Je n’ai pas du tout envie de me lancer dans une enquête chiffrée ou un micro-trottoir, mais a priori, tout le monde porte des sous-vêtements. Selon Kantar, entre janvier et octobre 2023, le secteur de la lingerie femme représentait tout de même 2,12 milliards d’euros en France, avec une hausse du prix moyen d’achat de +1,4 %. Si la lingerie nous accompagne toute notre vie, de nombreuses femmes (et hommes) ne trouvent toujours pas de sous-vêtements adaptés à leur morphologie.
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Certaines grandes marques (parfois proches de la fast fashion), ont tenté de timides efforts, notamment avec des pièces ou des maillots de bain censés être parfaits pour toutes les morphologies (spoiler alert : c’est faux). Il n’empêche que côté inclusivité, ce n’est pas encore gagné. Comment l’expliquer ? Existe-t-il des marques inclusives par essence, sans hypocrisie ou stratégie ? La réponse est oui.
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“C’était juste évident pour moi de répondre aux besoins des femmes”
Samantha Montalban imagine Mina Storm il y a un peu plus de huit ans. Aujourd’hui, la quasi-totalité des pièces de la marque vont du 34 au 48, du bonnet A au bonnet F, parfois plus.
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“Ça nous arrive de lancer des tailles supplémentaires et que ça ne marche pas. Mais pas question de faire un retour en arrière, je préfère qu’on ne laisse ne serait-ce que 5 pièces sur notre site, mais c’est important qu’on les ait”, explique Samantha Montalban.
Mina Storm mise tout sur le confort, la liberté et le respect du corps. De tous les corps. Pour cela, pas le choix, il faut tester et essayer, beaucoup, et refaire, souvent. “J’aime qu’à chaque fois qu’on passe aux essayages, ce soit une fille différente qui vienne. C’est le bordel pour les usines, elles détestent qu’on fasse ça [rires]. La plupart du temps, les marques ne font leurs essayages que sur une seule fille. Mais du coup, c’est du sur-mesure pour elle, ce n’est pas du tout représentatif “, dit la jeune femme.
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“Au début, on avait un peu tendance à penser qu’en faisant autant d’essayages, ça ne marcherait jamais : sinon, tout le monde le ferait, non ? Et en fait, plus on essaie, plus on affine et plus le fitting est canon !”, poursuit Samantha. En parlant avec elle, je comprends rapidement qu’être une marque de lingerie inclusive n’était même pas un sujet, c’était une évidence.
Encore faut-il gérer les usines qui se plaignent de l’exigence de la fondatrice, de ses multiples prototypes et du coût de fabrication, qui a forcément un impact sur le produit final. “C’est très compliqué car nos produits reviennent cher. On aimerait bien les rendre plus accessibles mais la vérité c’est qu’on ne peut pas. Dernièrement on a reçu un message qui nous disait qu’un top à 79 €, tout le monde ne pouvait pas se l’acheter. Et je peux juste répondre que, oui, je sais. Peut-être que même moi je ne pourrais pas me l’offrir, ou très occasionnellement. Mais pour le moment je n’ai pas la solution…”, nous confie Samantha.
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“Les grandes marques n’ont juste pas envie de se casser la tête”
Delphine Gotti a, elle, lancé Maison Finou en 2019, après s’être beaucoup intéressée aux différents enjeux d’une collection et à pourquoi les marques de lingerie ne faisaient pas l’effort d’être inclusives. “Pour moi, les marques n’ont juste pas envie de se casser la tête car techniquement c’est réaliste. Par rapport à la part de marché et à ce que ça représenterait en termes de ventes et de temps de travail, elles ne doivent pas trouver ça intéressant côté rentabilité.”
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Tester sur plusieurs morphologies demande forcément plus de travail et amène des frais supplémentaires. “Chez Maison Finou, on va produire jusqu’à 15 prototypes car peu importe la morphologie de la personne, la pièce doit s’adapter à son corps. Bien entendu chaque prototype supplémentaire entraîne de nouveaux coûts”, nous confie la jeune femme.
Maison Finou, également qualifiée de “lingerie thérapie”, propose aussi le sur-mesure, principalement pour des personnes qui présentent une asymétrie mammaire ou dont la taille est peu commercialisée. D’ailleurs, la personnalisation représente tout de même un tiers du chiffre d’affaires de la marque. “J’aimerais beaucoup plus pousser le côté médical, travailler avec un·e ergothérapeute pour repenser la manière de penser les pièces. Développer la lingerie pour des personnes en transition ainsi que pour les hommes. Il y aurait beaucoup à faire, notamment sur la question de body positivisme”, conclut Delphine.
“Un vêtement unique, ça n’existe pas !”
Bertille Isabeau imagine sa marque de lingerie en 2017, alors qu’elle habite à New York. À l’époque, elle ne se reconnaît pas dans les propositions existantes. “Je voyais soit des culottes hyper-basiques en coton, soit hyper-échancrées à la Victoria’s Secret ! Pour les soutiens-gorge c’était encore pire : soit le tout petit triangle qui ne maintient rien, soit la grosse brassière d’allaitement ! Les mannequins faisaient toutes un 34 ou un 36, je ne m’y retrouvais pas.”
Elle propose d’office des pièces allant du 34 au 46, puis, à son retour à Paris, elle lance une taille supplémentaire mais aussi le sur-mesure (en dessous du XS et au-dessus du 3XL).“Habiller tout le monde, c’est plus que normal, mais un vêtement unique, ça n’existe pas. Si j’arrive à mettre 25 € par taille et par prototype, je pense qu’une grande marque peut le faire non ?”, poursuit Bertille Isabeau, pour qui l’inclusivité est une valeur primordiale. Il n’y a qu’à observer les photos (non retouchées) de la marque pour se rendre compte que la représentation joue un rôle majeur. “Dans les années 1990 il n’y avait aucune représentation, dans les magasins seules les taille 36 étaient mises en avant et ça m’a coûté. Alors les différentes tailles c’est important, mais les différentes identités aussi.”
C’est à se demander si pour certaines marques, l’inclusivité et le body positivisme seraient uniquement des discours marketing. Impossible de proposer de la lingerie pour tous les corps ? On vous laisse juger !