On a passé un mois sans Instagram (et on en a discuté avec une experte en santé digitale)

Publié le par Anna Carolina Assuncao,

(© Getty Images)

Rachael Kent, professeure et chercheuse à l’université de King’s College, m’a fait réaliser que j’étais vraiment atteinte d’une "addiction technologique".

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Il y a quelques semaines, j’ai rédigé cet article sur mon expérience d’un mois sans les réseaux sociaux. Cette “cure” m’a non seulement fait réaliser à quel point j’étais accro aux réseaux, mais à quel point mon entourage l’était aussi. On me demandait tout le temps : “Mais comment tu fais ?”, comme si c’était une mission impossible, ou : “Alors, tu te sens beaucoup plus centrée dans ta vie ?”, comme si faire une pause d’Instagram pendant un mois était la solution à tous mes soucis. C’est là où j’ai remarqué que cette addiction était un problème bien plus large que ce que je ne pensais. On ne sait plus vivre sans les réseaux, même si on s’en plaint tout le temps. Mais qu’est-ce qui fait qu’on est aussi accro ?

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Je suis donc partie à la recherche d’un·e expert·e pour m’éclairer. C’est là où je suis tombée sur la personne parfaite : le Dr Rachael Kent, professeure et chercheuse à l’université de King’s College. Son expertise ? La santé digitale, les médias digitaux et l’économie digitale. En d’autres termes, elle fait des recherches sur la manière dont le monde digital influence notre santé physique et mentale. Je l’ai donc interviewée sous forme de discussion, dans laquelle elle a commenté des parties de mon article.

Konbini | Dans mon article, je raconte que j’ai commencé les réseaux lorsque j’avais 12 ans et qu’après 14 ans d’usage, je suis devenue chaque jour plus accro aux likes, aux publications et au scrolling.

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Dr Rachael Kent | Les réseaux sont devenus une extension de soi. Plus les années passent, plus cette deuxième personnalité virtuelle se consolide. Le fait d’être incapable de s’en détacher a d’énormes conséquences sur la manière dont on se voit et on comprend le monde. On a développé une dépendance émotionnelle quasiment physique aux réseaux. Le fait de se comparer constamment aux autres peut être très dangereux pour notre santé mentale. Ces cures des réseaux sociaux sont comme des moments de réinitialisation, où l’on enlève le “voile digital” qui nous empêche de voir la réalité telle qu’elle est. On peut les faire sur une journée, une semaine ou un mois. Le plus important c’est de le faire, pour avoir de la distance.

Pour vous, c’est quoi la source du problème ?

Finalement, on est attachés aux réseaux car on veut être inclus et le besoin d’appartenance sociale est naturel. Mais le problème vient de l’économie digitale qui joue avec ce besoin de socialiser et d’appartenir à un groupe pour faire prospérer les réseaux. Ils capitalisent sur ce besoin primaire. Mais le problème, c’est que ces connexions virtuelles qu’on voit comme “vraies” depuis son écran, sont fondamentalement fausses. Souvent, on pense que ce que fait un·e tiktokeur·euse ou un·e influençeur·euse sur les réseaux est une forme de connexion, mais pas vraiment. La façon dont on se présente et dont on se comporte devant la caméra doit suivre des règles pour apporter un maximum de monétisation.

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Dans l’article, je parle aussi de la période de “détox”, qui m’a marquée. Pendant deux semaines, je sentais un réel manque dans ma vie. Comment est-ce que vous expliquez ce phénomène ?

Ce que tu as vécu ressemble très fortement à un sevrage, en effet. L’addiction technologique est vue comme une addiction clinique établie. Les symptômes sont : la préoccupation du comportement, aller sur les réseaux pour remplir le temps, se sentir délaissé et angoissé quand on ne peut pas le faire et finalement, être pris par une envie de vouloir s’en défaire. Je le vois moins comme une addiction aux drogues, mais plutôt comme une dépendance aux jeux d’argent. C’est neurologique, on sent un pic de dopamine quand on va sur les réseaux et c’est pour ça qu’on le fait continuellement. Étant constamment stimulés par ce qu’on voit sur les écrans, vivre sans nous donne la sensation d’avoir énormément de temps devant nous, qu’on doit à tout prix remplir. Sans les réseaux, on risque de s’autoanalyser, de s’ennuyer ou même d’angoisser sur des problèmes auxquels on veut échapper, mais c’est naturel, au final. Les réseaux nous distraient de la réalité, qui peut être positive comme négative.

Oui, et souvent, je postais mais je ne voulais pas répondre aux gens qui réagissaient à mes posts. C’est tout de même paradoxal.

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Ça souligne le niveau d’addiction. D’ailleurs, il faut pouvoir différencier une addiction d’une compulsion. Une compulsion est une dépendance à la récompense d’un acte, alors qu’une addiction est la dépendance émotionnelle à l’acte en lui-même, et non à sa récompense. Donc là, tu étais émotionnellement accro au fait de poster et de scroller, mais une fois que les gens te répondaient, tu n’en voulais plus.

J’ai aussi senti qu’il y avait une pression sociale à vivre ma meilleure vie sans les réseaux.

Oui, je dirais qu’il y a un aspect très toxique aux narratives de bien-être et de “pleine conscience” sur les réseaux. On a beaucoup capitalisé ces discours, et donc on sent maintenant une pression sociale constamment : “Si je suis sur les réseaux, je dois être proactive. Si je n’y suis pas, je dois l’être aussi et super zen et centrée”. C’est une capitalisation néolibérale du temps. Il faut toujours utiliser le temps qu’on a à disposition pour être productif. C’est un discours entrepreneurial toxique : “Je dois avoir un job super excitant, une vie sociale incroyable, bien manger, avoir un partenaire, etc.”. C’est un style de vie inatteignable qui nous a été promu et c’est vraiment difficile de se défaire de cette pression.

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J’ai également remarqué que mes relations se sont approfondies pendant cette expérience. Au lieu de répondre à mes stories sur Instagram, mes amis m’envoyaient des messages sur WhatsApp pour savoir comment j’allais pour de vrai. On pense souvent que ce qu’on voit en story reflète la manière dont les gens se sentent, alors que pas du tout.

C’est un paradoxe constant. D’un côté, on sait que ce qu’on voit sur les écrans n’est pas le reflet de la réalité, mais d’un autre côté, si on y pensait à chaque fois qu’on voyait une story, on deviendrait extrêmement parano ou beaucoup trop cyniques. Mais on sait que la plupart d’entre nous postent le côté rose de la vie online et je pense qu’en fin de compte, cette “fausse vie” créé une barrière à l’intimité. Dès qu’on enlève ce “voile”, on laisse place à des relations plus vulnérables et plus authentiques.