On a rencontré le “dealer” de plantes sauvages qui fournit les meilleurs chefs français

Publié le par Robin Panfili,

© Konbini

Depuis la Normandie, Pierre-Édouard Robine cueille les plantes sauvages qui brillent au milieu des assiettes des restaurants les plus réputés de la capitale.

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Il y a déjà cinq ans, au printemps 2018, Pierre-Édouard Robine débarquait dans la capitale chargé comme une mule. De l’herbage plein les valises, pour une livraison très spéciale : de l’ail des ours, une petite plante sauvage très prisée des chefs de la nouvelle génération, mais qu’on ne trouvait pas — encore — partout à l’époque. Par chance, dans les prés qui entourent la petite ferme normande de Pierre-Édouard Robine, l’ail des ours pousse partout, et en quantité, à la pleine saison.

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Si cette petite anecdote et la belle histoire suffisaient pour raconter la vocation végétale du jeune homme, elle est en réalité née quelques années plus tôt, lorsqu’il décide de retourner dans la ferme familiale en Normandie, en 2016, laissant derrière lui un métier bureaucratique sans grand intérêt dans la capitale. “Lorsque je suis revenu dans la région, j’ai aimé cueillir quelques plantes et me mettre au défi de faire des plats où les plantes remplaçaient les condiments ‘classiques’. J’ai commencé deux ans plus tard avec l’ail des ours, et lorsque la saison s’est terminée, j’ai continué avec d’autres plantes plus pointues”, confie-t-il.

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Depuis, Pierre-Édouard Robine est devenu l’un des cueilleurs les plus demandés parmi les chefs de la capitale. Parmi ses clients, on trouve certains des restaurants les plus réputés et salués de la scène gastronomique parisienne et locale : Guillaume Sanchez et Jorick Dorignac (NE/SO), Bruno Verjus (Table), Atsushi Tanaka (Restaurant AT), Ryuya Ono (Magma), Christophe Pelé (Le Clarence), Masahide Ikuta (Donna), Thomas Chisholm (Chocho), Thomas Graham (ex-Mermoz), ou encore les équipes d’Early June, celles de Septime ou de la Renaissance à Argentan, près de sa ferme. Tous ont jeté leur dévolu sur les trouvailles végétales de Pierre-Édouard Robine, piochées dans les forêts, sur les bordures de ruisseaux ou sur les plaines de sa ferme normande. Et cela n’a rien d’étonnant. “Je viens dans une des régions idéales car ses milieux naturels sont diversifiés”, reconnaît-il. “Parfois, je vais jusqu’à la mer pour proposer des plantes du littoral. Mais surtout, j’ai la chance d’habiter dans un territoire très préservé où mon père a converti la ferme en bio dès 1988 avec de nombreuses zones humides, des haies… C’est surtout cela qui contribue à la richesse de mon territoire.”

Carte blanche

Si ce métier n’est pas vraiment comme les autres, c’est qu’il répond à des contraintes bien précises, et bien éloignées de celles que l’on peut connaître dans une vie tertiaire et citadine. La cueillette débute en mars pour se terminer en octobre, mais peut aussi se prolonger exceptionnellement l’hiver. “Quand les températures sont plus froides, je peux proposer quelques plantes, la saison n’est pas une contrainte”, confie-t-il. Mais s’il tient à réduire son rythme de cueillette à cette période-là, c’est avant tout par choix car en parallèle, Pierre-Édouard Robine élève des bœufs de race normande et produit du poiré sur son exploitation agricole. “L’idée de saison est importante dans le cycle de mon écosystème paysan. Je suis agriculteur, pas seulement cueilleur et quelle que soit la production agricole, il est important pour la viabilité d’une ferme d’avoir plusieurs productions complémentaires. La spécialisation de l’agriculture, c’est le début de l’industrialisation”, appuie-t-il, accroupi dans les herbes hautes, couteau Opinel à la main. Ainsi, “l’automne et l’hiver je passe plus de temps à nourrir les bœufs et à la production de poiré”. Sa première cuvée était d’ailleurs dédicacée au rappeur Orelsan qui a occupé les oreilles de Pierre-Édouard Robine durant toutes les étapes de production et de fabrication — on trouve même un drapeau de Civilisation qui trône fièrement sur la charpente de la grange.

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Mais lors de la pleine saison de la cueillette de plantes sauvages, dès le début du printemps, le planning est bien rodé. Le lundi matin, il part cueillir pour le chef doublement étoilé Bruno Verjus, à la tête du restaurant Table. “Il me laisse carte blanche, ce qui me permet de faire l’état des lieux et de préciser les plantes que je peux proposer dans ma mercuriale hebdomadaire.” En l’occurrence, une boutique en ligne qui liste les plantes disponibles sur WhatsApp Business. “J’envoie le lien mis à jour aux chefs chaque semaine, puis les commandes reçues sont cueillies et envoyées en Chronofresh le jour de la cueillette.” En début de saison ou lorsqu’il a le temps, Pierre-Édouard Robine s’occupe lui-même du déplacement et de la livraison de ses plantes, en train et en métro.

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Aucune journée de cueillette ne se ressemble, mais toutes sont “assez speed” et “aucune ne se ressemble”, car même loin d’une démarche productiviste, il faut savoir la rentabiliser. “Pour pouvoir en faire son métier il faut ‘envoyer'”, prévient-il, tout en restant patient, observateur et minutieux, évidemment. “La cueillette débute tôt entre 5 heures du matin lors des canicules et 8 heures les lendemains d’embuscade. Je cueille, trie et mets en barquette au même moment.” Le tout, avec le plus de délicatesse possible. “Moins la plante est manipulée, plus elle se conserve longtemps.” Ces dernières sont, par la suite, stockées soit dans l’ancienne salle de traite de la ferme, soit en chambre froide “s’il fait trop chaud”. “Si tout va bien et que Chronofresh fait le taf, les plantes arrivent le lendemain avant 13 heures dans les restaurants.”

“Comme la bourrache, mais en mieux”

Autour de la ferme, le champ des possibles est presque infini en matière de plantes sauvages, mais Pierre-Édouard Robine a bien évidemment quelques chouchous. “J’aime beaucoup l’ache faux-cresson qui pousse dans les ruisseaux et qui a le goût de carotte. Sur les espaces piétinés par les bœufs l’hiver, je peux trouver au printemps de la matricaire odorante, ou ‘pineapple weed’, comme son nom l’indique. Enfin, ma favorite, au pied de la rivière, c’est le myosotis scorpioïde avec sa fleur très graphique et son goût d’huître. Comme la bourrache, mais en mieux”, énumère-t-il, alors qu’il arpente avec aplomb un énième talus vertical.

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Cette diversité de végétaux est une aubaine pour le cueilleur et son activité, d’autant plus que la demande des chefs et des restaurants est croissante depuis quelques années — il doit régulièrement refuser, à contrecœur, de nouveaux établissements qui aimeraient faire appel à ses services. “L’intérêt est grandissant c’est certain”, souligne-t-il. “Mais je pense que c’est davantage pour l’aspect floral, sauvage ou cultivé. Sur la plante sauvage et tous les possibles qu’elle offre, de la racine à l’écorce, en frais ou travaillé, je trouve que cela n’avance pas si vite qu’en Europe du Nord, qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni.” Pour l’heure, les commandes restent assez “classiques”, bien que déjà complètes et érudites. “Il y a une base constante de plantes efficaces comme la petite oseille, le nombril de Vénus, la fleur de mauve ou l’achillée millefeuille”, liste-t-il.

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Mais à force de travailler avec des chefs dont il connaît désormais très bien la cuisine, Pierre-Édouard Robine a appris à s’adapter à leurs techniques et à leur ADN culinaire. “Par exemple, pour une même plante, l’ache faux-cresson, Atsushi Tanaka va travailler des petites pièces, voire le limbe de la feuille, tandis que Masahide Ikuta utilise les plantes comme condiment en tombée sur le plat avec de plus gros spécimens.” Reste que dans cette collaboration étroite et régulière, chacun sait rester à sa place. Les chefs n’exigent pas de plantes précises qui ne seraient pas dans son catalogue et doivent se contenter de ce que Pierre-Édouard Robine trouve sur son chemin et, à l’inverse, le cueilleur n’interfère pas dans la manière dont les plantes sauvages sont utilisées en cuisine. “Ce sont les chefs qui savent où ils veulent arriver dans leur création. Pour la plupart, notre collaboration dure depuis quatre ou cinq ans, donc ils savent à la fois ce que je propose et je pense savoir où ils veulent aller”, confie-t-il.

Sur certains plats qui sont amenés à durer sur une carte de restaurant, certains peuvent aussi lui demander de se faire livrer la plante de manière régulière sur une durée limitée, ce qu’il accepte de faire avec plaisir. “Cette année, j’ai aimé travailler avec Jorick Dorignac et Guillaume Sanchez de NE/SO pour un plat de lotte avec des nombrils de Vénus”, cite-t-il en exemple. Et s’il ne parvient pas à cueillir des plantes précises que lui demanderait un chef, Pierre-Édouard Robine joue collectif et renvoie, tout naturellement, vers ses homologues, eux aussi très demandés sur la scène gastronomique parisienne, Jean-Marie Pédron et Jean-Baptiste Anfosso, l’un de ses mentors. Un fair-play et un cercle vertueux qui font le ciment de cette confrérie méconnue, mais bien réelle, de “dealers” de plantes sauvages.

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