un des matches les plus emblématiques de sa carrière, un quart de finale retour de Ligue des champions contre le Bayern remporté après prolongation (4-2) et durant lequel il avait finalement inscrit un triplé, en avril 2017. “La seule chose que je demande, c’est qu’ils ne me sifflent pas ici car je donne toujours le meilleur de moi-même”, avait-il réagi directement après le match.
Nul n’échappe au jugement des tribunes
Si le public du Bernabéu peut bien être considéré comme l’un des plus capricieux, il n’en demeure pas moins que les clubs où l’on en vient à siffler ses propres légendes sont souvent ceux où le public réfute l’idée qu’un joueur puisse être considéré comme supérieur à l’institution. En substance, il faut y voir l’expression d’une forme d’amour-propre, bien plus que le manque de culture que suggérerait cette absence de “bienséance”. Oui, Lionel Messi est sans l’ombre d’un doute plus grand que le PSG. Mais aucun statut ne peut (ne doit ?) éternellement dissiper la réalité de l’instant T. C’est l’une des vérités impitoyables du sport de haut niveau. Il a été un immense joueur pour le FC Barcelone, il a fini par sécuriser sa place au sommet du Panthéon du foot argentin et mondial, mais son histoire avec le PSG comporte suffisamment d’anicroches pour que le Parc des Princes ne lui accorde pas une immunité absolue et indéfinie.
Accepter qu’un joueur puisse échapper au jugement des gradins, qu’il soit absous de son devoir de réciprocité, dans ce qu’il donne sur le terrain, dans le respect qu’il porte à l’institution qu’il est censé défendre et représenter, ce pour quoi il est payé dans des proportions qui peuvent difficilement l’en affranchir… accepter cela, c’est renier la dimension populaire du stade, c’est réfuter le fait que ceux qui s’y déplacent incarnent une ville, un quartier, un territoire, une communauté, une histoire, et qu’ils sont les garants de ces valeurs (le club aussi, dans un monde ordinaire).
Finalement, c’est peut-être Luis Fernandez, ancien joueur et coach du PSG, qui avait le mieux cerné le fond de toute cette incompréhension et ce, dès 2022 après les premiers sifflets contre Messi. “Vous voulez que les supporters soient des consommateurs et qu’ils ne disent rien “, avait-il dit. “Les fans aiment le club alors que les joueurs partiront. Mais pour moi, les sifflets sont pour tout le monde. Les fans ont le droit de siffler. Ils ne peuvent pas que mettre l’ambiance et payer. Ils ont le droit d’exprimer leur mécontentement.”