On a passé 48 heures en immersion totale avec les joueuses du PSG avant un match de Ligue des champions

Publié le par Lise Lanot,

© Laura Pestel/PSG

Deux jours dans le quotidien d’athlètes professionnelles, deux jours pour comprendre les problématiques du foot féminin.

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De leur petit déjeuner à la préparation des vestiaires du stade Johan Cruijff, à Amsterdam, en passant par leur balade d’avant-match, leurs derniers entraînements et les “causeries” de préparation tactique, j’ai suivi à la trace, pendant 48 heures, les joueuses du PSG et l’équipe qui accompagne leurs moindres mouvements. En plus d’admirer la passion et le dévouement qui vont de pair avec une pratique sportive de ce niveau, cette infiltration permet un tour de piste de l’état du foot féminin en France. En 48 heures d’immersion auprès des joueuses du PSG, on ne peut qu’admirer la force déployée pour mettre en lumière le foot féminin et, malheureusement, l’obscurité qui subsiste. Mais pourquoi la France a-t-elle tant de mal à faire de la place aux footballeuses ?

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“La France était quand même précurseure, notamment par rapport aux pays sud-européens et sud-américains où le foot féminin n’était pas du tout développé. Aujourd’hui, l’Espagne nous a dépassés. Alors qu’on avait 10 ans d’avance. Le constat est clair : cet été, l’Espagne était championne du monde et le Barça champion d’Europe. C’est limpide, il n’y a pas de débat. L’Angleterre a bien réussi à exploiter le championnat d’Europe chez eux, ça a créé un engouement, des droits TV, du monde dans les stades. Ces répercussions économiques se répercutent et donnent un sacré coup de boost à ce championnat. Nous, on n’a pas eu ça. On a raté quelque chose”, m’explique Jocelyn Prêcheur, coach de l’équipe, une fois arrivé à Amsterdam.

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Dîner d’équipe. (© Lise Lanot)

L’entraîneur du PSG féminine, nommé à la suite de son père, a la parole facile, tout comme le reste de son équipe – des kinés aux préparateurs physiques en passant par la manager d’équipe, la responsable performance ou l’intendant. Malgré mon intrusion au milieu de leur mécanique bien huilée, et alors que les joueuses s’apprêtent à disputer leur match aller contre l’Ajax d’Amsterdam, les membres du “staff” ont à cœur de partager leur engagement à voir le foot féminin enfin prendre la place qu’il mérite auprès du grand public.

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© Laura Pestel/PSG

S’immiscent aussi cependant leurs frustrations face à la lente évolution du projet. En témoigne le long silence réfléchi qu’oppose Jocelyn Prêcheur quand je lui demande pourquoi la France n’est pas parvenue à faire comme l’Espagne ou l’Angleterre qu’il cite :

“Je pense qu’on a un peu raté l’événement de la Coupe du monde chez nous, alors qu’on avait un tournant. Certes, il y a la déception de l’élimination en quarts de finale mais les stades étaient quand même bien remplis. Est-ce que c’est au niveau du marketing, de la communication que ça a pêché ? Bon, il ne faut pas oublier que le foot français, économiquement, c’est dur. Le PSG, c’est l’arbre qui cache la forêt.

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Aujourd’hui, convaincre les présidents de prendre une partie de leur budget – qui décroît – pour développer une équipe féminine qui, de toute façon, sera économiquement à perte parce qu’on n’a pas encore les droits télé ou le sponsoring qui permettent de compenser les investissements, c’est compliqué.”

Sakina Karchaoui après l’entraînement. (© Lise Lanot)

Le coach se le demande : pourquoi “la création de la commission de professionnalisation du foot féminin, qui commence seulement à prendre les problématiques à bras-le-corps” date seulement de l’année dernière ? “Pourquoi ce n’était pas il y a dix ans ?”, interroge-t-il. Gwenaëlle Pelé, ancienne joueuse du PSG désormais kiné de l’équipe, le confirme : elle ne se doutait pas que son club se professionnaliserait deux ans après sa retraite sportive, prise en 2010.

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“La professionnalisation est arrivée très vite après l’arrivée des Qataris. J’imagine que pour eux, c’était important de montrer cette image positive là. Les résultats sont arrivés assez vite puisque, dès la première année, on s’est qualifiées pour la première fois en Ligue des champions. Ça coûte de l’argent et ça n’en rapporte pas beaucoup, mais ça rapporte autre chose.”

© Laura Pestel/PSG

Cette professionnalisation s’accompagne de la création d’une équipe médicale à plein temps (“C’était assez inespéré”, poursuit Gwenaëlle Pelé), de “changements dans les infrastructures”, “du fait que les filles s’entraînent en journée” avec une équipe technique dédiée (“Le coaching des gardiennes par exemple, c’était de temps en temps avant, il n’y avait pas une personne dédiée”) :

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“Tout cela signifie que les joueuses, aujourd’hui, sont uniquement concentrées sur la pratique du football, leur vie est consacrée à ça et tout est fait pour qu’elles performent le mieux possible. On fait attention à comment elles mangent, aux soins qu’elles reçoivent… Des préparateurs physiques sont là en permanence pour les mettre en forme. Avant la professionnalisation, notre vie [en tant que joueuses], c’était d’abord notre journée d’études ou de travail et, en plus, on avait le foot. Elles, c’est le contraire. Toute leur vie s’organise autour du foot.

Ça change les perspectives : aujourd’hui, une petite fille peut se dire ‘Moi, plus tard, je veux être footballeuse professionnelle’. Nous, à l’époque, personne ne se disait ça. On se disait plutôt : ‘Si je peux, je jouerai au foot.’ Maintenant, il y a sans doute beaucoup moins de petites filles qui se disent qu’elles ne peuvent pas jouer au foot. Elles ont commencé vraiment toutes petites, en club, avec les garçons, tandis que moi, par exemple, je n’ai commencé que vers mes 11 ans.”

On ne rigole pas avec le programme. (© Lise Lanot)

Bien qu’en marche, l’évolution reste lente. Née en 1997 (soit 10 ans après Gwenaëlle Pelé), l’actuelle capitaine du PSG Grace Geroyo confie que le chemin de l’acceptation de sa passion n’a pas été si facile. Dans le documentaire Footeuses, réalisé par Lyna Saoucha et Ryan Doubiago, sa mère raconte qu’elle ne voulait pas laisser sa fille jouer au foot : “Je disais ‘Non, elle ne peut pas faire le foot, il faut laisser Yann [son frère] faire le foot, elle, c’est une fille’. Comme je n’étais pas d’accord, ils sont partis l’inscrire sans moi.” Aujourd’hui, la milieu de terrain est capitaine du PSG, équipe auprès de laquelle elle a prolongé son contrat jusqu’en 2028. Une de ses coéquipières, Sakina Karchaoui, est une des athlètes françaises les plus suivies sur Instagram, avec 906 000 abonné·e·s à date.

© Laura Pestel/PSG

Un miroir de la société

Lorsque je lui demande si elle ne ressent pas de frustration à s’occuper tous les jours de joueuses jouissant aujourd’hui d’avantages qu’elle n’a pas connus, Gwenaëlle Pelé n’hésite pas : “Non, pas du tout, je suis plutôt fière de faire partie de cette histoire qui a mené à cette professionnalisation”. Difficile en effet de ne pas voir cette histoire comme un combat et, surtout, comme un miroir des inégalités ayant lieu hors du terrain.

De la même façon que la grande majorité des objets du quotidien (de la ceinture de sécurité jusqu’aux médicaments en passant par le téléphone portable) ont été conçus pour et par des hommes, la majorité des études sportives ont été faites sur une population garçon, ou ce sont des études mixtes qui ne prennent pas en compte les spécificités du genre”, relate Pauline Clavel, responsable performance de l’équipe.

“C’est très récent dans les sciences du sport, et encore plus dans le football, que des études soient faites sur des femmes. Pour le foot, ça remonte à 1995, alors que ça a été fait presque depuis – j’exagère – la nuit des temps pour les hommes. Les études concernant les exigences pendant les matches par exemple, ou les qualités physiques, bref, des choses qui paraissent basiques, ne remontent qu’aux années 2000. C’est encore plus tard, dans les années 2020-2015, qu’on s’est rendu compte de manière observationnelle que les résultats différaient entre les garçons et les filles.

Aujourd’hui, on va essayer de comprendre pourquoi ce n’est pas pareil et s’intéresser physiologiquement aux femmes – côté performances, blessures, etc. Un sujet un peu populaire en ce moment, c’est celui des cycles menstruels – qu’on aborde seulement depuis trois/quatre ans. C’est tellement nouveau qu’aujourd’hui, il n’y a aucun consensus scientifique concernant l’impact des cycles menstruels sur les performances ou les blessures.”

Premiers contacts avec le célèbre stade Johan-Cruijff. (© Lise Lanot)

C’est pour créer de l’historique sur le sujet que les joueuses partagent, sur la base du volontariat, leur état physique et l’état de leur cycle afin de “mettre en corrélation” leurs performances avec leurs cycles menstruels. Oser parler des différences physiologiques entre les genres ne doit cependant pas s’accompagner d’inégalités supplémentaires, de tendance à fragiliser les joueuses : “Il ne s’agit pas d’en faire plus ou moins, mais de faire différemment”.

© Laura Pestel/PSG

“C’est tout ce qu’on aime dans le foot”

En parallèle de toutes ces discussions, les joueuses s’entraînent sans relâche, ne voient absolument rien d’Amsterdam et se préparent pour leur match contre l’Ajax, dans le mythique stade Johan Cruijff. En y pénétrant pour leur dernier entraînement, la veille du grand soir, elles ont les yeux qui brillent. Un des membres de l’équipe du stade nous prévient que 13 000 personnes sont attendues le lendemain : “Ça pourrait être davantage, c’est l’horaire qui pose problème, 21 heures, c’est trop tard pour le public familial qui se déplace pour le foot féminin”.

Elisa De Almeida. (© Lise Lanot)

Le côté français plussoie : “On ne vise pas le même public, on n’essaie pas tant de récupérer les fans de foot masculin qui ont décidé que ce n’était pas pour eux”. L’idée est de créer un engouement du côté des plus jeunes, d’améliorer les infrastructures, de multiplier les droits télé et les efforts de production afin de montrer que le foot féminin n’est pas “aussi lent que ce que laissent croire les plans de caméra bien moins variés que pour le foot masculin”.

Après le match, perdu 2-0 pour Paris, un spectateur confirme : “Ce n’est pas du tout télégénique en fait, ça n’a rien à voir de le voir en vrai”. C’est pour cette raison que Michelle Gilbert, directrice de la communication pour le PSG, se démène pour “faire venir les gens au stade” : “C’est abordable, familial et passionnant. C’est tout ce qu’on aime dans le foot, c’est une expérience qu’il faut vivre.” 

Préparation des vestiaires. (© Lise Lanot)
Elisa De Almeida. (© Lise Lanot)
Dîner d’équipe. (© Lise Lanot)
Arrivée dans le stade Johan Cruijff. (© Lise Lanot)
Premiers contacts avec le célèbre stade Johan Cruijff. (© Lise Lanot)
Elisa De Almeida. (© Lise Lanot)
© PSG

Le jeudi 14 décembre prochain, les PSG féminines affronteront l’AS Roma au Parc des Princes. Les places sont mises en vente à partir de 15 euros. Le match retour contre l’Ajax aura lieu le 24 janvier 2024 au Parc des Princes. Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à visionner le documentaire Footeuses, réalisé par Lyna Saoucha et Ryan Doubiago.